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Billet de blog 27 avril 2009

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Outreau, miroir social

Un juge manquant tout à la fois d’humilité et d’expérience, vraisemblablement un peu plus« suffisant insuffisant » que ne le sont les détenteurs d’autorité ordinaires, soucieux commebeaucoup d’entre eux – avec peut-être un petit peu plus de vanité, un petit peu moins descrupules - de satisfaire les attentes de ceux dont dépendent son avenir social, son « rang ».

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Un juge manquant tout à la fois d’humilité et d’expérience, vraisemblablement un peu plus

« suffisant insuffisant » que ne le sont les détenteurs d’autorité ordinaires, soucieux comme

beaucoup d’entre eux – avec peut-être un petit peu plus de vanité, un petit peu moins de

scrupules - de satisfaire les attentes de ceux dont dépendent son avenir social, son « rang ». Il

serait bien sûr aussi sot qu’indécent de le tenir pour innocent des souffrances infligées à ceux

qui ont été stigmatisés et violentés pour des crimes qu’ils n’avaient pu commettre. Mais non

moins sot de penser que ces « un petit plus » ou « un petit moins » le distinguant de ses pairs

suffisent à rendre compte de l’infamie du procès qu’il a instruit, de la violence

impitoyablement et scandaleusement exercée « au nom de la Loi ». Au-delà du comportement

affligeant d’un homme, au-delà même de la faillite d’une institution qui, avant de le

réprimander, l’a mandaté, cautionné et promu, l’ignominie d’Outreau est terriblement

révélatrice de la façon dont fonctionne et dysfonctionne communément le champ social. Que

l'on tienne le juge pour un fonctionnaire pitoyable ou pour un notable odieux, que l'on tienne

la sanctionné pour appropriée, sévère, indulgente, dérisoire, il faut regarder au-delà du

réprimandé, au-delà même de la chaîne hiérarchique particulièrement concernée .

Que voit-on ?

En premier lieu, la mécanique des forces la plus triviale, à ceci près que les dissymétries

ordinaires se sont ici comme condensées, que des accusés ont pu se trouver simultanément

dans toutes les dimensions communes de la faiblesse sociale : celle des petites gens,

économiquement et culturellement vulnérables, face à des figurations de l’élite, des

« incarnations » des classes supérieures ; celle des simples citoyens, sans la moindre autorité

déléguée, sans l’ombre d’un mandat, face aux représentants du pouvoir d’ État, adossés au

monopole de la violence légitime ; celle des isolés face à la force physique et symbolique du

nombre, aux coalitions des jeteurs d’opprobre, à la mise en scène de l’unanimité de récits

infamants.

Ensuite, la vanité, ou plus exactement des vanités innombrables – celles d’enquêteurs, en

premier lieu d’un magistrat zélé en quête de reconnaissance et de gratifications corporatives,

mais celles aussi de victimes supposées, de témoins illusoires et de coupables avérés, à

commencer par une matrone m’as-tu-vu, sollicitant jusqu’à l’obscénité des signes

d’importance sociale. Et, au-delà de ces vanités, ce qui, tout à la fois, les façonne et les

mobilise : la manière dont une société transmet aux individus tel désir de tels honneurs, telle

hantise de l’insignifiance.

On aperçoit encore, sous-tendant la défaillance des contrepoids et des contrôles, favorisant

l’accumulation des complaisances et négligences, un mélange trop commun de pusillanimité

collégiale et d’indolence routinière. L’énergie déployée par les quémandeurs de promotions,

de médailles, de marques dérisoires de crédit social, eût été moins efficace sans un entrelacs

de micro-lâchetés et d’indifférence paresseuse, sans le laisser-faire de celles et ceux pour qui

la vigilance était coûteuse et sans enjeu, donc (dans le registre d’une carrière raisonnable)

« objectivement » vaine.

On observe aussi l’exécution de malfaçons intellectuelles, des policiers et magistrats

transfigurant en « résultat » avéré ce qui était dans le meilleur des cas une supputation

plausible, et négligeant d’autres hypothèses au moins aussi vraisemblables ; des enquêteurs

privilégiant des « faits » propres à manifester l’avancée de leurs investigations et à autoriser

promptement des décisions pénales, sans concéder leur place aux incertitudes, sans mobiliser

le temps et l’art nécessaires pour arbitrer entre conviction rationnelle et croyance, sans

assumer le risque d’aboutir provisoirement à une impasse. Il y a là une sorte de charlatanerie

opportuniste, regrettable mais banale, et fréquemment repérable en d’autres lieux que

l’enquête judiciaire, y compris celui de la recherche scientifique, à tout le moins dans

certaines spécialités à forte résonance médiatique .

On voit enfin l’excitation pathétique qui affecte les comportements collectifs lorsque semble

en jeu la transgression d’un tabou fondamental, non pas seulement la violation des règles de

vie commune mais le franchissement de la ligne apparente de partage entre humanité et

sauvagerie. Franges de plèbe (Hugo aurait dit, par opposition au « peuple » : populace)

appelant bruyamment au lynchage ; détenus revendiquant leur différence « de nature » avec

ceux qui sont désignés comme des « monstres » et faisant preuve à leur égard d’intolérance

agressive et brutale ; journalistes trop empressés à témoigner publiquement du scandale – fûtce

en accréditant des rumeurs ou des impostures ; hommes politiques non moins soucieux

d’exprimer avant leurs concurrents leur extrême indignation face au crime odieux (fût-il

conjecturé), leur totale compassion pour les victimes (fussent-elles présumées), leur

détermination sans faille à faire condamner les coupables (fussent-ils des fantômes de

coupables).

En somme Outreau a été un miroir grossissant de l'obscénité ordinaire du champ social.

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