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Le climat : fer de lance de l’écologie politique
Lorsqu’on parle d'écologie, le thème qui revient le plus souvent est sans aucun doute celui de la pollution liée à l’énergie. Historiquement, les premiers mouvements d'ampleur se sont construits en opposition au nucléaire militaire, puis civil et à partir de la signature du protocole de Kyoto lors de la COP 3 de 1997 ce combat a peu à peu perdu sa place au profit de de la lutte contre le dérèglement climatique. C’est en tout cas le sujet qui rassemble aujourd’hui le plus de militants au point de faire de l’ombre à d’autres causes telles que l’effondrement de la biodiversité. Médiatiquement l’écologie politique est quasi synonyme de lutte climatique.
Pourtant en 1988, lorsque le premier écologiste rentre au gouvernement, Brice Lalonde, l’écologie politique est loin de la popularité que connaissent aujourd'hui les marches climats. Ce mouvement est devenu, depuis, un sujet médiatique de premier plan. Si bien que de nombreuses rédactions au sein de grands médias ont maintenant un pôle dédié à l’écologie ou l’environnement. Europe Ecologie Les Verts (EELV), nouveau nom des Verts, s’est joint à d’autres mouvements, se revendiquant principalement de gauche, en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique, et en a fait l’un de ses chevaux de bataille. Pourtant c’est vite oublier que l’écologie politique, c'est-à-dire celle qui vise à lutter contre les dégradations de l’environnement pour préserver les interactions que l’humain entretient avec ce dernier, ne se limite pas à la lutte contre le changement climatique. Pour EELV c’est d’ailleurs la philosophie de “réconciliation et de respect de l’environnement et des êtres humains. La volonté de replacer au centre des valeurs démocratiques la solidarité plutôt que l’individualisme, la coopération plutôt que la compétition, le temps long plutôt que les décisions à courte vue, l’intérêt général plutôt que la somme des intérêts particuliers, la démocratie citoyenne en lieu et place de la technocratie ou des populismes. Un projet de transformation global portant sur l’environnement, l’économie, le contrat social.“ Les Verts, dont la naissance remonte à 1984, dix ans après la candidature de l’écologiste René Dumont à la présidentielle, se sont construits, à l’image des écologistes dans de nombreux autres pays, sur la lutte anti-nucléaire. D’abord contre la prolifération des armes nucléaires, puis contre le nucléaire civil. Depuis son élection à la tête du parti en décembre 2022, Marine Tondelier a insisté sur ce point à plusieurs reprises. Ce positionnement n’a pas foncièrement changé et reste une marque forte de l’ADN du parti si l’on en croit les textes officiels : sortie progressive du nucléaire, pas d’enfouissement irréversible des déchets, augmentation des ressources de l’ASN. C’est d’ailleurs l’un des principes fondamentaux pour adhérer à la charte du parti qui requiert “Le refus du nucléaire militaire et l’engagement en faveur de la sortie du nucléaire civil.” Un ancien secrétaire des Verts Paris, appelons le Pierre, m’assure “qu’il y a une forme de communion politique autour de l’analyse anti-nucléaire”.
Retour du nucléaire sur le devant de la scène…
Personne ne peut ignorer le retour du nucléaire dans le débat public depuis quelques années, simultanément à un regain d’intérêt au sein de la population française après une chute nette de popularité post-Fukushima. D’après le sondage Elabe de novembre 2022 70% de la population française serait favorable à la construction de nouveaux réacteurs, et 60% en complément des énergies renouvelables. Le Président de la République Emmanuel Macron, qui a soutenu la décision du gouvernement socialiste de François Hollande d’entamer la procédure de fermeture de Fessenheim et l’a acté lors de son premier mandat, a également changé de stratégie. Il a annoncé en début 2022 sa volonté de relancer la filière nucléaire française en programmant la construction potentielle de 14 nouveaux réacteurs, au grand dam des écologistes d’EELV. Bien que la position officielle défendue par EELV soit toute autre, elle n’a pas empêché de nombreux sympathisants favorables à la construction de nouvelles centrales nucléaires de voter pour les écologistes aux présidentielles 2022.

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Cette croissance du nombre de sympathisants favorables à la construction de nouvelles centrales est également corrélée à un discours moins virulent de la part des représentants du parti sur la sortie du nucléaire. Lors de la présidentielle de 2017 Yannick Jadot appelait de manière fervente une sortie du nucléaire à l’horizon 2035 ainsi qu’à la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, définitivement arrêtés en 2020 par ailleurs. En 2022 cependant ces revendications ne semblent plus du tout au centre de la campagne de l’écologiste, qui ne prévoit la fermeture que de 10 réacteurs d’ici 2035 avec une sortie définitive encore plus lointaine, entre 2040 et 2050 et “en concertation avec les citoyens et les collectivités”. Il ne s’agit pas de mettre de l’eau dans son vin sur le nucléaire mais plutôt de répondre à d’autres attentes rappelle Pierre :
« On nous rejoint pour défendre des causes qui vont au-delà de l'écologie. Et il s'agit surtout d'un problème d’agenda politique. Dans une campagne présidentielle, les sujets débattus dépendent avant tout des questions posées par les médias. En 2022 ça a été les sujets de Zemmour. Ce n'est pas parce que des sympathisant disent qu'ils pourraient envisager le nucléaire, que la position des verts a changé. »
D’un point de vue électoraliste il n’y aurait pourtant rien d’étonnant à ce que les discours des cadres d’EELV évoluent avec l’opinion publique, et notamment avec celle de ses potentiels électeurs comme l’explique Nicolas Barla sur Twitter. En Finlande le parti écologiste a fait évoluer sa position officielle et s’est déclaré favorable aux centrales nucléaires lors de son assemblée nationale de 2020 pour combattre le réchauffement climatique. En Allemagne les Grünen ont formé une coalition étonnante avec les libéraux du FDP au sein du nouveau gouvernement d’Olaf Scholz. Le nouveau ministre de l’économie issu des écologistes a finalement été contraint de faire un compromis et d’annoncer en octobre 2022 la prolongation de l’exploitation de plusieurs centrales en réaction à la crise ukrainienne.
… Et jusqu’au sein même du parti
Au delà de la pression électoraliste, EELV est confronté à un phénomène inédit de son histoire, à savoir, des adhérents prêts à ouvrir le débat sur le nucléaire. A l’image du mouvement écologiste international, leurs arguments et préoccupations principales sont relatives à la lutte contre le changement climatique. Un élu lyonnais raconte son évolution sur le sujet du nucléaire :
« A la base j'étais plutôt anti nucléaire, sans avis particulièrement tranché. J'avais peur des déchets radioactifs de longue durée. En interagissant avec mes camarades d’EELV et les argumentaires anti-nucléaires j’ai voulu écouter des arguments contradictoires pour me faire un avis éclairé. Aujourd’hui je ne pense pas que nous arriverons à nous sevrer sans douleur à la fois du fossile et du nucléaire, et je pense que les impacts du nucléaire sont du même ordre de grandeur que ceux des énergies renouvelables, c’est-à-dire sans commune mesure avec ceux des énergies fossiles. Je sais que cet avis est loin d’être majoritaire au sein du parti, mais je ne me sens pas pour autant marginalisé, EELV possède une forte culture démocratique. »
Les militants les moins hostiles au nucléaire ne sont pas les seuls à appeler au débat. Celui que nous appellerons Alexis, jeune écologiste et conseiller fédéral au parlement interne est quant à lui fermement opposé à la construction des nouveaux EPR. Pourtant d'après lui le sujet devrait être discuté :
« Je reste un anti nucléaire, mais j’ai un discours plus modéré sur le parc actuel que certains anciens militants des Verts qui ont connu les grandes luttes anti nucléaires et qui voient d’un mauvais œil les nouveaux adhérents dire que le nucléaire existant n’est pas si terrible. EELV a beaucoup évolué ces dernières années, ce qui peut expliquer notre succès aux élections européennes. Alors que nous étions moqués à cause des nombreuses motions et des luttes internes, le parti a aujourd’hui réussi à se mettre d’accord sur une motion de synthèse. Nous sommes réunis sur certains fondamentaux. Mais je pense qu’il faut tout de même ouvrir le débat sur le nucléaire afin que lors des prochaines échéances électorales nous soyons au clair sur une position vraiment partagée par tous. Sans doute un entre-deux. Il y a une liberté de penser au sein d'EELV, et ce n'est pas le national qui donne les consignes, les militants ont le droit de penser ce qu'ils veulent. Les positions très fermes contre le nucléaire, qui ne sont plus majoritaires dans le parti, qui ne vont plus de soi, doivent être débattues. Et c'est à travers le débat que nous trouverons une solution pour contenter tout le monde. En dehors du parti je connais beaucoup de jeunes écolos pas du tout anti nucléaires et nous arrivons très bien à travailler ensemble, il n'y a aucune exclusion. »
A la capitale le discours est différent. Pierre, lui, n’a jamais été directement confronté à d’autres militants portant des arguments pro nucléaires :
« Personne ne remet en question la position du parti. Le programme possède une légitimité, issue d’un processus démocratique, et si des adhérents ayant une vision différente existent, ils ne sont qu’une minorité, sans organisation, ni réelle influence. Aucune motion ne défend la construction de nouveaux EPR. Concernant l’opinion publique, ce qui explique ce retournement c’est le lobby nucléaire qui a profité de l’inquiétude légitime vis-à -vis du changement climatique, de la réouverture de certaines centrales à charbon en Allemagne, et de la guerre en Ukraine pour effectuer une percée médiatique, c’est pourquoi une partie de la population voit cette technologie comme un mal nécessaire. »
Il appelle de ses vœux EELV à répondre immédiatement. Sur France Inter Marine Tondelier a dénoncé les propos de Jean-Marc Jancovici qu’elle qualifie de “mensonges” et s’est adressée à la génération de militants climats, parfois proches des Shifters ou de Pour un réveil écologique, qui, regrette-t-elle, sont de moins en moins critiques sur le sujet du nucléaire. En plein débat sur le projet de loi d’accélération du nucléaire, début mars elle a notamment appelé à une convention citoyenne sur le nucléaire arguant que “si l’on tire au sort 150 personnes, qu'elles travaillent le sujet en ayant un débat contradictoire et rationnel, je fais le pari qu'en sortant leur avis ne serait pas en faveur du nucléaire”. Philippe Mante, ancien responsable de la commission énergie d’EELV, qui se fait appeler M Nucléaire est lui aussi sur le coup “il organise des formations internes sur les argumentaires anti nucléaire” m’explique un élu. Il n’a malheureusement pas répondu à mes sollicitations pour cette enquête. De son côté, Suzanne, qui préfère rester anonyme, militante parisienne depuis 3 ans, m'a confié être rassurée que la France n’ait pas dénucléarisé massivement comme l’a fait l’Allemagne, d’autant plus dans ce contexte de pénurie d’électricité.
« A force de lire des articles scientifiques j’ai fait évoluer ma position anti-nucléaire. Je pense que le rapport bénéfice risque des réacteurs nucléaires n’est pas aussi mauvais que la position officielle du parti ne le laisse penser. Même si je ne suis pas non plus prête à dire qu'il faut en construire de nouveaux. Dans les deux camps il y a des gens très prosélytes et en tant que femme je trouve difficile d’émettre des doutes. Certaines personnes de mon entourage ayant également un peu fait évoluer leur position n’osent pas le dire. » regrette-t-elle, « Le fonctionnement du parti reste très démocratique mais il y a certains sujets sur lesquels même les gens modérés qui se posent des questions ne sont pas encouragés à débattre. Cet été j'ai rejoint un mouvement de désobéissance civile non violent parce que je pense qu'il ne faut pas uniquement être dans l'avion pour le détourner mais il faut aussi casser l'avion, le système. »
S’étant largement démocratisé, l’écologie politique n’est plus, en effet, l’apanage d’EELV. Le symbole de cette nouvelle écologie est bien entendu la jeune suédoise Greta Thundberg, qui a récemment été arrêtée par des policiers allemands lors d’une manifestation contre le projet d’extension de mine de charbon à Lützerath, outre-Rhin. Fin 2022 elle avait lancé un pavé dans la marre, remettant en question la décision allemande de fermer ses centrales nucléaires “Personnellement, je pense que c’est une très mauvaise idée de miser sur le charbon tant que les centrales nucléaires fonctionnent encore.” Choquée par ces propos Géraldine Boyer, tête de liste de la motion Rebellion ! Construction candidate au congrès 2022 d’EELV, et particulièrement critique envers l’atome, a rapidement réagi “applaudie par la droite et le RN après avoir été méprisée, Greta suscite chez nous un très grand malaise, alors nous pensons qu’elle doit avoir une parole très claire sur le nucléaire sinon elle sera discréditée par les écologistes du monde entier[...] non Greta le nucléaire n’est pas cool” . Rébellion ! Construction n’emportera que 4,33% des voix, “du coup ils n’ont personne au bureau exécutif” m'explique-t-on “Les autres mentions n’ont absolument pas abordé le sujet nucléaire lors du débat du congrès, soit parce que leur position est évidente, soit parce qu’en parler risque de cliver et ce n’est pas stratégique électoralement”. Cette pudeur n’est pas sans agacer certains militants, qui ont décidé de proposer la création d’une nouvelle motion destinée à réaffirmer les valeurs fondamentalement opposées à l’énergie nucléaire d’EELV.
modifié le 11 avril : la motion a été voté par les membres du Conseil fédéral qui se sont rassemblés les 1 et 2 avril 2023

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L’heure des choix
La croissance de l’opinion publique favorable au nucléaire, et l’agenda politique avec les annonces du Président de la République, incitent de nombreux partis politiques à s’exprimer sur le sujet. Adrien Martin, militant et chercheur sur le climat actif au niveau local en Auvergne-Rhône-Alpes pense que le débat devrait être mis sur la table, afin de redéfinir la stratégie du parti :
« Une partie des militants veut que le parti gouverne et est prête à faire des compromis, même si ce n’est pas le cas de tout le monde. D’autres voient le parti comme un moyen de pression et de visibilité dans leur militantisme. Et ils n’ont pas tort, nous n’avons pas forcément besoin d’être au gouvernement pour peser sur la politique du pays. Je crois qu’il y a pleins de raisons d'être anti-nucléaire mais je regrette les propos dans les médias de certains élus qui, je trouve, disent beaucoup de contre-vérités, à la fois sur le nucléaire, sur les vaccins, l'homéopathie, et tout ce qui concerne l'électro sensibilité. Je pense que ça décrédibilise notre parti du point de vue scientifique. »
Dernier point effectivement regrettable et sur lequel le parti ferme trop souvent les yeux, à l’image de la députée Julie Laernoes qui agitait tranquillement la théorie du complot du nuage de Tchernobyl arrêté à la frontière sur LCP, pourtant mainte fois fact-checkée. Il semblerait que la direction d’EELV essaye de ménager la chèvre et le chou, mais pour représenter une force capable de gouverner il va falloir trancher. Essayer de convaincre les citoyens récalcitrants, ou bien jouer la carte de l'électoralisme ? Dissuader de nombreuses voix écologistes potentielles, ou risquer de décevoir et de démobiliser l’aile du parti la moins accommodante avec le nucléaire ?
Pour le moment Marine Tondelier se laisse du temps et parie sur une stratégie intermédiaire avec le lancement des états généraux de l’écologie qui devront servir de boussoles à la direction du parti. Elle ambitionne de le reconstruire en élargissant le nombre d'adhérents et surtout de sympathisants. La première étape, jusqu’à mai, consistera en une consultation pour faire remonter les grandes questions des français. Dans un second temps des participants tirés au sort à l’image des conventions citoyennes devront y répondre même si Marine Tondelier précise que cette consultation “n’a pas de vocation programmatique". D’après Alexis “il y a un vrai clivage sur la stratégie à mener, peut être que cela s’est traduit par un discours sur le nucléaire plus clément lors des présidentielles, dans le but d’essayer de convaincre le plus de monde possible. Quelle que soit celle que l’on choisisse je pense qu’il faudra mettre la question nucléaire sur la table pendant les états généraux”. Lors de cet exercice EELV ne pourra échapper à la question du nucléaire. Le parti restera-t-il fidèle à ses origines, ou bien décidera-t-il d’élargir, dans le but de rassembler une force politique capable de s’opposer à la droite et l’extrême droite ?