Depuis quelques jours, ma famille a les yeux qui brillent. La France a les yeux qui brillent. J’appartiens à la France.
Je suis professeur. D’anglais. Parce que petite, je cherchais à qui je ressemblais le plus. Nous avions la télévision et la radio. Je prenais le parti des indiens et des « marrons » en général. Je me sentais coupable d’aimer mes maîtres et mes maîtresses. Parce que les Français...
Et puis, le temps passe. On s’identifie. Malgré soi. On apprend. On aime. On se fait humilier. Quelquefois. Jamais assez longtemps. Jamais assez fort. Il y a des sentinelles partout autour de soi. L’école, l’hôpital, la justice, les livres, le cinéma. La République, bordel ! Il y a quelque chose de plus fort que les petitesses de cœur ou de foi. Il y a la France. Cette France qui a pris les enfants de mon père sur les bancs de son école républicaine. Au bled, en d’autres temps, on lui avait refusé l’école. Il a suivi l’école coranique. Cette France qui a des valeurs si fortes qu’elles ne s’appuient sur rien d’autre que la foi en ce que nous sommes. Des êtres humains doués de conscience et de raison.
Bien sûr, on peut diviser ce que nous sommes en tout un tas de catégories. La première, j’étais pauvre, la deuxième, je suis une femme, la troisième, je suis arabe, la quatrième, je suis musulmane. Et alors ! Je suis Française. Voilà pourquoi je ne dis rien. Quand des musulmans pleins de fureur commettent l’impensable. Je me dis que j’ai le droit de ne pas me justifier. En quel honneur devrais-je me justifier pour quelque chose qui me fait horreur ? Quelque chose qui heurte profondément mon humanité ? Quelque chose que je n’ai pas fait ? Je suis française à ce point ! Au point d’être jalouse et digne de ma liberté d’être ce que je veux tant que j’ai les mains et la conscience propres. Après tout, je sers la France...
Insultez ma candeur, je vous lirai peut-être. Insultez ma fidélité, je ne voterai pas pour vous. Mais aujourd’hui, tout a changé. Cabu est mort. Cabu, c’est le type qui faisait des dessins à Récré A2. J’étais si petite, que je croyais qu’il était sorti d’un dessin animé. Il n’est pas le seul à être mort. Je pense à tous ceux qui sont morts. Assez Français pour se sentir le droit d’être Juif, se sentir le devoir de protéger et de servir la République avec un crayon, des mots ou en portant un uniforme. Assez Français même pour profiter des libertés qu’offre la France pour la poignarder dans le dos.
On me dit qu’ils ne sont pas musulmans. Ils le sont. Autant qu’ils sont Français. Différemment. Furieusement. Traitreusement. Mais je sais qu’ils étaient musulmans et français. Comme moi. C’est ce qui fait mal. C’est ce qui me pousse à écrire aujourd’hui. A demander Pardon. En mon nom. Pardon, d’avoir fermer ma gueule. Par orgueil. Pardon, de m’être contentée de croire que dans notre communauté il y avait les gens de bonne foi républicaine et les autres. C’est parce que ces autres, ces gens comme moi, comme vous, ne le feront jamais, que les prochains, déjà embusqués préfèreront crever la gueule ouverte sur un « Allah’Ouakbar ! ». Plutôt que de passer devant un tribunal et de demander « Pardon ». Je n’ai pas peur. J’entends ce que vous ne dites pas. Ce que vous n’osez pas réclamer. Et ce qui me manque aussi pour apaiser mon deuil. Pour résister plus fort. Je suis Charlie. Je suis Juive. Je suis un humble serviteur de la France. La République d’abord ! Je vous prie d’accepter ce mot : Pardon !