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Billet de blog 8 mai 2020

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Lettre ouverte à Vincent Lindon. La République des "petits marquis"

La crise du Corona virus a révélé avec éclat les défaillances de nos institutions. Une démocratie ne peut fonctionner quand l’essentiel du pouvoir est détenu par une seule personne. Notre vie publique est gangrenée par les dérives permanentes d’un système dépassé.

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Lettre ouverte à Vincent Lindon

La République des "petits marquis"

J’ai lu avec attention sur Médiapart votre interview. Durant cette lecture je me suis senti en accord, comme rarement à la lecture d’un article de presse. Je partage en grande partie votre analyse et, bien que je ne me fasse peu d’illusion sur la nature humaine et surtout sa propension naturelle à l’oubli, il m’arrive de penser quand même qu’il y a peut-être quelque chose à faire. Non pas pour changer radicalement notre société (j’y ai cru, je n’y crois plus) mais pour balancer un pavé dans la mare et tenter de renverser la table pour qu’au moins, les gens se disent, oui, il faut faire quelque chose et qu’au mieux un peu plus d’intelligence, de bon sens et d’humanité contribuent aux décisions de nos responsables.

Oui, cette constitution taillée sur mesure pour un homme hors du commun dans une période exceptionnelle (échec de la quatrième république, décolonisation, Guerre d’Algérie et rébellion de chefs militaires) n’est plus adaptée au monde d’aujourd’hui. C’est une hérésie de faire reposer la responsabilité de la marche d’un pays et le pouvoir qui va avec sur les épaules d’un seul homme. La monarchie républicaine qu’engendre cette constitution facilite la montée en puissance d’une horde de petits marquis complètement coupés de la réalité du monde.

Oui le fossé s’agrandit en permanence entre ceux qui bénéficient d’un système inique et ceux qui le subisse. Selon une étude du journal l’humanité en 2011, seulement 6,3 % d’enfants d’ouvriers (alors qu’ils représentent 25 % de la population) et 51 % d’enfants de cadre (11 % de la population) accèdent aux classes préparatoires des grandes écoles. En 2019 sur 100 étudiants à l’université, 12 sont des enfants issus de milieux populaires, 35 sont des enfants de cadres, les 53 autres sont issus des classes sociales privilégiées (Chefs d’entreprise, professions libérales, cadres supérieurs…).

 Oui, les richesses, produites par tous ne profitent qu’à certains : les "premiers de cordée" : quel mépris, quelle morgue que cette expression ! Indigne de celui censé représenter l’ensemble des Français.

 Oui dans l’urgence d’une crise qui va irrémédiablement davantage affecter les plus démunis il faut partager. Votre proposition d’une contribution "Jean Valjean" est une très bonne idée. La suppression de l’impôt sur la fortune fut une faute grave tant dans le domaine de la solidarité nécessaire à toute vie de groupe (la Nation est un groupe) que dans le domaine de la communication. Le message envoyé et reçu par tous est : « Je favorise une catégorie de Français et pas les autres ».

Oui, cette crise du Covid-19 met en évidence, la maladresse (affirmations et contre affirmations répétées) le manque de préparation (annonce du confinement en même temps que l’annonce du maintien du premier tour des élections municipales, ce qui était inutile et a contaminé encore plus de personnes), la suffisance (je suis votre père et je parle à des enfants), l’incapacité (scandale des masques), bref l’incompétence d’un système à bout de souffle et qu’il faudrait bien changer.

Problème, ce système convient parfaitement à nos caciques. Le costume du père De Gaulle, même s’il est trop grand pour nos "petits marquis", donne de la superbe, de la grandeur, surtout du pouvoir et fait illusion sur beaucoup. On ne touche pas ! Et ce sera très difficile de faire changer les choses dans ce domaine. Seul le président de la République ou une majorité de parlementaires ont en main les moyens de transformer la constitution. Autant dire que ce n’est pas pour demain.

Et pourtant !

 Ce système, basé sur la désignation une fois tous les cinq ans d’un grand Sachem qui régente tout, qui est l’État à lui seul, est en crise. Depuis deux présidences le chef de l’État en place a été remercié au bout de son premier mandat. Sa popularité, très forte au moment de l’élection et d’un temps de plus en plus court "d’état de grâce", ne cesse de s’éroder au fil des mois d’exercice du pouvoir. Rien ne dure dans cette République "kleenex", tout est bon à jeter, même avant usage. Les efforts de l’un profitent un moment au suivant pour vite être oublié car rien ne dure non plus pour le quatrième pouvoir, miroir de notre monde qui marche sur la tête, entraîné dans cette course sans fin par les projets d’aujourd’hui qui deviennent rapidement les chimères de demain.

 Alors, que faire, sinon attendre la prochaine présidentielle pour compter les points entre deux ego finalistes ?

 En France il est une tradition, souvent décriée parfois même par ceux qui l’ont fait leur a un moment de leur vie : "renverser la table". 1830, 1848, 1870, 1936, 1953, 1968, 2018… Ces révoltes qui disent "non" au pouvoir en place. Ces "coups de gueule" populaires ont fait parfois avancer la société. Ils ont aussi parfois été sanglants.

Peut-être faudrait-il un "coup de gueule" intelligent, non violent mais déterminé.

Sous quelle forme ?

Le référendum d’initiative populaire n’est pas constitutionnel.

 Dans un premier temps, une pétition nationale, massive reliée par les médias aurait l’intérêt d’ouvrir un débat. Une pétition qui exigerait des changements utiles et précis :

— La suppression de la réforme des retraites,

— La suppression de la réforme du chômage.

— La mise en place d’un impôt solidarité : "contribution Jean Valjean"

— La mise en place d’un salaire universel.

— La construction de logements HLM dans les villes. (Un programme d’au moins 50 000 logements)

— L’insertion dans les programmes scolaires d’heures d’éducation civique qui comprendrait l’explication des rouages de notre société. (Nature des services publics, apprentissage de la vie en commun, condamnation du racisme, de l’antisémitisme, du sexisme, de l’homophobie, de la xénophobie…)

— Lancement d’un plan (type plan Marshall) d’investissement massif dans les énergies renouvelables.

Cette liste n’est pas exhaustive.

Il faudrait aussi poser dans le débat généré par cette pétition les bases d’une autre République, même si cette initiative n’appartient qu’au chef de l’État et aux parlementaires. Une République où la gestion de nos vies publiques n’appartiendrait pas à un seul homme, mais à un collectif souverain de Français responsables : peut-être un congrès se réunissant plusieurs fois dans l’année qui donnera les grandes lignes de la marche à suivre. Il serait composé de parlementaires, de maires, d’élus départementaux, régionaux, de syndicalistes, de représentant de la société civile (issus du milieu associatif par exemple). Un collectif, bien sûr élus par tous les Français.

 Hubert Hervé

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