«A chaque fois que Kertész déclenche, je sens son cœur battre» (Henri Cartier-Bresson).
Si le cœur de André Kertész s'est arrêté il y a exactement vingt-cinq ans, son œuvre traverse le temps et prend toute sa place. La longue rétrospective que lui consacre le Jeu de Paume vient nous le rappeler, mettant en lumière (tamisée, pour protéger les documents) soixante-dix ans de carrière de ce grand photographe, à propos duquel Roland Barthes évoquait la possibilité d'une «photographie pensive».
André Kertész affirmait être «né photographe». Et il n'a pas hésité à s'approprier l'outil de manière très personnelle et poétique, bien avant l'heure. «Ma photographie est vraiment un journal intime visuel (...). C'est un outil, pour donner une expression à ma vie, pour décrire ma vie, tout comme des poètes ou des écrivains décrivent les expériences qu'ils ont vécues. C'était une façon de projeter les choses que j'avais trouvées.»
Pionnier dans un nouveau genre de photographies liées à l'imaginaire plus qu'au documentaire, Kertész disait: «Je ne documente jamais, j'interprète toujours avec mes images. C'est la grande différence entre moi et beaucoup d'autres. (...) J'interprète ce que je ressens à un moment donné. Pas ce que je vois, mais ce que je ressens.» Pour cela, il n'hésitera pas à recadrer ses images, ne gardant que l'essentiel.
Le quotidien des soldats durant la guerre de 14-18, sa femme Elisabeth, l'absence de son père mort, les ombres, les photos nocturnes de Paris, les portraits d'artistes (Piet Mondrian...), ses célèbres distorsions: le travail de Kertész va évoluer au fil de ses rencontres et voyages.
De la Hongrie à New York en passant par Paris, l'oeuvre de Kertész nous en apprend beaucoup sur l'Histoire de la photographie: l'apparition du Leica (dont il fut le premier utilisateur professionnel), le «non-sujet», l'invention du zoom, le rôle important joué par le magazine VU dans l'invention du photoreportage grâce à son directeur Lucien Vogel, etc.
L'exposition proposée par le Jeu de Paume est riche en documents et anecdotes. Comme cette remarque des responsables du magazine américain Life, rejetant le travail de Kertész au motif que ces photos «parlent trop». Ca tombe à pic pour ce photographe qui disait : «Mon anglais est mauvais. Mon français est mauvais. La photographie est ma seule langue.». Elle est universelle.
Lieu:
Jeu de Paume, 1 place de la Concorde 75008 Paris
du 28 septembre 2010 au 06 février 2011
Crédits photos:
1. André Kertész, Distorsion n°41, 1933
(avec autoportrait d'André Kertrész)
Epreuve gélatino-argentique
Tirage tardif / Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris
2. André Kertrész, Plaque cassée, 1929
Epreuve tirée pour la première fois par André Kertész en 1964
Epreuve gélatino-argentique
Tirée dans les années 1970
Courtesy Attila Pocze, Vintage Galéria, Budapest, Hungary
3. André Ketrész, Place de la Concorde, Paris, 1928
Epreuve gélatino-argentique
Tirée dans les années 1970
Collection Robert Gurbo
4. André Kertész, Elisabeth et moi, 1931
Epreuve gélatino-argentique
Tirée dans les années 1960
Collection Sarah Morthland, New York, NY
5. André Kertész, Le Nuage égaré, New York, 1937
Epreuve gélatino-argentique
Tirée dans les années 1970
Courtesy Sarah Morthland Gallery, New York, NY