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Billet de blog 4 avril 2009

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Guide d'expression à l'usage des "Communiquants"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Petit guide d'expression à l'usage des « Communiquants », en souvenir de Marcel Schwob

Vous êtes journaliste, animateur d'émission audiovisuelle, représentant d'une institution politique,

chargé de la communication d'une entreprise, porte-parole d' une organisation soucieuse d'audience

ou d'influence, voici quelques conseils tirés du charabia quotidien de vos pairs:

Dites que l'événement dont vous souhaitez valoriser l'ampleur est la catastrophe climatique, la crise

financière, la vente aux enchères, la performance sportive du siècle, même si la première décennie

de celui qui est en cours n'est pas achevée. Autrement dit, pour capter l'attention, impressionner vos

auditeurs, majorer le poids de vos paroles, faites exactement comme si vous aviez lu dans une boule

de cristal que les quatre-vingt-onze années à venir ne nous réservent que des événements mineurs

au regard de celui que vous commentez. Lorsque vous observerez que de trop nombreux

concurrents emploient comme vous cette référence séculaire, n 'hésitez pas à franchir une étape

supplémentaire: soyez le premier à annoncer les événements du millénaire.

N' hésitez pas à utiliser des mots que vous comprenez mal et soyez convaincu que le public, qui ne

saurait égaler vos compétences, les comprendra moins bien encore : il sera non seulement surpris

mais enclin à vous témoigner déférence et révérence. Ainsi ne vous laissez plus aller à parler

modestement de l' « objet » ou du « thème » du débat, ou bien encore de l' « aspect » envisagé ou de

l' « angle de vue » adopté. Dites dans tous les cas « problématique » même si vous n'avez jamais lu

un paragraphe d'épistémologie et ignorez tout de ce qu'est une « chaîne conceptuelle ». Ne dites

plus avec précision « poser », « situer » ou « placer », selon que l'un ou l'autre de ces verbes est

requis: dites systématiquement « positionner » qui introduit un soupçon de culture anglo-saxonne,

une once de hauteur de vue manageriale et un délicat parfum de modernité. Employez à l' occasion,

fût-ce à contre-sens, éponyme au lieu d' homonyme. Et chaque fois que quelque chose est curieux,

étrange, bizarre, insolite, paradoxal, fût-ce un discours ou une initiative ubuesque d'un dictateur ou

d'un intégriste, dites: surréaliste.

Suggérez que tout en vous tenant constamment à l'avant-garde, vous conservez la précieuse

mémoire des humanités; il suffit de glisser de ci de là un terme à consonance grecque ou latine,

opus à la place d' album musical par exemple.

Pour compenser l'énergie et le temps investis dans la collecte de vocabulaire permettant de parader,

d'intimider ou de surprendre, économisez l' effort de choisir correctement des mots aussi subalternes

que les prépositions. Remplacez les toutes par « sur »: désormais vous habiterez non pas « à » mais

« sur » Paris; vous vous dirigerez non « vers » mais « sur » Marseille; vous investirez non

« dans » mais « sur » la recherche; vous ferez telle chose non « pendant » mais « sur » telle période.

Vous pouvez aussi procéder à la même économie de précision et d'arbitrage lorsque vous évoquez

la création d' oeuvres culturelles, choses dérisoires auprès des vraies valeurs que sont la richesse et

le pouvoir. Ne dites plus qu'un livre, un album de gospels, un ballet a été, selon le cas, créé, publié

réédité ou diffusé – dites qu'il est « sorti », ce sera lui faire assez honneur. J'oubliais, s'il s'agit d'un

livre, autrement dit du moins spectaculaire, donc du plus misérable des produits culturels, ne dites

pas « livre » ou « ouvrage » ou « essai » ou « recueil »: dites avec une pointe de condescendance

« bouquin » même s'il s'agit d'un chef d'oeuvre. Suivez en cela l' illustre exemple de Jean-François

Copé, expert en communication s'il en est , qui, lors du récent débat sur la procédure de nomination

des dirigeants de chaîne publique, s'étonna à la tribune de l' Assemblée nationale qu'on puisse

encore se référer à un « bouquin » comme L' Esprit des Lois.

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