Celle-ci n’a pas nécessité de numéro.
La liberté qui s’y exprime n’est pas libertarienne, d’y pouvoir satisfaire son hubris sans l’entrave du souci du bien commun. Cette liberté est simplement humaine, elle se partage. Elle éradique toute domination de l’homme sur l’homme.
Ni collectiviste, abandonnant le pouvoir à quelques apparatchiks, ni oligarchiques, l’abandonnant à quelques egos surdimensionnés, elle le partage en accordant pleine autonomie et liberté à chaque homme ou femme. Inscrit dans le préambule de sa constitution le premier droit subjectif reconnu comme fondant cette liberté est : tout homme a la propriété de l’usage de son habitat et de son outil de travail, soit des biens nécessaires à son épanouissement comme personne. Par là, cette République est socialiste.
Elle a pour fondement une ontique renouvelée ouvrant à une solide ontologie et pour véhicule un système juridique assurant un ordre juste. De ces deux disciplines et de ce véhicule mon blog a longuement traité. J’en rappelle ici les grands traits. On y trouvera, ainsi que dans mon essai « Être Liberté », toutes les références.
Une onto-ontologie
Une ontique, soit une exploration minutieuse et sincère de la réalité dans laquelle nous vivons. Etymologiquement ontique signifie « ce qui est ». « Est » peut ici être remplacé par « existe ». L’ontique est l’étude de ce qui existe, l’existant.
Une ontologie, soit une extrapolation, conduite à partir de l’ontique, s’efforçant de discerner les conditions de possibilité de cet existant. Ceci donne lieu à une démarche dite transcendantale, c’est-à-dire qui va au-delà de ce qui est connu car explorable, devant quoi la science doit se dire défaillante. Einstein en a convenu (v. dernier billet). Cette démarche ne fait appel à aucun surnaturel. La proposition qu’il est possible d’en déduire n’est qu’une hypothèse.
L’onto-ontologie est la dénomination que l’on peut donner à l’hypothèse proposée qui, se substituant à l’onto-théologie dont le règne n’en finit pas de s’effriter, ne place plus « l’être » (substantif), le qualifiant de Suprême, au dessus de l’existant, mais le situe au coeur de cet existant, retrouvant un « il est » qui sans sujet est redevenu un verbe, le verbe être, et retrouvant par là, un véritable socle ontologique.
Il est nécessaire de faire une telle hypothèse car n’en pas faire en se retranchant derrière une impossibilité revient à s’abandonner à la violence, refusant à la raison toute légitimité. Cette hypothèse exige l’adhésion à six assertions qui n’ont pas toutes le même degré de rationalité contraignant l’adhésion. La deuxième assertion bien que me paraissant solidement argumentée, peut être estimée non établie ; elle doit alors être considérée comme un a priori, et celui-ci est incontournable.
1 – Première assertion : Retenant une conception réaliste elle affirme l’externalité d’une réalité par rapport à la conscience, à la connaissance que nous pouvons en avoir. Francis Wolff avec « le temps du monde » et Claude Romano avec« L’appartenance au monde » en donne récemment l’assurance, le second disant rompre avec vingt cinq siècles d’égarement de la pensée philosophique.
L’existant n’est peut-être qu’une « réalité sensorielle », celle que nos sens peut capter, comme l’expose Hanna Arendt, à laquelle il convient d’ajouter la réalité dont la science donne un statut de certitude quand elle peut rendre » compte d’un « observable quantifiable ». Ainsi que l’explique C.Romano l’objectivité de la science est absolue, mais ce n’est qu’en sa forme. Elle dépasse « toute relativité à l’égard d’un observateur quelconque par le biais d’une formalisation mathématique » . L’objectivité que nous pensons vivre quotidiennement, bien qu’en sa forme simplement relative « ne renvoie à l’indépendance de la vérité qu’à l’égard de nos opinions », cette indépendance est effective. C. Romano en fait une démonstration rigoureuse et convaincante (p. 63/76).
La réalité sensorielle la phénoménologie l’a dénommée phénoménale et parfois quasiment réduite à un monde fantomatique. Renaud Barbaras, « Phénoménologie et cosmologie » rectifie la conception en constatant que « l’apparition de l’étant suppose le monde » (p. 26). Se tournant vers la cosmologie il en constate l’insuffisance et qu’il la faut intégrer à une « ontologie fondamentale » sans préciser ce qu’il entend par là (p. 403).
2 – Deuxième assertion : Elle affirme la nécessité rationnelle d’un principe, niant la possibilité d’un départ à partir de rien.
Il sera donné pour cela des significations différentes à Exister et à Être. Souvent utilisé l’un pour l’autre « être » prend parfois un sans si général qu’il peut désigner quelque chose qui n’existe que dans le concept mais pas réellement, le verbe exister qui souvent le redoublerait vient ici le renforcer (v. Gilson, « L’être et l’essence »).
Ainsi que le souligne Kant, être n’ajoute rien à la réalité, à l’existant, il en dit une propriété, en est un attribut, l’existant est. Être exprime le principe recherché et situe l’existant dans une dimension infinie, de n’avoir ni commencement ni fin, de n’avoir ni origine ni terme. Se présentant sans doute tout d’abord sous une forme inchoative celle-ci enveloppe le potentiel nécessaire à une existence à dimension infinie dans l’espace et dans le temps.
S’il n’en n’était pas ainsi il faudrait penser le néant, un vide total, que de « rien » puisse émaner quelque chose. Une telle sorte de génération spontanée, la seconde assertion la rejette.
Être est tout à fait autre chose que surgir d’un néant dont son absence de commencement nie la possibilité : il y a toujours eu « de l’être ». De l’être qui demande à croître et nous désigne un cap, de l’être qui est un devoir être, de l’être qui ignore ce qu’est le néant auquel nous reconduit l’hypothèse d’un surgissement qui porte l’éphémère en lui alors que l’être enveloppe permanence et pérennité.
Bien que j’en revendique la rationalité, cette seconde assertion ne fait pas l’unanimité. Il faut avouer que l’on est face à une énigme que la seule raison ne peut trancher. J’en fais un a priori, lequel, si l’humanité veut poursuivre un chemin qui mène quelque part. Car il n’y a que deux options, et ne pas adhérer à celle proposée est adhérer au renoncement à comprendre qui équivaut à une adhésion à une voie qui conduit au proche naufrage de notre civilisation humaine actuelle.
Incontournable également si en ce qui concerne l’onto-ontologie l’on veut poursuivre le présent exposé, mais le principe qu’établit celle-ci – que l’autre doit être traité comme un alter ego – peut se justifier autrement de manière forte quoique moins robuste ainsi qu’il sera vu.
3 – Troisième assertion : Elle écarte le caractère surnaturel du principe. Notre monde n’a pas une origine surnaturelle. Une telle origine se fonde sur une révélation, individuelle ou communautaire, intime ou collective. La prétention de chaque croyance à une universalité l’enferme au contraire dans un jardin clôt et se heurte au fait brutal qu’elle se révèle source de violence et non de paix. Que l’hypothèse soit un lieu ouvert à une parole universelle est une exigence très forte.
La pensée rationnelle s’est très largement ralliée à ce rejet du surnaturel. Les quelques penseurs qui n’ont pu départager en eux une croyance très enracinée et leur affirmation de raison ont été entravés dans leur parcours philosophique. Hilary Putnam n’a pas pu conduire à son terme son admirable parcours de recherche du Réel car il n’a pas su trancher entre son appartenance juive et son athéisme philosophique. Paul Ricoeur non plus. Dans son article « ontologie » de l’encyclopédie Universalis, il prend départ du poème de Parménide dans lequel la philosophie occidentale prend racine. Parménide commence à dire « il est ». Ricoeur commente « ce disant, le penseur ne donne pas de sujet au verbe être ; il le laisse être dans sa nudité et sa globalité » et ajoute « toutes les fois que l’interrogation humaine revient à « il est », elle reprend contact avec le socle ontologique de la pensée ».
Par ce geste il retrouve le véritable sens de l’ontologie que notre philosophie cherche » vainement depuis vingt-cinq siècles (v. dernier billet). Sachant que le christianisme a perdu son crédit philosophique pour fonder le sublime message de l’évangile de Jésus il s’efforce de trouver des ancrages plus laïques mais il ne peut aller au bout de ce geste génial qui lui fait zapper le sujet dans le « il est » de Parménide, geste qui mettrait définitivement Dieu sur la touche. Le génie est un furtif. Redevenu simple sage l’auteur n’a mis Dieu qu’en « suspens » (« Soi-même comme un autre » éd. Seuil 1990, p. 36).
4 – Quatrième assertion : tirant la conséquence des deux précédentes elle affirme que l’existant puise en lui-même son principe, qu’il EST, et qu’il n’est donc pas nécessaire d’avoir recours à un créateur qui seul serait et dispenserait l’être. Dieu se définit comme « celui qui est » et par là qu’il n’a ni commencement ni fin. Ce que nous concevons pour une entité en laquelle beaucoup verront un pur Esprit et auquel il faut prêter de l’existence nous devons le pouvoir pour un existant grandiose. Nous ne dissocierons pas alors corps et esprit, matière et immatériel, physique et mental, étendue et pensée, et ouvrirons la voie à un comportement qui ne sera plus dépourvu de cap et aura une visée éthique.
C’est à une dissociation que Claude Romano attribue l’impasse en laquelle nous a conduit la philosophie occidentale nous amenant proche « de la catastrophe qui nous guette » (p. 9) Celle qu’il analyse recoupe très largement la dissociation à laquelle l’hypothèse ontologique que je propose tente de remédier. Malgré le fossé qui sépare sa grande érudition et mon petit savoir je me permets de mettre en doute le fait que sous le mot ontologie il atteint vraiment « l’être », seul lieu pour moi où puisse se dévoiler l’alliance de l’esprit et du physique. C. Romano pense également l’esprit comme n’étant ni réductible à la matière ni hétérogène à celle-ci (p. 41).
Un exemple concret permet de montrer cependant notre accord profond. Il se situe lorsqu’est en question la distinction entre corps physique (Korper) et corps vécu, subjectif (Leib). Dans le dualisme cartésien le corps est pensé en terme d’avoir, la perte d’un membre n’est que perte d’un élément. Avec le monisme il est pensé en terme d’être c’est un vivant en soi-même qui est atteint et ne subit pas seulement la perte d’un élément (p. 20/22). A le supposer éternel il pourra être considéré comme atteignant la forme d’un corps glorieux dans le premier cas (v. p. 287), il sera seulement exigé qu’il reste intact dans le second.
5- Cinquième assertion : Être situe dan l’éternité, forme temporelle de l’infini. Le bâton ici surpasse de loin la carotte car les modalités de la chose peuvent être imaginées si rocambolesques qu’elles suscitent le scepticisme davantage que l’attrait de la satisfaction d’un désir profond n’incite à la croyance. Mais il ne s’agit pas de croire mais d’avoir raison ouverte au caractère surprenant d’un Réel se déployant bien au-delà de l’apparence. Le réalisme ne peut s’affirmer contre l’idéalisme que si la chose concrète a l’effectivité au niveau même où l’intelligible affirme son indestructibilité. Isabelle Thomas-Fogiel le martèle : « L’idéaliste n’est pas celui qui nie la réalité mais celui qui la dissocie de la contingence, de l’existence du fait brut ou de la facticité de l’être- là « Le lieu de l’universel », Seuil 2015, p. 319). Physique et esprit ré-associés non seulement dans la compréhension que nous en avons mais également dans la pratique que nous déduisons de cette compréhension sont appelés à vaincre l’entropie que nous avons inscrite dans tous nos comportements. L’accès à l’éternité emporte une exigence de fraternité. Le salut est collectif.
Durée, qualité, intensité sont des catégories qui se nourrissent d’être vécues ensemble. L’éphémère ne libère son parfum que si déjà un vent en ramène un qui lui non plus ne comblera jamais.
6 - Sixième assertion : le principe obéit à un ordre libérateur et non causal. Aucune proposition de lecture du Réel ne peut s’abstenir de faire appel à une puissance. Chez Spinoza cette puissance est causale. Elle est substance est celle-ci est dite causa sui. Mon hypothèse la dit libératrice. Elle constitue l’énergie qui dynamise un complexe, il pourrait se nommer foyer, qui fait qu’un existant est. Être et Exister, porteur/portée l’un de l’autre, sans que l’invention d’un grand porteur ne vienne ajouter un mystère à l’énigme, laissant aux prêtres seuls le soin de décider du contenu du mystère.
La dire libératrice est retrouvé le sens de la valeur liberté, placée au haut de nos frontons et constamment trahie, instrumentalisée au service de la domination. C’est ancré sur le solide et leur fournir une énergie inaltérable les sursauts renouvelés s’opposant à cette domination. Celle-ci cependant risque encore de remporter des batailles qui retardent le moment où la liberté triomphera.
Mettre la liberté aux sources du verbe c’est donner à l’être la force d’émancipation qui l’anime, une source dont dès les débuts du blog a été entrevue la puissance (billet du 20/02/2019), les caractères d’un principe qui l’assimile à celles qui définissent Être, la non précédence, le non commencement.
Des institutions justes
Sens du juste
De telles institutions constituent le terrain de la trilogie, bréviaire de mon blog, qui avec « la vie bonne » et le « avec et pour les autres reconstitue le « soi » comme personne en une visée éthique à laquelle Ricoeur consacre la septième étude du livre cité. Ce qui est remarquable est que tant Romano dans une étude consacrée à l’appartenance au monde et Ricoeur dans une étude consacrée à l’ontologie place au cœur de leur analyse l’altérité, Romano pour constater la perte de la vision d’autrui comme un alter ego , Ricoeur dans son projet de découvrir une détermination de l’ipséité « par la voie de sa dialectique avec l’altérité » (p.345).
En affirmant d’emblée « le primat de la médiation réflexive sur la position immédiate du sujet » (p. 11) traduit peut-être la perte de la relation immédiate avec le Dieu personnel auquel un « je » peut dire « tu ». Le « soi » va être substitué au « je ». Le soi provient de la réflexion d’un verbe qui prend alors « la plénitude de sa signification » à l’infinitif, : « se désigner soi-même ». Il prend alors « une amplitude omnitemporelle et omnipersonnelle » ( p. 11/12). Mais on ne voit pas comment conjuguer le verbe être sous une forme pronominale. Il n’ouvre pas non plus à une relation personnelle. Habité de sa seule liberté le « je » est dans une solitude extrême. Il lui faut retrouver une appartenance à un monde où chacun est reconnu l’alter ego de l’autre. Que « l’égologie requiert le complément de l’intersubjectivité » (p. 14) n’est pas en soi un défaut.
La voie de l’appartenance au monde empruntée par Claude Romano apparaîtra alors plus porteuse. Vingt cinq siècles de philosophie ont hélas placé devant une tâche de déblaiement dont l’auteur craint lui-même qu’elle soit « hors de portée » (p. 10), un labyrinthe est à parcourir. Mille ornières se présentent et, si l’on suit Romano, Ricoeur s’est embourbé dans l’une d’elles en érigeant la réflexion en voie royale (p. 33). La voie de l’ontologie transcendantale est plus courte. Elle n’est, ainsi qu’il a été dit, que subsidiaire. Bien des hommes sont ouverts à l’altérité, voient en l’autre un alter ego, ont le sens du juste même si ce sens est brouillé par le pouvoir d’influence des puissants qui en sont dépourvus. L’ontologie en apportant un fondement objectif, en fournissant un repère, éclaircit le débat et peut guider l’opinion en la soustrayant au poids social de ces puissants. Elle apporte au principe d’altérité perdu par les dominants une assise que sa seule inscription dans les choses n’a qu’imparfaitement. Cette inscription est cependant très présente. C. Romano la définit en rappelant que la phusis d’Aristote « faisait signe vers un domaine ontique particulier, celui , celui des choses qui possèdent en elles-mêmes le principe de leur mouvement et de leur repos, qui croissent et s’épanouissent par elles-mêmes » C’est bien dire que le principe d’altérité qu’implique l’ontologie transcendantale peut être reconnu « du point de vue de notre intuition ordinaire » (p. 39). Il en va ainsi du sens du juste dont sont démunis ceux qui sont parvenus à l’obscurcir afin de faire triompher la violence qui est en eux.
Aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le miracle d’un éveil à l’humain. Simone Weil était de celles-là et, devant le constat désespérant de La Boétie constatant ce qu’il nommait la servitude volontaire de la grande majorité des humains, elle se dressait à l’encontre de « l’absurdité » de notre système sociale et économique. Le temps existe peut-être encore d’un dernier sursaut pour remettre ce système debout et éviter la catastrophe qui hante également la pensée de C. Romano.
La détermination du juste
Absurde notre organisation sociale ne l’est que grâce à l’art, le génie, qu’ont les uns pour travestir le vrai et à l’aveuglement des autres. Il est confondant de voir sur un plateau tele un aréopage de penseurs, sociologues, philosophes, économiste discuter sans fin pour qualifier la taxation de la fortune de haine des riches ou de passion pour l’égalité, situant ainsi dans le domaine de l’affectif ou de l’idéologie un choix qui relève en premier lieu de la considération de l’autre comme un alterego comme du principe de raison : l’autre est un alter ego. L’effroyable ne se commente pas sans en être normalisé, et cela dans l’esprit même des commentateurs, il se combat. A celui qui a le sens du juste l’exclusion fait mal comme à celui qui a l’oreille absolue la note fausse.
Le faux, le mensonge, la trahison de l’humain, le travestissement de sa raison culmine quand de la propriété il a été fait un droit et qui plus est d’avoir fait de ce droit une liberté fondamentale.
Hans Kelsen dans son ouvrage « Théorie pure du droit » (Dalloz 1962) a démontré que l’emprise directe sur les biens qui caractérise ce qu’on a appelé un« droit réel » relevait de la pure idéologie, et j’ajouterai d’une forfaiture car cette idéologie est celle des dominants qui abusent de leur puissance pour créer un droit qui consacre, sacralise celle-ci. Sans droit réel il ne peut y avoir de droit de propriété (v. notam. billet du 1er avril 2024).
Faire de ce droit qui relève d’une imposture une liberté serait risible si la magie des phantasmes collectifs n’avait imposé la chose comme relevant de l’évidence. Faire d’un droit qui permet les accumulations les plus éhontées et donc réservé à quelques uns un droit subjectif, attaché donc à la qualité de sujet de tout humain, est le tour de passe-passe le mieux réussi et le plus durable qui soit et dont il est urgent d’abroger les effets, à commencer par ceux les plus liberticides : la possibilité de tout acheter, y compris la liberté.
Heidegger a écrit (« La question de la technique », dans Essais et conférences, Gallimard : « l’homme ne devient libre que pour autant qu’il est inclus dans le domaine du destin et qu’ainsi il devient un homme qui écoute, non un serf que l’on commande. L’essence de la liberté n’est pas ordonnée originellement à la volonté, encore moins à la seule causalité du vouloir humain. La liberté régit ce qui est libre au sens de ce qui est éclairé, c’est-à-dire dévoilé ». Le Droit possède lui aussi en lui-même « le principe de son mouvement ». L’ontologie transcendantale dévoile ce mouvement, l’intuition ordinaire est capable de percer le voile, l’intuition dévoyée le maintient opaque et conduit à l’abîme.
seulement la perte d’un élément (p. 20/22). A le supposer éternel il pourra être considéré comme atteignant la forme d’un corps glorieux dans le premier cas (v. p. 287), il sera seulement exigé qu’il reste intact dans le second.
5- Cinquième assertion : Être situe dan l’éternité, forme temporelle de l’infini. Le bâton ici surpasse de loin la carotte car les modalités de la chose peuvent être imaginées si rocambolesques qu’elles suscitent le scepticisme davantage que l’attrait de la satisfaction d’un désir profond n’incite à la croyance. Mais il ne s’agit pas de croire mais d’avoir raison ouverte au caractère surprenant d’un Réel se déployant bien au-delà de l’apparence. Le réalisme ne peut s’affirmer contre l’idéalisme que si la chose concrète a l’effectivité au niveau même où l’intelligible affirme son indestructibilité. Isabelle Thomas-Fogiel le martèle : « L’idéaliste n’est pas celui qui nie la réalité mais celui qui la dissocie de la contingence, de l’existence du fait brut ou de la facticité de l’être- là « Le lieu de l’universel », Seuil 2015, p. 319). Physique et esprit ré-associés non seulement dans la compréhension que nous en avons mais également dans la pratique que nous déduisons de cette compréhension sont appelés à vaincre l’entropie que nous avons inscrite dans tous nos comportements. L’accès à l’éternité emporte une exigence de fraternité. Le salut est collectif.
Durée, qualité, intensité sont des catégories qui se nourrissent d’être vécues ensemble. L’éphémère ne libère son parfum que si déjà un vent en ramène un qui lui non plus ne comblera jamais.
6 - Sixième assertion : le principe obéit à un ordre libérateur et non causal. Aucune proposition de lecture du Réel ne peut s’abstenir de faire appel à une puissance. Chez Spinoza cette puissance est causale. Elle est substance est celle-ci est dite causa sui. Mon hypothèse la dit libératrice. Elle constitue l’énergie qui dynamise un complexe, il pourrait se nommer foyer, qui fait qu’un existant est. Être et Exister, porteur/portée l’un de l’autre, sans que l’invention d’un grand porteur ne vienne ajouter un mystère à l’énigme, laissant aux prêtres seuls le soin de décider du contenu du mystère.
La dire libératrice est retrouvé le sens de la valeur liberté, placée au haut de nos frontons et constamment trahie, instrumentalisée au service de la domination. C’est ancré sur le solide et leur fournir une énergie inaltérable les sursauts renouvelés s’opposant à cette domination. Celle-ci cependant risque encore de remporter des batailles qui retardent le moment où la liberté triomphera.
Mettre la liberté aux sources du verbe c’est donner à l’être la force d’émancipation qui l’anime, une source dont dès les débuts du blog a été entrevue la puissance (billet du 20/02/2019), les caractères d’un principe qui l’assimile à celles qui définissent Être, la non précédence, le non commencement.
Des institutions justes
Sens du juste
De telles institutions constituent le terrain de la trilogie, bréviaire de mon blog, qui avec « la vie bonne » et le « avec et pour les autres reconstitue le « soi » comme personne en une visée éthique à laquelle Ricoeur consacre la septième étude du livre cité. Ce qui est remarquable est que tant Romano dans une étude consacrée à l’appartenance au monde et Ricoeur dans une étude consacrée à l’ontologie place au cœur de leur analyse l’altérité, Romano pour constater la perte de la vision d’autrui comme un alter ego , Ricoeur dans son projet de découvrir une détermination de l’ipséité « par la voie de sa dialectique avec l’altérité » (p.345).
En affirmant d’emblée « le primat de la médiation réflexive sur la position immédiate du sujet » (p. 11) traduit peut-être la perte de la relation immédiate avec le Dieu personnel auquel un « je » peut dire « tu ». Le « soi » va être substitué au « je ». Le soi provient de la réflexion d’un verbe qui prend alors « la plénitude de sa signification » à l’infinitif, : « se désigner soi-même ». Il prend alors « une amplitude omnitemporelle et omnipersonnelle » ( p. 11/12). Mais on ne voit pas comment conjuguer le verbe être sous une forme pronominale. Il n’ouvre pas non plus à une relation personnelle. Habité de sa seule liberté le « je » est dans une solitude extrême. Il lui faut retrouver une appartenance à un monde où chacun est reconnu l’alter ego de l’autre. Que « l’égologie requiert le complément de l’intersubjectivité » (p. 14) n’est pas en soi un défaut.
La voie de l’appartenance au monde empruntée par Claude Romano apparaîtra alors plus porteuse. Vingt cinq siècles de philosophie ont hélas placé devant une tâche de déblaiement dont l’auteur craint lui-même qu’elle soit « hors de portée » (p. 10), un labyrinthe est à parcourir. Mille ornières se présentent et, si l’on suit Romano, Ricoeur s’est embourbé dans l’une d’elles en érigeant la réflexion en voie royale (p. 33). La voie de l’ontologie transcendantale est plus courte. Elle n’est, ainsi qu’il a été dit, que subsidiaire. Bien des hommes sont ouverts à l’altérité, voient en l’autre un alter ego, ont le sens du juste même si ce sens est brouillé par le pouvoir d’influence des puissants qui en sont dépourvus. L’ontologie en apportant un fondement objectif, en fournissant un repère, éclaircit le débat et peut guider l’opinion en la soustrayant au poids social de ces puissants. Elle apporte au principe d’altérité perdu par les dominants une assise que sa seule inscription dans les choses n’a qu’imparfaitement. Cette inscription est cependant très présente. C. Romano la définit en rappelant que la phusis d’Aristote « faisait signe vers un domaine ontique particulier, celui , celui des choses qui possèdent en elles-mêmes le principe de leur mouvement et de leur repos, qui croissent et s’épanouissent par elles-mêmes » C’est bien dire que le principe d’altérité qu’implique l’ontologie transcendantale peut être reconnu « du point de vue de notre intuition ordinaire » (p. 39). Il en va ainsi du sens du juste dont sont démunis ceux qui sont parvenus à l’obscurcir afin de faire triompher la violence qui est en eux.
Aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le miracle d’un éveil à l’humain. Simone Weil était de celles-là et, devant le constat désespérant de La Boétie constatant ce qu’il nommait la servitude volontaire de la grande majorité des humains, elle se dressait à l’encontre de « l’absurdité » de notre système sociale et économique. Le temps existe peut-être encore d’un dernier sursaut pour remettre ce système debout et éviter la catastrophe qui hante également la pensée de C. Romano.
La détermination du juste
Absurde notre organisation sociale ne l’est que grâce à l’art, le génie, qu’ont les uns pour travestir le vrai et à l’aveuglement des autres. Il est confondant de voir sur un plateau tele un aréopage de penseurs, sociologues, philosophes, économiste discuter sans fin pour qualifier la taxation de la fortune de haine des riches ou de passion pour l’égalité, situant ainsi dans le domaine de l’affectif ou de l’idéologie un choix qui relève en premier lieu de la considération de l’autre comme un alterego comme du principe de raison : l’autre est un alter ego. L’effroyable ne se commente pas sans en être normalisé, et cela dans l’esprit même des commentateurs, il se combat. A celui qui a le sens du juste l’exclusion fait mal comme à celui qui a l’oreille absolue la note fausse.
Le faux, le mensonge, la trahison de l’humain, le travestissement de sa raison culmine quand de la propriété il a été fait un droit et qui plus est d’avoir fait de ce droit une liberté fondamentale.