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Billet de blog 7 décembre 2015

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Gisèle Vienne tire ses ficelles aux Amandiers

A l'occasion du Festival d'Automne, Gisèle Vienne met en scène The Ventriloquists Convention au théâtre des Amandiers à Nanterre.

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Dans la « salle transformable », les spectateurs vont pouvoir s'immerger dans l'art de la ventriloquie et les dialogues de neuf marionnettistes. Mais à J-1 de la grande première, ce sont les techniciens qui peuplent cet espace. Si leur langue précise peut surprendre dans ce brouhaha, l'ambiance est pourtant apaisée. Car beaucoup d'entre eux apprécient le travail en amont de l'artiste-associée aux Amandiers. Organisée, elle est aussi touche-à-tout dans l'envers du décor. Reportage.

TÊTE EN L'AIR ET VOCABULAIRE

« Attends, attends. T'es pas raccord entre jardin et cour, tu peux rattraper deux ou trois maillons ? » « Là, c'est lointain jardin, non ? » « Ouais, enfin de mon côté quoi ». Dialogue parmi d'autres dans la salle transformable, et transformée. Une traduction ? Elle est nécessaire pour un quidam, médusé mais amusé devant ce langage ardu. Jardin égal côté gauche, cour égal côté droit. Vue prise de la scène, bien entendu. « Techniquement, c'est un spectacle précis mais léger », assure Michael Petit, le directeur technique du théâtre de Nanterre. Pour l'instant ce sont les équipes plateau et lumière qui circulent sur une scène en chantier. Des escabots, des caisses à outils, et cinq hommes qui s'affairent sur la « rampe », ces longues barres qui supportent la cinquantaine de projecteurs réquisitionnés pour la pièce. Des cris rebondissent à intervalle irrégulier, certains viennent même d'en haut. « Attention, trappe ouverte ! », et c'est le ciel qui s'ouvre, le temps d'un réglage de projecteur. Véritable faux plafond, le « grill » est accessible et permet d'ajuster les rampes, placer des perches, des rideaux, et des éléments de décor.

C'est une des particularités de la salle transformable. « Dès le début, on savait que la pièce allait se dérouler ici. Le plus important, c'est le rapport entre l'oeuvre et la salle dans laquelle le spectateur se trouve. On peut tuer une pièce si on la met dans une salle qui n'est pas adaptée » précise d'une voix timide Michael Petit, plus habitué à parler aux techniciens. La capacité, normalement de 480 places en configuration frontale, a d'ailleurs été réduite. Avec certaines rangées de sièges prélevées, on sent la patte volontaire de la metteuse en scène. « On a été obligé de couper la salle, Gisèle a besoin d'un rapport de proximité avec le public ». C'est la tâche d'Ahmed Djedidi, technicien machinerie au plateau qui travaille depuis 10 ans aux Amandiers. Jonglant avec une clef à molette, il présente l'équipe. « J-C est à la lumière, le petit là, c'est Momo, le chef d'équipe, après il y a « Polo », c'est le régisseur plateau ». L'ambiance paraît sereine. « Il n'y a pas plus cool que cette équipe. Là c'est tranquille, parfois il faut carrément gérer des semi-remorques ». L'Idiot ? C'est peut être ce à quoi fait référence le technicien, lorsque Vincent Macaigne, en novembre 2014 mettait en scène le célèbre roman de Dostoïevski. «Une sorte de compilation de tous les effets de théâtre qu'on peut imaginer, mis à part peut-être les dessous de scène », raconte Michael Petit, en riant jaune.

Illustration 1
The Ventriloquists Convention" © Gisèle Vienne

Un gros travail aussi pour la costumière des Amandiers, Pauline Jakobiak, qui, dans les loges, se remémore les longues nuit de travail. « A chaque représentation, une femme se vidait une bouteille entière d'huile d'olive. Je devais la laver pour le lendemain, il n'y avait pas de costumes de rechange. » Rien à voir avec The Ventriloquists Convention, puisque les costumes des comédiens sont livrés depuis un atelier de Halle, en Allemagne. Devant le soulagement visible de cette habituée des Amandiers, qu'elle côtoie depuis 1989, trois pairs d'yeux lancent impassibles des regards de verre. Ce sont les trois marionnettes. Figées sur le canapé, leurs jambes ne dépassent pas l'assise. Un visage blanc immaculé, en k-way et perruque blonde à droite. Un mini Kurt Cobain avec une corde au cou au milieu. Et à gauche, une tête apeurée, rouge de peur et la bouche ouverte. « Pour celle-ci, ce sont de vraies dents » ajoute la costumière. Rassurant.

CAMBOUIS D'ASSOCIÉ

Le soucis du détail, c'est une des qualités appréciées par l'entourage de Gisèle Vienne, qui passe discrètement sur le plateau, pour prodiguer ses derniers conseils aux régisseurs. Toujours présente dans l'envers du décor de ses spectacles, sa formation d'art plastique lui permet d'être à l'aise avec les éléments esthétiques de son spectacle.. Elle conçoit d'ailleurs elle-même ses scénographies. « Elle est marionnettiste à la base. Elle adore mettre les mains dans le cambouis » reconnaît avec fierté Michael Petit. A J-1 avant la première, la metteuse en scène n'a pas l'air stressée. Dans les croisements du couloir des loges, elle se pose, calmement. « On vit dans un quotidien d'excitation et puis on doit aussi garder le stress pour soi, surtout dans un travail d'équipe. Sinon, on tient pas le coup dans cette profession ». Accessible, elle embraie sur son intérêt pour toutes les équipes du théâtre. « Les spectacles se construisent. Chaque métier autour de la pièce est passionnant. J'aime autant le travail de l'habilleuse, du machiniste, que des régisseurs lumières. Personne à aucun poste n'est que pur exécutant ». Elle donne également beaucoup d'importance à l'univers sonore. « J'ai pratiqué la musique et quand je parle avec les musiciens, j'ai un bagage, je parle un peu leur langue ».

 Polyglotte et polyvalente, la marionnettiste de profession bénéficie aussi d'un espace de liberté conséquent au théâtre des Amandiers, qui est le plus gros Centre Dramatique national de France (CDN). Artiste-associée depuis l'arrivée à la direction de Philippe Quesnes en 2013, au côté de Joel Pommerat et Vincent Macaigne, Gisèle Vienne profite de toute la confiance de ses collaborateurs, même si les univers de ces trois metteurs en scène sont radicalement différents. Le statut d'artiste-associé, spécifique au théâtre public et donc subventionnés principalement par l'Etat et le département, est assez vague et adaptable à chaque lieu. Néanmoins, comme le rappelle l'Office Nationale de Diffusion Artistique (ONDA), « un certain nombre d'engagements de l'artiste sont attendus, en terme de création, de temps de travail dans le lieu, d'implication dans la communication et les relations publiques pour sensibiliser au projet du théâtre ». « Ce sont des aventures partagées » résume poliment Elvire Diehl, la chargée des relations du théâtre avec les universités. Philippe Quesnes a apporté « de vraies condition d'accueil et de répétitions, pour permettre la création » dans ce partenariat multiforme entre l'artiste et le théâtre, qui parfois, a son mot à dire. «Elle voulait explorer le jeune public, mais bon... Gisèle Vienne, Dennis Cooper (son écrivain fétiche, star de la littérature punk), et les marionnettes... On a abandonné l'idée ». Technicien lumière, Jean-Christophe Soussi arrive enfin derrière la régi, situé en haut des gradins. Il souffle. « Mais qu'est-ce-que c'est ce bordel, c'est pas la bonne gélatine ». Et en haut, on gronde, moqueur « Bah voilà, les mecs de la lumière arrivent pour leur test, on va être obligés de travailler dans le noir ». Le cambouis n'est pas fini. 

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