L'assimilation courante de Nicolas Sarkozy à un hyper-président est à divers égards infondée. D'une certaine façon, il est tout le contraire: un hypo-président.
Il ne s'agit pas ici de sa stature, physique ou symbolique, de son abus des postures sur la pointe des pieds ou sur talonnettes, de son inclination à se croire devenu grand lorsqu'il « rapetisse » furtivement l'art politique ou la dignité d'un leader plus prestigieux que lui.
Il s'agit d'abord du fait, beaucoup moins dérisoire, que les présidents de la république française ont, objectivement, de moins en moins de pouvoir légitime. L'agitation perpétuelle de Nicolas Sarkozy, sa prise de parole et ses injonctions législatives au moindre fait déclenchant une émotion médiatique, ses incursions cavalières dans les champs de compétences de ses ministres, ne doivent pas masquer ce que les plus sages experts en droit constitutionnel ont parfaitement établi. Un Georges Pompidou pouvait déléguer plus de marge de manoeuvre à son premier ministre, le tenir non pour un « collaborateur » mais pour un « chef de gouvernement », se garder de s'exhiber à tout bout de champ, éviter d' admonester et de sommer à propos de tout et de rien; il n'en exerçait pas moins beaucoup plus d'influence réelle sur le monde réel. Il disposait en effet de bien plus de leviers (y compris via les entreprises nationalisées) et était non seulement moins dépendant des aléas du marché mondial mais encore bien moins assujetti aux contraintes institutionnelles supra-étatiques (directives européennes) ou infra-étatiques (compétences des collectivités territoriales). L'un des paradoxes, et non des moindres, de la présidence Sarkozy, c'est qu'il puisse abuser de son mandat, exercer trop d'emprise sur la presse écrite et audio-visuelle, réduire le poids des contre-pouvoirs démocratiques, se comporter en tyranneau, bref disposer d'un excès de pouvoir effectif sur nos droits, nos libertés, notre espace civique mais tout en exerçant une influence médiocre et souvent illusoire sur les processus socio-économiques, dont - au moins autant par nécessité que par conviction libérale- il enregistre les rapports de force plus qu'il ne les infléchit.
Il s'agit ensuite et peut-être surtout du fait que Nicolas Sarkozy a brutalement piétiné jusqu' aux apparences et aux formalités de certaines fonctions traditionnelles de la présidence de la république: il se manifeste ouvertement comme parrain d'un clan, chef de tribu, et, au-delà de dérisoires débauchages, ne fait même pas semblant d'assumer des responsabilités de cohésion et d' arbitrage; il exhibe ses apparentements à de grandes familles financières et stigmatise des pans entiers de la population, y compris de catégories comme les enseignants et les chercheurs, placées au coeur de la socialisation républicaine et de la construction de l'avenir ; il affiche son mépris d'éléments fondamentaux du patrimoine culturel, notamment de la langue française, etc. De cette façon il mutile, comme aucun de ses prédécesseurs ne l'avait osé, la fonction présidentielle. Il exerce une présidence au rabais (à la limite comme un général Alcazar en Rolex) au point d'avoir permis – malgré un bilan très médiocre - l'improbable et spectaculaire remontée dans les sondages du précédent occupant de l' Elysée, Jacques Chirac, le dernier à avoir donné à la France une image, fût-elle un peu floue, un peu ternie, de présidence républicaine.