Qui peut parler aux africains « en notre nom »?
Le pardon sollicité par Ségolène Royal au nom de la France et des Français pose trois questions.
La première concerne la façon dont cette initiative s'insère dans la compétition pour exercer le
leadership dans la mouvance socialiste et plus largement dans l'électorat de gauche. Elle n'est sans
doute pas négligeable, mais on conviendra que si l'on n'est pas affilié à tel courant, telle faction,
telle coterie interne ou externe au PS, elle n'est pas aujourd'hui essentielle. J' avoue qu'en
l'occurrence, elle m'indiffère.
La deuxième concerne ce que l'on peut appeler très sommairement le « fond », l'évaluation du
jugement porté par Sarkozy sur les peuples d'Afrique, la justesse ou l'inanité de propositions telles
que « l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire » ou « le paysan africain...dont l'idéal de
vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé
par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles ». Cette question est bien sûr
importante mais elle peut être vite tranchée: le discours prononcé par le chef de l' État à Dakar est
un pitoyable exemple de niaiserie anthropologique qui invite moins à s'interroger sur la véracité ou
la fausseté des déclarations que sur leurs parts respectives d'ignorance et d'arrogance.
La troisième est celle si l'on veut de la « forme », de la légitimité statutaire du locuteur: est-il
pertinent ou impertinent qu'une candidate défaite à l'élection présidentielle s'octroie le droit de
parler au nom de la France et des Français? A cette question les histrions de l'UMP ont bien
évidemment des réponses négatives, à commencer par celle de Nadine Morano qui, à mi-chemin
entre coquecigrue et obscénité, a vu dans l' initiative de S.R. un antisarkozysme « hystérique »
(!?!?!). Les premiers de la classe médiatique, façon Christophe Barbier, sont moins bouffons mais
non moins sévères: ils assurent, avec une gravité d'expert, voire de docteur honoris causa du conseil
constitutionnel, que Ségolène Royal ne saurait représenter que la région qu'elle préside, Nicolas
Sarkozy ayant seul titre à parler « au nom » de la France et des Français. Ce type de remarque a les
apparences du bon sens, à un détail près, où loge le diable, comme il se doit. La question de la
pertinence du discours de Ségolène Royal est indissociable de celle de la légitimité de l'adresse de
Nicolas Sarkozy aux peuples d'Afrique, et cette dernière n'est pas une simple affaire de compétence
territoriale. En tant que représentant d'une ancienne puissance colonisatrice, ayant fait entrer de trop
nombreux africains dans l'histoire occidentale comme esclaves ou chair à canon, le président de la
république française était particulièrement infondé à tenir le discours qu'il a prononcé, à donner les
leçons qu'il s'est cru autorisé à distribuer. Par désinvolture, sottise, cynisme ou vanité, il a en
l'occurrence failli politiquement et abusé du mandat qui lui était confié: le fait d'être officiellement
chef de l'État français (les gaullistes, s'il en reste, devraient le savoir mieux que quiconque)
n'autorise pas mécaniquement à dire ou faire n'importe quoi « au nom » de la France et de ses
citoyens. Il était donc hautement souhaitable que le dérapage de Dakar soit solennellement
désavoué. On peut éventuellement regretter que cela n'ait pas été fait plus tôt et par une autre
instance. Mais on ne peut que se féliciter que l' initiative ait été enfin prise, et, fût-ce faute de
mieux, par quelqu'un qui a symbolisé lors de la dernière campagne présidentielle une autre « voix
de la France » possible.