Tout juste nommé directeur du Ballet de l'Opéra de Paris, Benjamin Millepied présente son premier spectacle intitulé « Clear, Loud, Bright, Forward ». Le chorégraphe de 38 ans, ex-étoile du New-York City Ballet, entendait faire vaciller l'institution. Pari réussi puisque son œuvre, resserrée et très attendue, semble lancer une ère nouvelle pour cette saison.
En moins d'une heure, Benjamin Millepied nous donne à voir une chorégraphie libérée et décousue par des moments de tensions affirmés. Le chorégraphe insiste sur deux harmonies : celle d'un couple amoureux, aux gestes précis et à l'émotion lente, et celle du collectif, qui se rassemble et se sépare dans une sorte d'écoulement. L'émotion circule entre une tradition d'un duo amoureux et les mouvements rompus des autres danseurs, que la lumière démultiplie. Il y a une tension sociale -un élément nouveau à l'Opéra de Paris- qui se retrouve dans l'espace, et dans une chorégraphie qui sans cesse se divise et s'observe.
Cette tension est appuyée par le travail musical, qui naît d'une double variation de Prokofiev et Tchaïkovski. Les accents aigüs morcèle le geste des danceurs, créant ce sentiment entre la fascination et la crainte d'une surprise. Millepied parvient à modeler l'émotion par le mouvement et parfois le « non-mouvement », en témoigne cette scène complexe où le duo amoureux compose amplement, par des courbes régulières, devant le reste des danseurs, stoïques et spectateurs. Le chorégraphe semble presque créer une mise en abyme du public, qui devrait à son tour se libérer. C'est sans doute l'appropriation moderne et créative qu'a voulu transmettre Benjamin Millepied, s'inspirant également de George Balanchine, le chorégraphe russe, et de Jérôme Robbins.
Par ce travail sur la naissance d'une émotion, et sa capture par un collectif, le spectacle offre un moment intense et condensé. A souligner également le rôle de la lumière, dirigée par Lucy Carter, qui passe d'une blancheur opaque, un rouge mystique, pour s'étaler finalement sur les murs dans une sorte d'aurore boréale.
Benjamin Millepied livre la vie d'une émotion. Sa naissance, unique, jusqu'à son terme, c'est-à-dire lorsqu'elle est appropriée par d'autres. Les codes sont cassés et l'intention du chorégraphe est limpide : la transmission de la danse.