Fin 2022, le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a épinglé la France pour “la persistance et l’ampleur des discours à caractère raciste et discriminatoire, notamment dans les médias et sur Internet”.
À l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, nous, organisations de la société civile, citoyen.ne.es, personnalités et militant.e.s antiracistes, affirmons que la France doit reconnaitre le racisme systémique qui règne dans le pays, et prendre des mesures fortes pour s’engager dans la lutte contre les discriminations raciales.
Les institutions internationales se sont pleinement saisies de ce sujet ces dernières années, en particulier la Commission Européenne à travers son Plan Européen d’Action anti-raciste. La France, elle, a présenté il y a quelques semaines son nouveau plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine. Un plan très attendu, alors que 9 personnes noires sur 10 estiment avoir déjà été victimes d’une discrimination raciale. Le nombre d’actes racistes signalés est pourtant bien en deçà de cette réalité.
Le racisme dans toutes les sphères de la société
Les discriminations raciales se manifestent de multiples manières dans la vie des personnes racisées : au travail, où 50% des personnes racisées déclarent avoir subi des discriminations, ou encore dans la recherche d’un logement, les personnes perçues d’origine étrangère recevant sensiblement moins de réponses à leurs demandes.
Afin de pallier ces inégalités, il est urgent de mettre en place un système de pénalisation financière plus efficace pour les entreprises aux pratiques discriminatoires.
Par ailleurs, l’école a un rôle central pour déconstruire le racisme. C’est pourquoi il est fondamental de repenser notre manière d’enseigner l’Histoire. Les jeunes, notamment issu.es de l’immigration, ont besoin que celle-ci soit racontée à l’aune de la réalité historique, sans occulter une partie du passé colonial de la France. Cela leur est indispensable pour se sentir inclu.es et considéré.es, et qu’il ne leur soit plus reproché d’être étranger.es dans ce pays qui est le leur.
La nécessité de mesurer les discriminations pour les combattre
Pour reconnaître leur existence et mieux les adresser, la mesure des discriminations raciales est indispensable. Ainsi, la méthode des testings prouve que les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % moins de chances d’être contactées par les entreprises que celles portant un prénom et nom d’origine française.
Pourtant, les statistiques ethno-raciales sont toujours interdites en France, contrairement aux recommandations du plan d’action européen contre le racisme. De nombreux pays européens, tels que les Pays-Bas, la Grande Bretagne ou la Grèce l’ont cependant déjà mis en place.
Ainsi, la France ne peut plus se cacher derrière le principe d’égalité pour interdire le recueil de données permettant de mieux mesurer et combattre les discriminations.
Immigration : un traitement à deux vitesses selon la couleur de peau
Récemment, la guerre en Ukraine a démontré qu’un accueil digne et rapide des personnes migrantes était possible. La France a très vite mobilisé un budget important pour ouvrir des centres pour mettre à l’abri les ukrainien.nes, offrir la gratuité des trains et accélérer les procédures de demande d’asile. Un traitement préférentiel pour des personnes migrantes en grande majorité blanches qui contraste avec celui réservé aux personnes réfugiées racisées, qui patientent souvent des années avant d’obtenir un logement ou un titre de séjour.
Par ailleurs, le gouvernement a récemment proposé un nouveau projet de loi sur l’asile et l’immigration. Celui-ci représente un énième recul pour les conditions d’accueil des personnes exilées, et témoigne du traitement différencié des personnes réfugiées.
L’abandon de ce projet de loi asile et immigration est une nécessité, sans quoi ces personnes seront plus facilement expulsées, ou placées dans des situations de grande précarité administrative, bafouant leurs droits fondamentaux.
Les femmes racisées, premières victimes des discriminations
En outre, le plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine ne comprend aucune mesure liée au genre. Les femmes sont pourtant violemment touchées par les discriminations raciales, en témoignent les débats virulents et réguliers sur le port du voile.
Ces femmes ont notamment de grandes difficultés à être embauchées, ou encore font face à des difficultés particulières dans le milieu de la santé. Le “syndrome méditerranéen”, croyance raciste selon laquelle les personnes originaires des pays bordant la Méditerranée exagèrent la douleur, conduit le corps médical à sous-estimer ou ignorer cette douleur, voire à des violences gynécologiques à l’égard des femmes racisées.
Ces discriminations de toutes sortes créent des inégalités d’opportunités flagrantes, et ont pour conséquence leur surreprésentation parmi les personnes en situation de précarité. La France doit adresser ces discriminations intersectionnelles, et prendre des mesures spécifiques dans l’intérêt des femmes racisées.
Une indispensable reconnaissance du racisme systémique
En France, le racisme présente une véritable dimension systémique, comme l’affirme également le Défenseur des droits. Il est perpétué par un système, et ne relève pas d’actes isolés émanant d’une minorité.
Le plan national récemment publié restera insuffisant tant que le caractère systémique et institutionnel du racisme en France n’y est pas reconnu. Il en va de notre responsabilité collective de reconnaître cette réalité, afin de s’attaquer aux mécanismes permettant de perpétuer en toute impunité des discriminations raciales.
La France, qui continue de se définir comme “pays des droits humains”, doit enfin être à la hauteur de ses prétentions, et respecter la dignité de toutes les personnes, quelle que soit leur couleur de peau ou leur origine.
Cette tribune a été initiée par Humanity Diaspo ONG
Cosignataires :
Le Planning Familial
Equipop
Action Droits des Musulmans (ADM)
Association "Avocats pour la défense des droits des étrangers"
Fédération Nationale GAMS
Femme & Pouvoir
#DiasporaVote!
Alice Barbe, Directrice Académie des Futurs Leaders
Alissata Ndiaye, Présidente de la Fédération GAMS
Amel Bakkar, Auteure
Binta Jammeh, Féministe, anti-raciste et facilitatrice à la conduite du changement
Camila Rios Armas, Directrice de l’Association UniR
Carole DA SILVA, Présidente-Fondatrice de l’AFIP - Association pour Favoriser l'Intégration Professionnelle
Chiraz Kachmar, Présidente de l’Association Ô Fémima
Christèle Galpin, Présidente d’entreprise
Emeline Foster, Consultante en philanthropie
Flor TERCERO, Avocate
George Arnauld, Retraitée
Laurence Meyer, Racial and Social Justice Lead Digital freedom fund
Marie-Claire KAKPOTIA, Directrice et Fondatrice Les Orchidées Rouges
Marta Giral, Présidente du Fonds pour les Femmes en Méditerranée
Mondher Abdennadher, Co-Fondateur Les Napoléons
Saïd ZAMOUSSI, Directeur du collectif Kif kif
Sharlen Sezestre, Experte plaidoyer égalité genre et Membre du Bureau du Black Feminist Fund
Véronique SEHIER, Féministe, ex co-présidente du Planning Familial