Il s'inspire d'un recueil de textes de Julien Prévieux, qui a répondu pendant huit ans à des offres d'emplois par la négative. Avec cinq interprètes sélectionnés par petites annonces, le metteur en scène tente de « donner corps à un texte a priori inadaptable », comme il le décrit dans sa Note d'intention. Mais devant l'obstacle textuel que représentent les Lettres de non-motivation, la marche, pour Vincent Thomasset, était sûrement trop haute.
Ecran de fumée
Autour d'un banc en bois et d'un vieux micro, un écran blanc est planté. Première lettre. François Lewyllie arrive, déclame avec timidité sa non-motivation, et se tait. Il reste en place. Silence. Puis on lit sur l'écran la réponse automatique de l'employeur. Rires dans la salle. Forcément, car le texte est drôle et décalé ; il touche chaque personne qui se confronte à la recherche d'emploi. Deuxième lettre. Anne Steffens rejoint son collègue, récite sa lettre, elle refuse le poste : la verrerie, c'est pas dans l'air du temps. L'écran affiche la réponse de l'employeur. Poliment, il lui explique que ce travail concerne des gens qui ont vraiment besoin du poste, et s'il n'est pas intéressé, qu'il aille voir ailleurs. Soudain une gêne s'installe.
Vincent Thomasset voulait éviter « l'effet catalogue », pour un texte rugueux et répétitif. Mais en usant de l'écran comme véritable acteur comique, le procédé perd en pertinence. S'il est drôle lorsque la réponse de l'employeur est arbitraire, les réponses originales semblent fades. Ce passage obligatoire au virtuel donne un tempo décousu à la pièce, en obligeant le spectateur à lire en vitesse ce qui est projeté.
Désireux d'inventivité
Les interprètes se succèdent, et mettent en forme le texte comme une suite de sketchs. Ce qui manque dans ce spectacle, c'est une plus grande créativité. Dans la monotonie de la mise en scène, les actes différents apparaissent comme une bouffée d'art frais. Le voyage d'une lettre, partant de l'entreprise jusqu'à la lecture du candidat, fonctionne : c'est le récit intime d'un processus méconnu. Parfois le metteur en scène investit pleinement le texte, en déformant les rapports de force, ou en incarnant le phrasé de l'employeur et du candidat. Devant une interprète à la tête basse, comme opprimé, Johann Cuny mime la réponse négative d'un RH, les sourcils froncés et le geste accablant. On entend la lettre en voix-off. L'objectif de l'« L'hyper-jeu », tant voulu par Thomasset, est atteint. Il l'est rarement pendant l'heure à peine dépassée de la pièce.
Salutations distinguées
Le projet de Julien Prévieux est comique. Il exploite le paradoxe d'une lettre de motivation. Pour le candidat, il s'agit de camoufler la simple nécessité d'avoir un job, pour mettre en valeur son dynamisme et son éventuel parcours. Pour l'employeur, mieux vaut décrire l'avenir radieux qu'il propose, plutôt que le nombre petit en bas de la fiche de paie. Dans ce jeu de mensonges admis par la société, l'artiste livre aussi un projet social. La rigidité du protocole, l'obligation de la performance, le caractère déshumanisé des réponses automatiques. Or Vincent Thomasset l'a confié : son théâtre n'est pas social, et pour ce spectacle, les deux amis ne se sont pas concertés. Chacun est resté à sa place. Dans sa Note d'intention, le metteur en scène explique que « le projet ne pardonne pas les erreurs, le théâtre outrancier, ou encore, l'approximation ». A trop vouloir s'écarter des extrêmes, on obtient un rendu flou, inadapté aux critiques mises en évidence par Prévieux. Surtout lorsqu'il s'agit de problématiques concrètes.
Soyons clairs, le théâtre peut ne pas être engagé. Mais quand un spectacle est issu d'un matériau social important, la création artistique doit être là pour créer de nouvelles voix, susciter des émotions inédites. Lorsqu'elle est insuffisante, le rire devient moquerie, et le spectacle, bancal.
Informations :
Du 10 au 21 novembre, au Théâtre de la Bastille
Conception, mise en scène : Vincent Thomasset
Texte : Julien Prévieux
Avec : David Arribe, Johann Cuny, Michèle Gurtner, François Lewyllie, Anne Steffens