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Billet de blog 14 janvier 2023

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La Mort de Danton : la légende noire de Robespierre bien vivante

La Mort de Danton de Georg Büchner fait son entrée au répertoire de la Comédie-Française. Pour quoi dire ?

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Écrite en 1835 par un auteur proche du mouvement de la Jeune Allemagne, mort en exil à seulement 23 ans en 1837, la pièce retrace les événements qui précèdent l’exécution de Danton et des « indulgents » en avril 1794. Réflexion fataliste sur la révolution qui dévore ses enfants, c’est un drame aux accents shakespeariens, bourré de références antiques.

S’il s’agit bien de théâtre et si le metteur en scène Simon Delétang ne prétend pas, bien sûr, faire œuvre d’historien, la lecture qu’il propose de ce moment révolutionnaire – et en particulier de la figure de Robespierre – laisse pantois. Et en dit long.

En 1953, lorsque Jean Vilar avait monté la pièce à Chaillot, le critique du Monde Robert Kemp écrivait : « La pièce, […] que j’ai déconseillé de retenir, il y a quelques années, à la Comédie-Française – je ne m’en repens pas – est un document littéraire intéressant, mais qui pouvait demeurer dans les reliures. » On est d’accord. Et il ajoutait : « Pourquoi ce Danton, cher Vilar ? Pourquoi ? Pourquoi ? ». On se demande la même chose.

C’est Clément Hervieu-Léger qui interprète Robespierre. Un Robespierre caricatural et ridicule qui rappelle parfois le Chaplin du Dictateur, la perruque trop poudrée en plus (il ne la quitte que cinq minutes, quand il est saisi par le doute, c’est bien vu). On se pique. On se prend à trouver plus subtile la version délivrée au grand public en 1989 par Robert Enrico (Les années Lumières, Les années terribles). Ici, Robespierre est figuré en petit homme fardé hystérique. C’est évidemment à Saint-Just (Guillaume Gallienne) qu’est réservé le rôle du monstre froid, tyran sans état d’âme.

En face, Loïc Corbery est un Danton un peu dépressif mais sexy. Humain, quoi. Pardon, épicurien. Il se vautre dans le stupre et se laisse mener à l’échafaud parce qu’au fond, il est tout plein de remords (rapport à Septembre, il s’en veut beaucoup). Heureusement, ses amis l’entourent jusqu’au bout, notamment Camille Desmoulins (Gaël Kamilindi), en brave copain un peu niais (alors que Maximilien est tout seul, drapé dans sa vertu).

Et que dire du peuple ? Il surgit à la scène 2 de l’acte I avec ces mots : « Mort à qui sait lire et écrire ! Mort à qui marche les pieds en dehors ! A mort, à mort ! » Voilà pour le peuple. Il réapparaît pour fustiger les beaux habits de Danton, sa jolie femme, son bourgogne… Le peuple est envieux et ingrat, c’est connu. Le peuple « veut des têtes », écrit l’auteur. Le metteur en scène lui emboîte le pas. Il dirigeait encore récemment le Théâtre du Peuple (à Bussang, dans les Vosges). Il s’y connaît en peuple.

Mais où sont les femmes me direz-vous ? Elles sont là, dans leur rôle, bien à leur place, rassurez-vous : derrière leurs hommes pour les femmes de Danton et Desmoulins ; en spectatrices aux fenêtres pour les femmes du peuple (des tricoteuses ?) ; en apparition libidineuse pour Marina Hands.

Georg Büchner n’a pu avoir accès aux nombreux travaux historiographiques qui réévaluent le rôle important des femmes dans la Révolution, pas plus qu’il n’a pu consulter le livre de Marc Belissa et Yannick Bosc déconstruisant les figures successives du « mythe Robespierre » et sa légende noire. En revanche, il s’est largement appuyé sur l’Histoire de la Révolution française de Thiers, qui s’attache à distinguer la bonne de la mauvaise révolution et dont le point de vue sur Robespierre irrigue cette Mort de Danton. La troupe de la Comédie-Française en reste là. Que cette lecture libérale et bourgeoise de la Révolution française lui siée est fort révélateur. [Au passage, on notera que la pièce s’est montée « avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet, grande ambassadrice de la création artistique » et veuve d’un milliardaire français cité dans les Panama Papers]

Pour la critique de Télérama, la proposition de Simon Delétang « interroge notre époque et sa soif de radicalité ». En effet. Et c’est pour mieux la clouer au pilori, sa soif de radicalité. On nous donne à voir une révolution nécessairement sanglante dont quelques hommes sont les acteurs passifs. Pris dans l’engrenage forcément mortifère de la révolution, ils ne peuvent que vociférer leur monologue shakespearien sur l’avant-scène. Rien à espérer du côté du peuple, ignorant et sanguinaire ; rien à espérer du côté de l’individu, impuissant face au grand mouvement de l’histoire. 

Dans l’ultime scène, Simon Delétang fait quelques ajouts au texte de Büchner. Le « Tu montreras ma tête au peuple... » qu’on attendait avec impatience depuis le début ; et au cas où certains spectateurs nourrissaient encore quelques velléités insurrectionnelles, les comédiens se mettent à scander : « La Révolution, la mort, la Révolution, la mort, la Révolution, la mort ».

Tout est dit, préservons donc le statu quo. Le public de la Comédie-Française peut dormir tranquille.

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