DE L’ORIGINE PHILOSOPHIQUE DE LA FALAISE ECOLOGIQUE
Dans « L’appartenance au monde » Claude Romano procède à une magistrale auscultation de la philosophie occidentale (v. dernier billet, 28/06/2025). Ayant depuis vingt cinq siècles opéré une scission entre le corps et l’esprit, elle a contribué « à creuser sous nos pas une falaise écologique » (p.9). Elle n’a pas permis de « se forger un cadre cohérent pour pouvoir y progresser » (p. 18). Elle « a assuré le triomphe du scepticisme » et a empêché « de voir en autrui un alter ego » (p. 350).
L’auteur, pour déconstruire, édifie une conception du monde dont la solidité lui permet de conclure que « nous avons trouvé la sortie du labyrinthe et pouvons marcher en pleine lumière » p. (370). Notre monde peut être ré-enchanté, nous pouvons affirmer avec force que le faux n’est pas vrai, que le beau est beau et que le juste est juste sans crainte de paraître dogmatique parce que disant cela nous contredirions l’avidité du puissant. Nous avons retrouvé la légitimité à distinguer le bien du mal (p.369).
Une inquiétude demeure. « L’inéliminabilité du mal, l’irrationalité et le non sens » sont estimées « demeurées comme des dimensions de l’histoire humaine » (p. 369/370). Nous constatons qu’elles sont en train de tout emporter, nous faisant sortir de cette histoire. Les jeux sont faits, le mal semble avoir triomphé. Les changements de « climat » philosophique sont fort longs à opérer, trop pour intervenir à temps. Et l’on voit mal où l’homme trouvera la volonté de surmonter tant d’obstacles.
Le labyrinthe, comme le nomme Claude Romano, exige de son prisonnier, un effort exceptionnel pour être franchi. Penser que l’altérité d’autrui pourra se reconnaître par la vision de son seul visage comme quelques remarques de Wittgtenstein le laissent entendre, qu’il s’agit « d’une affaire pratique et non pas théorique », est insuffisant. Il nous faut « mettre à jour ce qui, dans l’image du monde héritée de la révolution scientifique et de son interprétation philosophique dominante, nous condamne à l’échec » (p.355/356).
Le trajet auquel ouvre l’ontologie, plus simple, demande surtout de la disponibilité pour accueillir la nouveauté d’un monde qui s’ouvre à une liberté que actuellement l’on revendique tout en la vivant comme incapable d’unir des hommes ayant maîtrisé leur propension à la domination.
Il s’agit de passer du monde que l’homme perçoit, le monde sensoriel que R. Barbaras nomme « un monde comme unité de sens » c'est-à-dire comportant « un principe de clôture » (Phénoménologie et cosmologie. P.10) à un monde que l’homme ne peut percevoir par ses seuls sens. Pour le cosmologue ce monde ne peut être perçu par qui est englobé par lui. Ce monde est « ouvert, non totalisable, en tant qu’englobant tout ce qui peut advenir » (BR, p. 13). Du point de vue de l’ontologie il ne peut se concevoir qu’en retrouvant son infinité au travers la lecture de Être.
Si l’ontologie ne peut garantir la bonne issue de l’épisode que l’homme vit actuellement au moins lui assure-t-elle de pouvoir, en d’autres temps, s’accomplir. Il ne s’agit pas ici d’une nouvelle « théodicée », ce que C. Romano refuse à juste titre, mais d’une confiance accordée à la liberté humaine. Mieux que le pari de Pascal, cette confiance a chance d’être auto-réalisatrice.