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Billet de blog 19 avril 2024

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Ce que la psychiatrie a délimité des lignes de mon corps

L'hôpital institue une fabrique des proies, faisant de nous - et des femmes en particulier - des cibles ou victimes faciles, des profils silhouettés par l'usure et la fragilité palpables, qui sécrètent la maladie, l’isolement, la violence communément intégrée ; des humaines déconnectées de leurs corps...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

   Je voudrais évoquer ce que la psychiatrie induit dans la relation à mon propre corps, quant aux limites de celui-ci des suites d'un parcours semé d'hospitalisations sous contrainte. Des hospitalisations qui s'étalent du début de l'adolescence à l'entrée dans l'âge adulte.
   L'internement psychiatrique, répandu sur toute la durée que constitue le stade de l'adolescence, a substitué, pour moi, une éducation. Éducation singulière et peu enviable - certes - mais éducation quand même, la mienne, d'entre ces murs ; tenant compte qu'à cette période, j'y passe le plus clair de mon temps.
   Ce que je vis et expérimente enfermée dans une chambre d'hôpital va participer - indéniablement - à ma construction d'être humaine, poinçonner les points de repère de mon équilibre futur, affecter mes accès aux relations sociales, à la vie, à mon corps.

Illustration 1
Nos ondes potomaniaques © SNG, 2019

   Force est pour moi de constater - et de comprendre, avec le recul, le passage malhabile à l'âge adulte, puis l'expérience de quelques relations d’intimité avec d'autre humains - à quel point l'inquiétante proximité que le personnel de l’hôpital a entretenu avec mon corps, à travers sa maltraitance et ses inspections intrusives - soyons clairs -, à quel point cette collusion thérapeutique est venue implicitement dérégler ma capacité à pouvoir frayer des limites dans les rapports de proximité vécus à deux (ou davantage), sinon connaître et être en capacité de me protéger d'éventuelles violences physiques, abus de faiblesse, agressions sexuelles.
   À partir de mes 13 ans, je suis hospitalisée contre mon gré dans des services de soins psychiques fermés, durant, le plus souvent, de nombreux mois successifs et en rupture imposée avec le monde extérieur. Ces isolement en chambre et muralisme du silence (d'autant plus à une époque où, concernée par le mutisme sélectif, je ne parle presque pas) adjoignent une routine tubulaire composée de perfusions délivrant des médicaments dans le pli du coude (ou sur le dos de la main), de sonde naso-gastrique traversant mon nez, mon œsophage vers l'estomac, d'appareils divers contrôlant tantôt mon rythme cardiaque (en branchement continu toute la nuit et qui tonitrue au passage sous 40 battements par minute), tantôt des électrodes pour examens hebdomadaires, des thermomètres, des tensiomètres, des mesureurs d'insuline et ionogrammes journaliers.

   Ces allers-retours en bâtiments psychiatriques sont ponctués par des explorations perpétuelles de mon corps, de mon sous-corps, sur prescription non consentie ; des palpations aux intrusions forcées de corps étrangers : condensés nutritifs mixés en gavage alimentaire et autres substances psychotropes ; ce qu'après metoo, mon cerveau classifie volontiers - et sans scrupule - dans le compartiment du viol de mon intimité, de mon corps, de ma personne.

   Viol au sens de traversée sous contrainte de ma peau, de ma bouche, de mes veines, de mon abdomen ; entravées mes libertés, mon identité, des années de vie sous le contrôle de machines branchées sans mon consentement, opérant sur moi des actions répétitives et mécaniques au long cours. Engins manœuvrés par des mains complices qui étouffent la souffrance pour me déguiser en appareillages qui handicapent, qui humilient, qui assouvissent un corps, permettant aux soignant.es de m'immobiliser dans mon lit. Statique alitement, recluse en chambre fermée à clé, sans un mot.

   L'impuissance totale en ces situations rejoint mon angoissée prémonition dans la confrontation du corps médical, lequel peut alors faire de mon corps ce qu'il veut (j'en cauchemarde la nuit, si ce n'est en retenant mon sommeil, car on me visite chaque heure afin de vérifier le débit des machines ; on m'observe aussi le jour uriner et déféquer, débloquant mes sanitaires le temps d'un passage contrôlé).

   Cette impondérable et irruptive surveillance m'a durablement traumatisée. De telles procédures hospitalières ont profondément perturbé ma relation au corps ; un rapport insane, non équilibré, des repères de ce qui humainement se pratique ou non totalement confus, une inexpérience du consentement, un rapport à la fois familier et non déconstruit à la contrainte et à la violence, de prime abord initiées et thérapeutiquement convenues  « pour mon bien » en milieu hospitalier.

   La prise de conscience et la compréhension de ces violences, des dommages en nombres subis, surviennent beaucoup plus tard dans mon parcours, des suites d'un travail ardu d'éloignement physique et d'élaboration critique à propos des structures-dites de soin psychiatrique. Labeur depuis lequel s'esquisse l'étendue vaste des marécages qui conjecturent les limites de la bienveillance et du droit d'autrui sur mon corps.

   À cela s’ajoute ma condition autistique, mal-identifiée puisque reconnue sur le tard, soit une capacité atypique à décrire et exprimer mes émotions, mes sensations, mon concert dans les relations personnelles ou amoureuses, une incapacité à déterminer les limites qui sont les miennes, un rapport particulier à la douleur et à la protection de ma personne, soit des réactions spécifiques à dysfonctionnelles sur le plan neurocognitif, non sans élargir ma propension à subir des violences.

   Il va de soi, comme possible, de témoigner ici de mes expériences intimes, quand bien même celles-ci se chiffrent en épisodes restreints (à ma grande chance, il m'apparaît, j'ai réchappé d'aucune prédation dans ma proéminente vulnérabilité) ; épisodes déployés sous le sceau de la domination et de l'oppression - entre autres - masculine, de l'abus de fragilité, dans la confidentielle et saillante ignorance de singularités sociales, émotionnelles et sensorielles qui me décrivent comme elles me décalent d'une normalité établie des liens affectifs et sensuels, des codes relationnels et du sexe, comme la société prône qu'il s'exécutent.

   J'ai - et ne peux qu'à distance chronologique l'analyser - subi des rapports non consentis, laissé faire et dû opérer à des actes sous l’ordonnance d'autrui. Des choses que je n'aurais pas voulu, ni dû pratiquer.
   Aujourd'hui, encore, la distorsion de mes capacités de protection, conditionnée par l'entreprise psychiatrique, m'antidote d'intègres acuités à comprendre à quel moment une demande, un geste, un acte, peuvent être acceptés, tolérables, respectueux, abusifs, bien vécus ou non.
   La psychiatrie, à travers des accès forcés aux intimités et extrémités des corps - de l'enfance à l'âge adulte, en passant par l'adolescence et le grand âge -, corps d'individu.e.s étiqueté.e.s de troubles psychiques qui recouvrent bien souvent d'autres singularités, handicaps et blessures existentielles méprisés - contribue à l'instauration d'une violence systémique à l'encontre des existences à ces titres qualifiées de marginales. Existences de personnes dont on traverse sans préavis les parois intimes dans leur intérêt muet, avec néanmoins le consentement trouble et indirect des proches et familles. Protocole paternaliste haletant la toute puissance décisionnelle de la part du cortège médical, quant au « bon déroulement » des soins.

   En pareille situation de prise d'otage du corps et de l'esprit, en dissociation captive, nous autres patient.e.s ne sommes plus en possibilités de faire valoir nos droits, d'exercer notre esprit critique, signifier notre intime consentement, de nous indigner et de réagir, prendre du recul ou pouvoir dire non, S. T. O. P., ceci est mon corps, vous ne pouvez pas faire ça.

   La résistance aux soins, en tant que sain et instinctif signal d'alerte pour sa peau, n'amène tristement qu'à l'alternative unilatérale du calfeutrement en chambre d'isolement, au risque amplifié de la contention, de sédation massive pour une plus grande compliance au protocole infligé.
   Ces combinaisons de médicaments que nous nous voyons déglutir quatre fois par jour et « si besoin » davantage, altèrent objectivement - et sur le plan de la clinique - notre capacité d'entendement du déroulement sensé et consenti des gestes de soin ; effacent, soit dit au passage - en partie ou en intégral - à notre souvenir tourbe, les humiliations et protocoles inacceptables, les soumissions et gestes abusifs.

   La résistance aux soins n'amène guère à d'autre destination pour la personne que le calfeutrement en chambre d'isolement, au risque amplifié d'être contentionnée, sinon massivement sédatée pour une plus grande adhésion au protocole infligé. Ces combinaisons de médicaments que nous sommes contraint.e.s de déglutir quatre fois par jour à plus « si besoin » altèrent cliniquement notre capacité d'entendement d'un déroulement sensé et consenti des gestes de soin ; effacent au passage - en partie - de notre souvenir, les discours et actes inacceptables, les abus.

   Je dénonce - de l'expérience à la perpétuation en pratique - ce massacre de la raison propre, cette décomposition des réflexes de survie, de l'habileté de protection en soi, cet effacement complice de la mémoire traumatique au profit d'un contrôle accommodé sur autrui, de telles façons qu'en plus de nous asservir à des décisions extérieures à notre volonté, ces modalités de soin viennent progressivement démanteler toute capacité d'auto-défense, de raisonnement, de réaction face au danger ; danger que l'on devine ô combien ubiquiste dans l'institution, la vie, dans les rapports d'humains à inhumains.

   Du cerveau à l'esprit chimique, tantôt électro-convulsivothérapeutiquement déglingué, nous nous figurons bien en brume quant à distinguer ce qui s'est passé, de ce qui n'aurait pas dû se passer, ce qui s'est peut-être passé, ce qui s'est mal passé, ce qui n'a pas pu avoir lieu.

   À ce jour n'existe, à ma connaissance, aucun dispositif d'accompagnement reconnu, ni aucun soutenu, ni même validé par les services publics, qui permette une reconstruction, une reconstitution de nos frontières corporelles et psychiques, qui nous entraîne à redessiner nos limites intimes après de tels parcours de vie ; de l’acceptable à l'intolérable, sans faire l'impasse sur l'injustice, l'outrage, la diffamation, le viol, la mutilation, de la ruine au massacre des identités aux particularismes.

   Les personnes, qui, comme moi, sont victimes et rescapées de soins sous contrainte à répétition, se retrouvent expressément en situation de vulnérabilité dans le grand bain de la société ; psychologiquement et socialement démunies, dépourvues d'outillage autodéterminé ; celui ordinairement constitué lors du déroulement accoutumé de l'ère adolescente et de la puberté, au cœur de l'expérience des relations interpersonnelles - et de la prédation - à titre d'entraînement. Nous comparaissons en ce sens privé.e.s de la possibilité de construire un rapport équilibré et sécurisant à notre propre corps, ainsi qu'en relation saine aux corps des autres.

Illustration 2
Les pliures en corps © SNG, 2019

   L'hôpital institue à cet égard une fabrique des proies, faisant de nous - et des femmes en particulier - des cibles ou victimes faciles, des profils silhouettés par l'usure et la fragilité palpables, qui sécrètent la maladie, l’isolement, la violence communément intégrée ; des humaines déconnectées de leurs corps inconsidérant leurs émotions, des sauve-la-peau psychiatrisées, et que l'hôpital a relâchées en pâture, en leur subtilisant carapace, film protecteur et âme d'organe.


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Illustration 3
Le tube dissimulé en chevelure mesquine © SNG, 2017

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