
Au fond du frigo de Gédéon-Patrick, entre une barquette de yaourt moisie et un pot de ketchup qui a oublié sa fonction première, repose une feuille de laitue. Une feuille banale en 2007, devenue légendaire en 2025. Oui, parce que cette feuille-là ne meurt pas. Elle ne flétrit pas. Elle refuse de pourrir. Même la moisissure, en voyant son obstination, baisse les bras.
Gédéon-Patrick, quant à lui, cesse d’ouvrir ce bac à légumes depuis des années. Pourquoi s’encombrer de détails biologiques quand on peut ignorer le monde ? Mais la feuille, elle, a des ambitions : elle revendique ses droits civiques. Elle veut voter, payer des impôts, recevoir une carte Vitale et, surtout, obtenir une reconnaissance officielle de son statut de citoyenne légale.
Au début, Gédéon-Patrick rit. Puis il se rend compte que la feuille commence à écrire des lettres à l’Élysée. Chaque matin, elle laisse un mot sur le comptoir : “Je suis immortelle, je suis visible, je suis légitime.” Les timbres sont collés avec de la chlorophylle.
La presse s’empare de l’affaire. “Une laitue en campagne présidentielle”, titre Le Monde. Les débats télévisés sont féroces : faut-il compter les votes des légumes ? La feuille de laitue répond toujours par un silence glacial et un vert éclatant.
Finalement, le gouvernement cède. Une loi est votée : tous les aliments oubliés depuis plus de dix ans dans les réfrigérateurs publics ou privés sont désormais considérés comme citoyens à part entière. Le fromage bleu, la carotte noire… même le pain rassis a droit à un passeport.
Gédéon-Patrick, lui, continue de ne rien faire. La salade immortelle l’observe depuis son frigo, avec un mélange de mépris et de fatalisme. Les voisins la saluent en passant. Les chats la craignent. Et la planète ? Eh bien, elle continue de tourner, indifférente à la rébellion chlorophyllienne.
Et la morale ? Il n’y en a pas. Juste une feuille de laitue immortelle qui sait que le monde est absurde et que parfois, pour survivre, il suffit de refuser obstinément de mourir.