Depuis le début du mois d’avril ont été installés des grands portraits en noir et blanc sur les grilles du square Debrousse dans le 20e arrondissement de Paris.
Dès que j’ai vu ces visages, et chaque fois que je passe devant, je sens mon poil se hérisser et me dire qu’il y a sûrement un lien avec le Mois de la Santé Mentale. Mais nulle part ne figurent une légende, une signature, une explication de cette exposition en plein air.
La Mairie du 20e arrondissement a finalement annoncé dans sa newsletter (le 10 avril 2025) l’origine de cette exposition et ses motivations.
« Rictus », c'est le nom donné à cette série de portraits, dont on comprend dans un billet posté sur facebook le 18 avril 2025 par la Mairie du 20e que cette série de portrait a d'ores et déjà été exposée dans les locaux de la Mairie en 2022.

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Depuis leur installation publique, ces portraits me paraissent témoigner d'une représentation autostigmatisante, psychophobe, grossière, dégradante et de très mauvais goût à propos des questions de handicap et de troubles psychiques. Bref, je n’en peux plus de passer devant cette exposition qui - en plus de ne pas être contextualisée in situ - me semble produire l’effet inverse de ce qu’elle voudrait mettre en évidence.
La majorité des troubles psychiques relève du champ du handicap dit invisible, alors en quoi cette mise en scène de petit jeu d'énigme « Qui est qui ? », ou plutôt « Qui est quoi ? » n'est pas une invitation aux passant.e.s à juger qui est concerné.e et qui ne l'est pas, via un exercice malsain de reconnaissance faciale ?

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Est-ce que, à un moment donné, on ne fait pas davantage de la sensibilisation et de l'éducation auprès des personnes concernées – et des professionnel.le.s – pour éviter ce genre de participation à la stigmatisation sociétale et aux idées reçues sur le handicap et les troubles de santé mentale ?
Alors, selon vous, ces énormes portraits anonymes et oppressants - de la mise en scène de la crispation à la déformation, jusqu'à la monstruosité des expressions du visage - donnent-ils l'idée que toutes les personnes exposées sont « saines », ou qu'elles sont toutes handicapées et porteuses de troubles psychiatriques ?

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Le terrain de la grimace n'est nullement un terrain neutre, équitable ou horizontal.
Est-ce qu'on évoque aussi ici certaines pathologies et/ou spécificités neurologiques qui ont des répercussions sur les expressions du visage (grimaces involontaires, trouble anxieux, stéréotypies faciales, communication non verbale, tics) sans parler des handicaps physiques et moteurs, de la cécité ou des AVC, qui peuvent donner lieu à des déformations, spécificités et/ou paralysies faciales ?
Enfin, symboliquement, l'affichage sur grilles dans la cité n'est pas sans sans inspirer les barreaux du champ carcéral, et comment, en France et dans les médias, les troubles psychiques sont immédiatement relégués à des affaires criminelles et des faits divers.
[Billet posté sur facebook le 10 avril 2025]
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Malgré avoir tenté de faire remonter l'indignation que suscitait cette exposition à mes yeux - et aux yeux d'autres habitant.e.s du quartier et personnes qui ont découvert mon billet sur Facebook le 10 avril dernier -, malgré des relais sur LinkedIn, sur Instagram, malgré avoir tenté de solliciter le maire du 20e arrondissement et les élues locales en charge respectivement de la culture, de la santé et de la santé mentale, du handicap et de la PMI, de l’accessibilité universelle et des personnes en situation de handicap, malgré avoir tenté de les interpeller en leur adressant un mail, ainsi qu'à la Direction du groupe SOS responsable du Foyer d'Accueil Médicalisé Maraîchers, à l'origine de cette exposition photographique, le silence demeure unanime. Et l'exposition « Rictus » se poursuit, prévue au décrochage le 31 mai 2025.
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Objet : L'espoir - d'ici la fin du mois dédié à la santé mentale - d'une réplique publique à « Rictus »
jeu. 24 avr. à 11:58
Monsieur le Maire Éric Pliez,
Mesdames les élues adjointes à la mairie du 20e, Marthe Nagels, Karine Duchauchoi, Lamia El Aaraje, en charge respectivement
de la culture ;
de la santé, de la santé mentale, du handicap et de la PMI ;
de l’accessibilité universelle et des personnes en situation de handicap ;
À travers un billet publié le 10 avril 2025, j'ai témoigné de mon indignation et soulevé différentes problématiques autour du contexte de l'exposition (qui ne comportait pas de nom jusqu'au 24 avril 2025, date de réception de la dernière newsletter de la mairie du 20e) « Rictus », qui se tient sur les grilles du square Debrousse dans la rue de Bagnolet.
Habitante du 20e arrondissement - de la rue-même de Bagnolet -, citoyenne et artiste engagée, également personne handicapée, concernée par des troubles psychiques, paire-aidante, intervenante et formatrice sur ce terrain spécifique, j'ai pris la peine de d'expliquer publiquement et d'argumenter les raisons pour lesquelles cette exposition est, à plusieurs égards, problématique, et produit en ce sens l'effet inverse de celui recherché, quant à déstigmatiser les troubles de santé mentale à l'adresse du grand public, durant la période du mois d'avril qui « célèbre » ici sinistrement cette thématique.
En publiant ce billet sur les réseaux sociaux – plateformes sur lesquelles vous partagez vous aussi les informations locales aux citoyens et citoyennes de l'arrondissement, j'en ai appelé à vos prises de conscience et à votre réactivité.
Depuis le 10 avril, date de ma publication, plusieurs personnes ont commenté ce post, ont exprimé leur interrogation et désapprouvé cette exposition. Malheureusement, aucun.e membre de la mairie ou représentant.e du 20e arrondissement, aucune personne responsable ou participant.e à cette exposition ne s'est mobilisé.e, ni exprimé.e.
Indignée et inquiète de si peu de considération face à l'expression d'une personne concernée et militante sur les questions d'inclusion et de défense des droits et de la dignité des personnes en situation de handicap, à nouveau, j'en appelle à votre attention et au statut de représentation des habitant.es du 20e arrondissement qui est le vôtre, à votre habileté à revenir sur des dispositifs culturels que vous avez soutenus, subventionnés et validés, quand ceux-ci s'avèrent inadaptés, dérangeants, autostigmatisants et insultants.
Votre silence est d'autant plus violent qu'il vient doubler l'invisibilité de la parole des personnes handicapées et/ou porteuses de troubles psychiques, devant à une exposition qui humilie notre condition, quand bien même la structure qui a produit ces images (Foyer FAM du Groupe SOS) n'a sans doute pas voulu mal faire et a agi avec peu de finesse et de réflexion sur un sujet de société très malmené de manière générale, et ici de manière saillante.
Il convient plus que jamais de réajuster le tir et de contribuer à éduquer les populations aux questions du validisme, de la stigmatisation massive par la société des troubles psychiques et du handicap invisible, de contribuer à la déconstruction des idées reçues, de contrer la méconnaissance des troubles et la psychophobie, largement ancrés dans les esprits et dans nos modes de fonctionnement sociétaux.
La mairie du 20e arrondissement, il faut néanmoins le reconnaître, n'est pas en reste en ce qui est de la mobilisation autour des questions de handicap et de troubles psychiques, du réaménagement des espaces et des services locaux, du fait notamment d'un grand taux de population concernée. Je peux citer par exemple les Résidences de l'Accessibilité qui se déroulent dans les locaux de la mairie, le Festival International du Film sur les Handicaps au Théâtre Ouvert, l'exposition régulière des personnes qui travaillent à de l'ESAT Ménilmontant sur la place Gambetta.
Aussi, pour des questions de dignité, d'intelligence collective, de citoyenneté et de respect de la condition de vos citoyennes et citoyens, j'ai espoir que vous vous positionniez et preniez la parole sur cette exposition malheureuse, que vous puissiez apporter une réponse aux interrogations et aux maladresses que je mets en évidence, et qui ont suscité d'autres interpellations et expressions de malaise de la part des riverain.es et plus largement.
J'ai espoir que vos actions et les budgets que vous allouez aux projets culturels, de sensibilisation et de vulgarisation dans le quartier, soient davantage pensés et conçus en complicité avec les personnes concernées et actrices sur le terrain, qui abordent ces sujets en leur nom propre, soit davantage conçus par et pour les personnes que la société cache, infantilise, tait, illégitime et exclut, enferme.
C'est un combat que je mène au quotidien, en tant que poète, personne autiste, handicapée, citoyenne précaire.
Nous avons besoin de vous.
Respectueusement,
Natacha Guiller
jeu. 24 avr. à 12:24
Madame,
Bonjour,
En tant que Directrice de la plateforme Sante Mentale du 20e pour le Groupe SOS, je vous fais suivre ce courrier.
Bien cordialement,
Natacha Guiller