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Billet de blog 21 avril 2024

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Danser-partir-flapper en claquettiste de la parole

La silenciation s'assimile à l'invisibilisation, ce que j'incarne parmi d'autres d'un avenir effacé de la carte ; nous nous devons de retranscrire ces trajectoires qui exponentiellement nous stigmatisent et nous renvoient consécutivement au peu d’intérêt que la société porte aux personnes différentes, boiteuses, inadaptées aux codes et au fonctionnement groupal ; d'improprement exister en trop.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

   Fin septembre 2023, j'ai démissionné de mon poste d'artiste et de paire-aidante sur les hôpitaux de Saint-Maurice, et plus exactement sur la péniche L’Adamant.

   La créativité, la résilience, l’énergie, la passion, l’initiative, l’audace, rien n’y a fait.

   Si je peux parler fort, voire scander outrageusement en scène, la plupart du temps, j’écris.

   Nous nous devons de retranscrire ces trajectoires qui exponentiellement nous stigmatisent et nous renvoient consécutivement au peu d’intérêt que la société porte aux personnes différentes, boiteuses, inadaptées aux codes et au fonctionnement groupal ; d'improprement exister en trop.

   Puisqu’inlassablement, notre parole est vidangée de sa crédibilité, de son poids, de sa valeur, si ce n'est rangée dans la cale avec les sacs contaminés, puisqu’au-delà de notre présence vivante malgré tout surnaturelle, les gestes d'accueil, d'hospitalité, de considération, de curiosité positive, d'humilité, d'écoute bienveillante d’égale à égal n’ont lieu que dans des espaces engagés, militants, protégés, alternatifs, nos arrivées et nos départs de ces - pour la plupart - médiocres lieux de soin ordinaires - lesquels nous ont tout d'abord retenu.es en otage, pour ensuite nous réaccueillir en messie carton-pâte - ont lieu dans le silence total et l’esplanade d’indifférence ; pire, l'étouffement du bruit de nos pas en repartant de structures d’hermétiques à poreuses.

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   Tant qu’on en fait pas partie, on entrevoit les personnes souffrant de troubles psychiques comme une catégorie d'êtres secondaire, altérée, qu’on redoute de frôler, ou, pire, de rejoindre. Le jour où l’on bascule de « l’autre côté » se débobine bien souvent une phase prolongée de déni, pour violemment comprendre qu’avoir embrassé cette caste semi-humaine - a minima dans l'inconscient collectif - est un trajet à sens unique.

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   En ce milieu du soin dit-psychiatrique, tous les courants se valent, ou plutôt, aucun d'entre eux n'est à la hauteur de ce qui compose les valeurs humaines. Les brouilles de chapelles qui en sourdent sont même risibles et dérisoires quand les personnes au centre de cette guéguerre d'ego et de titres aux effigies - pour beaucoup désuètes -, les victimes de ces narrations théoriques - plus imprudentes et amochantes les une que les autres, en vue d’exercer fonction et pouvoir assimilé afin de les dompter -, ce sont bien les patient.es qui, en premier lieu, pâtissent et morflent. 

   Alors, j’ai cette chance d’avoir, outre enchaîné des expériences humiliantes, violentes et dégradantes en tant que patiente en psychiatrie pendant une quinzaine d’années, puis de nouvelles formes de mépris et d’invisibilisation en tant que paire-aidante (et accessoirement artiste), d’avoir trouvé cet ailleurs où m’exprimer, où ma voix et ma personne peuvent se frayer un espace juste pour exister, où mon corps se meut sans entrave, maladroit mais sans s’attirer la condescendance, et où ma parole se déploie en gestes, sans, en guise de réponse, susciter la pathologisation inconditionnelle. Cet espace, c’est la poésie.

   Si rien ne change et que tout tangue, au moins, faut que ça danse !

La démission (jazz) © SNG, 2023

   Ma lettre de départ de la péniche en bois, je l’ai délayée sur neuf pages ; neuf pages où j'évoque, au-delà des problèmes de punaises de lit - gravissimes sur le plan sanitaire - méprisés et qui ont rendu mon travail sur place anxiogène (puis impossible), le désintéressement collectif de collègues et supérieur.e.s, professionnel.le.s de santé dans la méconnaissance du sens concédé à ma présence dans l’équipe, du cheminement qui est le mien en décidant d’un retour en milieu d’abordage si hostile, de la difficulté à reconnaître une personne empreinte de valeurs et d’initiatives, de discours critique et d’expériences-outils, de handicaps et de nécessités, d’esprit créatif et institutionnellement décalée, plus aisément assimilable à des étiquettes diagnostiques neutralisées.

   Bien entendu, l’once de personne n’a eu bruit du fait qu’il y a eu en poste une année et demi une paire-aidante sur l’Adamant, et cela n’est probablement pas dû au hasard. 

   L'accueil de tels profils professionnels au sein d'équipe soignantes n’ont pas à voir avec le recrutement d’un.e collègue dont le métier est d’ores et déjà calibré et catégorisé dans la lignée des personnel.le.s reconnu.e.s (et) compétent.e.s. 

   La vérité, c’est que si l’on nous accueille comme n’importe qui d’autre en poste et pour des raisons sincèrement diffuses, on ne met rien en place en l’espace et la philosophie pour intégrer les personnes handicapées et/ou malades et/ou différentes, au titre de volonté fédératrice du changement. 

   La fade réalité, c’est que même les lieux les plus stylés médiatiquement parlant cultivent leurs pensées fripes corporatistes et exclusives, et où il ne serait opportun, pour les personnes ex-assimilées à la dérive, de venir mêler les velléités de leur incomplétude de corps et de pensée.

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   L'humain a imaginé et délimité une sous-division d'ex-congénères englobant les caractéristiques de déficient.e.s, d’inadapté.e.s, d’inadéquat.e.s, d’inutilisables, à occulter au placard ; il s'est pour l'occasion doté des plein pouvoirs de façonner et d’exercer la fonction rassurante et valorisante du sachant (soignant), consistant à surveiller, réajuster et, le cas échéant, punir et agresser ces mêmes personnes inconformes, déplacées en retrait du Monde.

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   Présent partout dans nos vies, nos environnements, les médias, il est frappant d'observer comment le sujet de la santé psychique - indirectement des troubles psychiatriques - est perçu, discuté, discrédité, malmené, réemployé, notamment par les personnes qui détiennent le pouvoir (du ministre au psychanalyste, en passant par l'organe judiciaire...).

   La banalisation et la normalisation des processus de contrôle, de régulation et d'assainissement des personnes en marge en vigueur au sein des institutions de soin psychiatriques révèle sans grande surprise l'aggravation des injustices et détournements vicieux des fonctions du soin « des maladies de l'esprit » à l'endroit des personnes et communautés d'ores et déjà plus vulnérables et discriminées que sont les personnes handicapées, migrantes, pauvres, racisées, analphabètes, détenues, lgbtqia+, les femmes, les enfants, les personnes âgées [...].

Colloque Contrôler la psychiatrie ?, les 9 -10 avril 2024 à la Faculté de Droit de Nantes.

Qui contrôle qui « couac » qu'il Nous en coûte (?) ! © SNG, 2024 (captation : Matthieu Tricaud)

   Revenir travailler dans des institutions publiques de soin depuis l'expérience traumatisante qui est la mienne de ce milieu, c'est quand même une drôle de chose, cela pourrait même sembler un peu fou.

   Muni.e.s d'un CV à trous assimilés à des périodes d'internement, nous n'avons pas l'once de la légitimité sur le marché du travail. Main d’œuvre à la fois vulnérable, décalée, inadaptée et le plus souvent peu chère payée - pour peu qu'elle comble le pourcentage de salarié.es handi' qui dépénalise une entreprise -, la fonction des pair.e.s-aidant.e.s, ou ex-psychiatrisé.e.s, ou encore ancien.ne.s usager.e.s de la psychiatrie, demeure relativement méconnue et gratifiée d'offensante.

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   Avec quelle légitimité faire ce que vous faites, infliger ce que vous infligez (à vos semblables) ; avec quels orgueil et assurance décréter justes et bons vos gestes, vos paroles, vos décisions, sous couvert de surblouses uniformes de la souveraineté psychiatrique qui arrange les mœurs, admet et légitime la manœuvre de domination et de redressement - à votre image - des personnes malades, handicapées, psychiquement dérangées, difformément singulières ; pour contrer la perturbation de l’ordre des choses - encastre à votre réalité hermétiquement toxique ?

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   Si, personnellement, je suis revenue vers ces structures, c'est avec le souhait intense de faire bouger les lignes, d'humaniser les pratiques de soin et de sortir du silence d'autres interné.es défait.e.s de leurs droits, de leur identité, de leur pouvoir d'agir et de décider.

   Or même replongée au sein d'un cadre organisé et soutenu sur les plans institutionnel et universitaire via une formation subventionnée par l'ARS, je n'ai de cesse de quitter mon poste, de démissionner de mes fonctions de paire-aidante, confrontée à de nouvelles scènes de maltraitances de patient.es, de domination totale ou d'abandon de ces personnes, sinon personnellement victime de stigmatisation en qualité de travailleuse handicapée, de personne neurodivergente, ignorée, invisibilisée, assimilée à un pot de fleur « rétabli ».

   La précarité que constituent nos « métiers » mal reconnus en tous points et non plus protégés - est éminente : nous évoluons sans grille salariale claire ni reconnaissance de statut et nature de fonctions occupées, pour la plupart assimilé.es à des adjoint.es administrati.f.ve.s (quand j'ai personnellement mené des études post-bac + 3 + 1 + 3 + 5 + 3 ; + 15 ans d'expérience dans le milieu du soin, même si du mauvais côté de la rambarde), ce qui nous place dans une situation de fragilité constante et renforce notre statut d'ex-patient.es, au regard de collègues et profesionnel.le.s de santé, et surtout de la DRH, avec laquelle les relations s'avèrent - depuis mes expériences - extrêmement tendues et stigmatisantes, sans parler de la médecine du travail, des référent.e.s handicap et syndicats en place, qui, à aucun moment, ne constituent des allié.e.s.

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   Je remercierai ici Mediapart d'offrir cet espace d'expression ponctuel et convie promptement ses journalistes à mener l'enquête quant au difficile, voire douloureux, voire impossible exercice professionnel des pair.e.s-aidant.e.s, médiateur.ice.s de santé-pair.e.s, et autres acteur.ice.s dérivé.e.s de la fonction (diplômé.e.s ou non), au vu de notre parcours antérieur de patient.e.s et de l'accueil complexe qui nous est généralement réservé au sein de structures de soin se réclamant progressistes et propices à un changement de regard porté sur le soin et les troubles psychiques, ainsi que des pratiques qui en découlent.

   On a nécessairement besoin de soutien, de canaux de communication, d'espaces de témoignage et de relais médiatiques de la part de complices et professionnel.le.s pour sortir de l'invisibilité et de l'exclusion systémique, afin de pouvoir vivre décemment sans pour autant entrer dans l'injonction utilitaire de la norme !

SNG

Illustration 3
Paire trans-formatrice © SNG, 2021

La démission (jazz) - vidéo-performance, 2023 
La démission (texte + dessins)
Texte : Qui contrôle qui « couac » qu'il Nous en coûte (?) !


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