En ce qui concerne les héros (ou « indispensables ») à l'échelon national, les personnalités les plus fréquemment citées ont été l'Abbé Pierre (9 voix), Lucie Aubrac (8), Robert Badinter (7), Simone Veil (6), Coluche (5) et Stéphane Hessel (5).
Aucune n'a été citée quatre fois. En revanche quatre ont été citées trois fois: Raymond Aubrac, Charles De Gaulle, Soeur Emmanuelle et Pierre Mendès-France.
Enfin ont été cités deux fois: José Bové, Edwy Plenel et le Réseau Education Sans Frontières.
Si, comme on l'a fait pour les héros internationaux, on cherche à dégager les valeurs auxquelles les votants ont rendu hommage à travers ces choix, on relève :
la solidarité concrète avec les plus vulnérables, solidarité incarnée par l'abbé Pierre (9), soeur Emmanuelle (3) et le Réseau Education Sans Frontières (2);
l'usage digne des responsabilités politiques avec les combats courageux de Robert Badinter (7) pour abolir la peine de mort (on pourrait ajouter pour dépénaliser l'homosexualité et favoriser la réinsertion des détenus) et de Simone Veil (6) pour accorder aux femmes le droit à l'avortement, avec aussi l'exemplarité lucide d'un homme comme Pierre Mendès-France (3) et peut-être de Charles De Gaulle (3) dont on ne peut cependant savoir s'il a été cité principalement comme chef de la France Libre ou comme président de la république (respecté y compris à gauche au moins en tant que résistant à l'hégémonie américaine, veillant scrupuleusement à ne pas tirer d'avantages personnels de la fonction exercée et enfin estimant devoir renoncer au pouvoir après l'échec d'un référendum, risque qu'aucun de ses successeurs n'a assumé);
l'art de traiter par la dérision tous les hochets de la puissance et d'entretenir ainsi la vigilance critique, art symbolisé ici par Coluche (5), « héros » peut-être inattendu mais pas tout à fait seul dans sa catégorie puisqu'une voix a été attribuée à Pierre Desproges;
le lien établi entre les exigences écologiques et les aspirations démocratiques et sociales de la gauche, à travers la figure de José Bové (2)
le combat pour la défense de la liberté d'expression, la dénonciation de la mainmise du pouvoir sur les médias et la création d'un pôle de résistance, d'un média original indépendant, Médiapart, combat incarné en l'occurrence par Edwy Plenel (cité une fois seul, une fois avec Laurent Mauduit),
enfin et surtout la fidélité de toute une vie aux valeurs qui ont fondé l'engagement dans la résistance à l'Allemagne nazie, fidélité qui ici est sans doute moins incarnée par des dirigeants politiques tels que De Gaulle ou Mendès-France (même s'ils peuvent être tenus à certains égards pour héritiers de la Résistance) que par Lucie Aubrac (8), Stéphane Hessel (5), Raymond Aubrac (3) auxquels on pourrait ajouter au moins Germaine Tillion qui a reçu une voix et peut-être Henri Frenay (une voix également).
Avec toutes les limites qu'imposent au résultat du sondage le faible nombre de votants, l'hommage très net rendu à ces porteurs des idéaux de la Résistance me semble un des résultats les plus intéressants et les plus utiles.
Rappelons qu'après avoir joué un rôle très actif dans la Résistance, en allant jusqu'au bout des risques de la torture et de la mort, les Aubrac ont négligé les honneurs et repris humblement leurs métiers tout en continuant à défendre les valeurs pour lesquelles ils avaient combattu. Lucie Aubrac a milité notamment contre la guerre d'Algérie et, récemment encore, elle a apporté son soutien au mouvement pour l'abrogation de la loi instituant le CPE, loi qu'elle jugeait en rupture avec l'idéal éducatif issu de la Résistance. Raymond a apporté une contribution à l'instauration de la paix au Viet-Nam et a rejoint l'association « Une autre voix juive » qui milite pour la création, à côté d'Israël, d'un Etat palestinien viable. [On trouvera sur le fil du billet initial, d'utiles précisions apportées sur leur parcours par Lincunable qui signale entre autres que Raymond Aubrac a été jusqu'à rencontrer Yasser Arafat assiégé à Ramallah].
Stéphane Hessel, résistant, déporté Buchenwald, a participé en 1948 à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l' homme. En 1962 il a créé l'Association pour la formation des travailleurs africains et malgaches, qu'il préside. Il a signé en 2003 l'appel pour un « Traité de l'Europe sociale » , en 2004, celui des résistants de la 1ère heure pour commémorer le 60ème anniversaire du « Programme du Conseil national de la Résistance » et en rappeler les idéaux, en 2006 celui de l'UJFP contre les bombardements israéliens au Liban. En 2008, il s'est engagé pour défendre les sans logis et a dénoncé publiquement le non respect par la France de la Déclaration universelle des droits de l'homme. En 2009 il a manifesté sa solidarité aux palestiniens bombardés à Gaza. Il est notamment membre du Comité de coordination de la Décennie pour la paix et la non violence, du Tribunal Russel sur la Palestine, de l'ONG Bibliothèques Sans Frontières.
Germaine Tillion a été résistante, déportée à Ravensbrûck. Après la guerre elle a enquêté sur les crimes nazis et aussi sur les camps de concentration soviétiques. Elle a soutenu en France l'introduction de l'enseignement dans les prisons. Spécialiste de l'Algérie, elle a tenté en liaison clandestine avec un cadre de l'insurrection, de mettre fin à la spirale des attentats contre les civils et des exécutions capitales, dénoncé la misère dans laquelle étaient maintenues les masses musulmanes ainsi que l'usage de la torture par l'armée française, milité pour l'émancipation des femmes .
De la Méditerranée. En 2004, elle a signé un appel pour la cessation de la torture en Irak.
En ce qui concerne les salauds (ou anti-héros ou « superflus ») à l'échelon national, N. Sarkozy (5 voix) devance M. Papon (4) puis quatre personnalités gratifiées de trois voix chacune : le général Aussaresses, Crozemarie, Emile Louis et Fourniret, et enfin cinq personnalités ayant chacune deux voix: Faurisson, Brice Hortefeux, Alain Minc, le baron Sellière, Paul Touvier.
Aux côtés donc d'hommes qui ont tenté de poursuivre une carrière de notable après avoir scandaleusement collaboré à la déportation des juifs (M. Papon et P. Touvier auxquels on peut ajouter R. Bousquet, crédité d'une voix), d' assassins en série de victimes particulièrement vulnérables (Fourniret et Emile Louis), d'un gradé défenseur de la torture en Algérie (Aussaresses), de l'escroc cynique d'une association humanitaire (Crozemarie), on trouve donc un emblème de l'arrogance du grand patronat (Sellière, étant entendu que le MEDEF, qu'il a dirigé, a collectivement obtenu une voix) et notre président de la République (N. Sarkozy) associé à son ministre probablement le plus caractéristique de la flatterie de l'électorat d'extrême-droite (Brice Hortefeux) et d'un de ses conseillers les plus bavards et les plus arrogants (Alain Minc).
J'avoue avoir été un peu surpris que N. Sarkozy recueille cinq voix alors que Jean-Marie Le Pen n'a reçu que la mienne. Mais je suppose qu'a joué un mécanisme analogue à celui qui, dans le classement international, a placé W. Bush devant Pol Pot et d'autres tyrans particulièrement sanguinaires. Les votants ont été moins nombreux à choisir les plus odieux qu'à choisir ceux qui, selon eux, exerçaient ou avaient exercé objectivement (à l'échelon international dans un cas, national dans l'autre) la plus grande influence négative.
Si l'on se préoccupe de la question de la parité homme/femme, on notera qu'elle a été mieux (ou moins mal) respectée dans la catégorie des héros internationaux (5 hommes, 4 femmes, 2 associations) que dans celle des héros nationaux (9 hommes, 3 femmes, 1 association). Mais les hommes seront peut-être moins fiers d'apprendre qu'ils l'emportent très largement chez les salauds internationaux (15 voix à 1, celle – qui fait clin d'œil à une chanson de Renaud – de M. Thatcher) et chez les salauds nationaux (11 voix à zéro). Cette énorme disproportion entre hommes et femmes dans une compétition pour la vilénie m'incite à rappeler une fois de plus ce cruel constat de Nancy Huston:
« Les hommes constituent de par le monde entre 90 et 100% des criminels, pédophiles, violeurs, chefs d' État et grands leaders religieux ».
Enfin, plusieurs votants ont à juste titre souligné les inévitables limites de ce type d'exercice:
cinq héros et a fortiori cinq salauds cela ne permet pas d'accueillir tous ceux qui le méritent; si les votants avaient été plus nombreux, on peut supposer que se serait opérée une correction statistique (telle personnalité oubliée par l'un étant signalée par l'autre) mais ici elle a été insuffisante pour que tous ceux qui auraient dû l'être soient cités; la lecture du fil permet cependant de retrouver, parmi les personnalités citées une fois ou en marge des figures telles que le pacifiste Lecoin ou encore de magnifiques saltimbanques comme Brassens, Brel et Ferré;
s'il y a des figures emblématiques de l' héroïsme ou de l'immonde, il y a aussi et peut-être surtout de nombreux « héros ordinaires », sur-représentés dans certaines corporations (j'ai relevé les sapeurs-pompiers, les médecins urgentistes, les inspecteurs du travail), ou caractérisés par des actes de bravoure ou de dévouement effectués à leur risque ou leur détriment; et, au pôle opposé il y a des salauds ou anti-héros ou superflus ordinaires tels que les conducteurs qui narguent ou mettent en danger les autres sur la route, ou les tortionnaires anonymes, les commis disciplinés des tyrannies.
Je remercie les abonnés qui ont participé au vote et les lecteurs de bonne foi.
Quant à ceux qui ont vu dans ce sondage une opération bien pis qu' inutile, une manœuvre « détestable », une « main délatrice », une contribution au maintien du système inégalitaire, une initiative complètement opposée à la citoyenneté pratique, ils me rappellent opportunément qu'on sous-estime toujours l'étonnante variété de l'espèce humaine.