Armageddon Time, grand film de James Gray, allusion au combat qui dans l'Apocalypse se dit final mais qui pour nous est permanent, pour tous doit l’être.
Un combat qui dans ce blog se situe à un endroit que j’estime décisif, un endroit bien délaissé, un endroit philosophique : l’ontologie.
Délaissé car l’ontologie est dans l’errance, elle s’est même éloignée de son objet : l’être. Le texte ci-après en témoigne.
Les humains, et les penseurs en font partie, vivent et abordent la tâche de penser avec des sensibilités différentes. Pour les uns l'éphémère de la rose est la raison, au moins suffisante, de sa beauté. Pour les autres la durée est élément de la substance.
Les uns préféreront brûler leur vie, l’intensité est leur bréviaire, l’économie capitaliste leur vivier. Importe peu que les laissés pour compte soient légions.
Les autres ont été submergés, voire asservis. Ils ont subi, se sont laissés enfermer dans la grisaille d’une monotonie qu’au mieux quelque divertissement trompait ou se sont réfugiés dans le rêve, se sont inventés des paradis futurs.
L’ontologie va nous permettre de penser la possibilité d’une joie plus subtile, sans l’artificialité d’inventions qui brulent notre tissu humain, épuisent notre terre, brisent nos ambitions d’universalité.
Les penseurs se sont scindés en deux groupes. Les réalistes physicalistes et les idéalistes.
Les premiers ne conçoivent pas autre chose que la réalité physique. Elle est vouée à l’entropie, la dégradation inéluctable. Ils se sont résignés à la finitude. Ils se sont consolés en sachant apprécier la beauté de la rose. Comment vont-ils affronter la désertification ?
Les seconds ont inventé les essences. Si la rose a péri, l’idée de sa beauté ne périra jamais, l’essence beauté est éternelle. Isabelle Thomas-Fogiel écrit (« Le Lieu de l’Universel », Seuil 2015, p. 319) : « l’idéaliste n’est pas celui qui nie la réalité mais celui qui la dissocie de la contingence » et ajoute que « pour l’idéaliste, la réalité est l’idéalité et non pas le « ceci » contingent ». Husserl, quand il pose la question "quel mode d'existence signifie être" l'explique par son refus de ce que la seule matérialité épuise l'existence mais en fait penche également pour faire de l'idéalité la seule réalité (v.Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Hussel. Chap.1).Il va ainsi entraîner la phénoménologie dans l'idéalisme. Je n'ai pas compétence pour dire si la métaphysique réaliste prônée par Claudine Tiercelin est réussie. Elle la distingue très justement du réalisme métaphysique, propre à celui qui partant du physique ne peut parvenir à s’en extraire et oublie le « méta » sur son chemin interrompu.
Les ontologistes surviennent en pleine scission de la pensée. Ils ont pour mission de dire l’être. Mais ils ne parviennent pas à devenir des métaphysiciens réalistes, ils ne peuvent se détacher de leur penchant soit physicaliste, soit idéaliste. Cela exigerait qu’ils distinguent dans la clarté exister et être. Ce qu’ils ne font pas (v. (E. Gilson, l'Etre et l'essence" Vrin 1962, p.9/10). L’ontologie n’a plus d’objet.
La tâche il est vrai était difficile. Ell se complique d’un problème grammaticale. Le mot « être », le verbe être, étant difficile à placer dans le phrase, il va être accompagné de l’article et il sera écrit et dit « l’être ». Mais il est bien précisé que cet article n’a qu’une fonction explétive, une convenance grammaticale. Il ne fait pas du verbe être un substantif. Et cela sera le plus souvent oublié.
Husserl, quand il posait la question « quel mode d'existence signifie être" était en fait à la recherche de l’être, il n’en n’avait qu’une idée préconçue. Il aurait du nous dire bien plutôt ce qu’il considérait comme des modes d’existence. Demeurer à l’état d’idée est-il un mode d’exister ? Faire un choix ontologique est donné une fonction à l’être. Comme Kant l’a constaté il n’ajoute rien à la réalité, à l’existant. Il colore ce dernier, et d’une manière éblouissante. En quelque sorte il le qualifie : l’existant est. Il n’est pas créé ni surgi d’un accident, il n’est pas contingent, n’a ni commencement ni fin. C’est un toujours. C’est qu’il n’est pas que physique. L’entropie n’est pas invincible.
Considérer qu'elle est invincible conduit à rallier l'idéalisme ou le physicalisme, ou ne pas s’éloigner significativement de lui. Considérer qu'elle ne l'est pas, c'est prendre un engagement ontologique.
Rallier l'idéalisme est souscrire à cette sorte de proposition : " le sensible doit être exclu du monde de l'être et renvoyé à celui de l'apparence"; le sensible "c'est à dire ce qui nous apparaîtrait d'abord comme doué d'une existence empiriquement constatable" (E. Gilson, p. 27). La substantivation de l’être dû à l’oubli du caractère explétif de l’article a conforté considérablement la propension idéaliste à ne pas sauver "l'empiriquement constatable" de l'entropie. D'être exclu de tout commencement et de toute fin, l'être, devenu un substantif, a été défini comme l'immuable, "l'incompatible avec le changement" et c'est pourquoi "le monde de l'expérience sensible, avec les changements perpétuels dont il est le théâtre, doit être exclu de l'ordre de l'être" (E. Gilson 26/27).
Rallier le physicalisme est considérer, peut-être avec sagesse, que la contingence est notre lot, que l'univers existe d'une façon accidentelle. Que alors, comme ajoutait la proposition idéaliste, "nous sommes exclus de l'ordre de la connaissance vraie et renvoyés à celui de l'opinion". Et en effet aucune philosophie morale suffisamment robuste n'est alors concevable. L’homme n’a pu s’en construire qu’à l’aide d'expédients pragmatiques admirables mais manquant de force mobilisatrice ou affirmative, meublés de relativité. Il est normal que nés de l'accident nous disparaissions accidentellement. Il était fatal que les tenants de l'éphémère aient fait prévaloir l'intensité sur la recherche moins grisante d’un vécu maitrisé et répondant cependant à l’appel d’une liberté exercée par un sujet conscient de son appartenance, d’une liberté porteuse d’une solidarité enrichissante. Fatal est un bien grand mot car pour celui qui souscrit au physicalisme, « c’est la vie » ».
Prendre un engagement ontologique est alors la seule voie de devenir et d’avenir. L’immuabilité ne veut rien dire pour l’être (verbe). Le mouvement existe, il est donc. Elle est tout pour l’être (substantif, sauf si l’on s’avise que cet être substantivé, infini, est bien pauvre, puisque l'infini par définition n'est jamais fini. Cet être substantivé restera toujours un être inachevé !
Nous nous satisferons d’être des existants finis vivant la durée mais la vivant dans l’infini. L’engagement ontologique, l’engagement à être pleinement « avec et pour les autres, comme l’écrit Ricoeur, et nous étant donné des institutions justes » a certainement des vertus auto-réalisatrices. Elle vaut surtout d’être en adéquation avec le Réel. La théorie de l’Univers-bloc en science physique me semble dire un peu une chose analogue. L’éternalisme ne peut pas s’y opposer radicalement au présentisme comme il est écrit chez Wikipédia, du point de vue développé ici du moins. De ce point de vue cette théorie expliquerait, ou se limiterait à constater, la paradoxale coexistence, dans le temps comme dans l’espace, d’entités très éloignés les unes des autres. Cette coexistence que l’engagement à être nous invite à connaître et à vivre.