Hugues Bazin (avatar)

Hugues Bazin

Chercheur indépendant en sciences sociales

Abonné·e de Mediapart

44 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 avril 2014

Hugues Bazin (avatar)

Hugues Bazin

Chercheur indépendant en sciences sociales

Abonné·e de Mediapart

La fabrication d’un patrimoine commun

Hugues Bazin (avatar)

Hugues Bazin

Chercheur indépendant en sciences sociales

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le patrimoine se conçoit non comme une fin en soi, mais comme une ressource utile à la société. Quelles sont les fonctions du patrimoine et les formes de recomposition du territoire ? La question est moins ce qui fait patrimoine que ceux qui font patrimoine 

À travers l’héritage commun d’un groupe, le patrimoine peut se concevoir comme la possibilité d’exploiter des ressources collectives , par-delà le régime de propriété des biens, comme un reflet et une expression de ses valeurs, pratiques, mode de vie, croyances, savoirs en continuelle évolution, non seulement pour mieux vivre ensemble, mais aussi pour que les couches populaires gardent la maîtrise d’usage des pratiques et des espaces et de cette façon influencent l’orientation historique de leur époque.

Le patrimoine devrait ainsi être plus l’expression des usagers que des techniciens, des populations que des gouvernants. Se pose alors la question : quel territoire se recompose dans cette réappropriation patrimoniale ? Nous ne sommes plus dans l’ordre du terroir ancien avant la révolution industrielle ni dans la rationalité du découpage administratif et économique du 20e siècle. La place de la jeunesse représente ici un enjeu culturel, démocratique et politique ; celui de dépasser l’opposition entre « vieux pays » recroquevillé sur lui-même ayant peur de l’avenir et les bouleversements qui s’opèrent autour de nouveaux pôles de créativité des territoires.

Les dimensions du patrimoine

Le patrimoine se décliner de multiples façons :

Le patrimoine matériel constitué par le cadre bâti ancien ou moderne, les technologies et le cadre naturel.

Le patrimoine immatériel qui appartient au domaine reconnu par l’UNESCO de la « culture immatérielle » constituée par les cultures populaires et professionnelles. C’est la culture du geste des artisans, les savoir-faire des paysans ou des marins-pécheurs, des modes de vie et des formes langagières comme certaines cultures orales, etc. Il est évidemment plus compliqué de préserver ce patrimoine immatériel dont l’existence est liée à une activité économique. Quand l’utilité sociale et économique disparaît, la culture immatérielle devient un folklore qui concerne alors avant tout l’économie touristique, mais qui n’est plus porteur de sens pour la génération actuelle.

Le patrimoine symbolique est rarement évoqué comme dimension patrimoniale, pourtant il est celui le plus à même de relier le patrimoine matériel et immatériel. Il propose un référentiel dans sa capacité de mettre en résonance particularisme et universalisme. C’est l’exemple récent des « bonnets rouges » repris comme symbole de luttes sociales plongeant dans l’histoire collective des mobilisations populaires. Ce symbole participe à la recomposition d’une mémoire collective et d’un lien intergénérationnel.

Cela nous enseigne quoi ? Le patrimoine ne se résume pas aux Grands Hommes, les Grandes dates et les Grands monuments, mais cela concerne d’abord les gens et leurs histoires, les lieux de vie, les luttes, le « coin de la rue ».

Quand des jeunes se réapproprient une friche pour en faire un lieu de pratiques culturelles urbaines, ils réhabilitent une forme patrimoniale populaire pour en donner un sens présent. Quand des jeunes entrepreneurs en coopératives s’installent sur le plateau des Mille Vaches et revalorisent les ressources régionales, c’est aussi une autre manière de faire vivre le patrimoine. Quand le rap et le slam revisitent depuis des décennies les cultures orales, comme en Occitanie, ils ne font que perpétuer la tradition populaire d’une parole scandée.

Les fonctions sociales et culturelles du patrimoine

Le patrimoine n’existe que dans un rapport social, c’est-à-dire la manière dont il se socialise dans un contexte contemporain. C’est ses fonctions culturelles qui lui donnent sa valeur. Passons en revue quelques-uns d’entre elles.

La fonction identitaire est ce qui me permet de dire qui je suis et comme je fais société avec les autres. Mais ce n’est pas une identité figée. C’est quelque chose qui se construit chaque jour un peu plus. Ce n’est pas une vision passéiste enracinée dans une appartenance univoque, c’est une identité relation comme la conçoivent les écrivains de la créolité, une racine rhizome qui puise dans une diversité.

La fonction de transmission des savoirs et des valeurs entre les générations articule le passé et l’avenir à travers des formes patrimoniales matérielles, immatérielles, symboliques. C’est comme cela que se constitue une communauté de destin au-delà des différences de chacun.

La fonction de transformation et de développement, nous amène à comprendre comment émergent sur d’anciens sites, de nouveaux lieux de créativité dans la capacité à faire « écosystème ». C’est la possibilité de mettre en relation une variété de personnes, de compétences, de disciplines au service d’une dynamique collective. C’est le cas de la reconversion des friches industrielles en friches culturelles qui remplit à la fois une fonction sociale, économique et artistique. Ces pôles de créativité participent au développement territorial comme la culture numérique qui crée de nouveaux espaces pour en faire des « tiers lieux » du travail collaboratif entre le domicile et le milieu du travail.

Il ne suffit pas de commémorer, préserver ou réhabiliter le patrimoine, il faut se le réapproprier. La question est alors moins comment des jeunes s’attachent au patrimoine que comment les jeunes « font » patrimoine ; comment les formes prennent sens au présent, quand elles ne sont plus considérées seulement comme morceaux du passé, mais comme éléments d’avenir.

Le droit au patrimoine

La convention-cadre européenne de Faro sur « la valeur du patrimoine culturel pour la société »[1] adoptée en 2005 au Portugal apporte des éléments de réponses. Son originalité est de ne pas partir de l’objet patrimonial à protéger, mais du sujet bénéficiaire du patrimoine. Toute personne a droit de participer au patrimoine et est invitée à sa valorisation en tant que ressource de développement durable et de qualité de la vie.

Une mise en application appelée « Hôtel du Nord »[2] s’expérimente à Marseille et est amenée à s’étendre dans d’autres villes. C’est une coopérative d’habitants qui fait une offre de séjour sous la forme de chambres d’hôte dans des quartiers rarement visités et ne possédant pas d’infrastructure d’accueil à l’instar des quartiers Nord. Il s’agit de valoriser économiquement le patrimoine présent dans les arrondissements pour le conserver « en vie » et améliorer la vie de ceux qui y vivent et travaillent. Le dispositif est complété par des ballades urbaines élaborées avec des habitants, à partir de leur vécu et de leurs savoirs proposant un autre regard sur la ville qui sensibilise le public à travers une expérience directe des lieux.

Cette mise en valeur du patrimoine naturel et culturel dans les quartiers s’appuie sur deux principes :

  • La constitution d’une communauté patrimoniale dont les personnes attachent de la valeur à des aspects spécifiques du patrimoine culturel qu’elles souhaitent, dans le cadre de l’action publique, maintenir et transmettre aux générations futures.
  • L’Hospitalité basée sur le droit réciproque de trouver logement et protection les uns chez les autres. C’est l’action de recevoir chez soi l’étranger qui se présente ».

Nous remarquons à travers cet exemple que le patrimoine développe un travail de la culture à travers ses fonctions d’identité, de transmission et de transformation favorisant une nouvelle osmose entre territoire, habitants et pratiques collective. Ce qui fait patrimoine est justement ce bien commun entre formes émergentes et formes traditionnelles, entre identité racine et identité relation, entre transmission verticale générationnelle et horizontale situationnelle.

Ce qui fait patrimoine ou ceux qui font patrimoine ?

À la question est-ce que « tout » peut être patrimoine, nous pourrions répondre oui et non.

« Oui », le patrimoine n’est pas un domaine réservé, toutes formes matérielles, immatérielles, symboliques prenant sens dans une réalité contemporaine peuvent appartenir au domaine patrimonial si elles remplissent les fonctions que nous venons de présenter.

« Non », si nous limitons le patrimoine à son aspect conservateur, rigide empêchant les évolutions. C’est le risque de muséification des centres-villes dans une alliance objective entre marchandisation et sécurisation de l’espace. Bien qu’originellement populaires, ces zones deviennent au sens littéral « invivables » pour n’être que les zones d’une économie touristique mettant en scène le patrimoine.

En fait la question est moins ce qui fait patrimoine que ceux qui font patrimoine.

« Éduquer et se sensibiliser au patrimoine » c’est d’abord reconnaître la jeunesse dans sa pluralité culturelle et lui faire confiance dans ses potentialités novatrices à concevoir le patrimoine non comme une fin en soi, mais comme une ressource utile à la société. Les fonctions culturelles du patrimoine dépassent son aspect matériel et immatériel pour rejoindre un processus citoyen de responsabilité partagée reposant sur les acteurs populaires dans un mouvement « bottom to up » de développement territorial.

(Intervention à la rencontre « coup de jeunes sur le patrimoine, entre transmission et appropriation, les jeunes au cœur de leur héritage culturel, le rendez-vous des acteurs et témoins, »  organisée par le Conseil Régional de Bretagne, Rennes - Champs Libres, 15 novembre 2013).


[1] http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/199.htm

[2] http://hoteldunord.coop

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.