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Billet de blog 7 juin 2023

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Le non-recours au RSA

Le 14 février 2022, grâce à un rapport de la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (DREES) paru le 11 février 20221, Mediapart révèle qu’un tiers des foyers français ne demandent pas à percevoir le Revenu de Solidarité Active (RSA) faisant économiser environ 3 milliards d’euros par an à l’État.

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À l’issue de deux ans de recherches, ce rapport établi que 34% des foyers français éligibles ne demandent pas à percevoir le RSA chaque trimestre et que 20% des personnes éligibles seraient en situation de non-recours depuis plus de trois trimestres consécutifs. Se privant ainsi de 330 euros par mois en moyenne, un montant quasiment équivalent à celui perçu par ceux qui reçoivent cette prestation sociale.

La DREES a dressé le portrait des personnes qui n’activent pas leurs droits et donc expliquer ce non-recours. C’est un public hétérogène. Il y a d’un côté, des jeunes de moins de 30 ans ayant une mauvaise connaissance des allocations existantes et de l’autre, des habitants de communes rurales où les services publics sont plus distants.

Le 13 février 2022, Valérie Pécresse a convoqué l’imaginaire habituel autour des prestations sociales. Les bénéficiaires du RSA seraient des grands oisifs payés à ne rien faire, délivrer ces aides détournerait même du retour au travail. Les études diverses ont démontré le contraire, en réalité, tous les trimestres, 750 millions d’euros ne sont pas versés faute d’avoir été réclamés.

Ce pourcentage élevé de non-recours amoindrit automatiquement l’efficacité du RSA en matière de lutte contre la pauvreté. Le manque d’information autour du RSA, la complexité des conditions d’accès à ce dispositif produisent cet état de fait. Cependant, bien d’autres facteurs entrent en ligne de compte. La peur de la stigmatisation par exemple, Selon Erving Goffman, un individu stigmatisé « se définit comme n’étant en rien différent d’un quelconque être humain, alors même qu’il se conçoit (et que les autres le définissent) comme quelqu’un à part. ». Aujourd’hui, la stigmatisation correspond au fait d’être dévalorisé, jugé inférieur par les autres et être réduit au bas de l’échelle sociale. Le fait d’être bénéficiaire du RSA est stigmatisant s’il est partagé par un ensemble de personnes.
Ainsi, et même si cet attribut n’est pas stigmatisant en soi, il l’est devenu car il est le produit d’une croyance sociale et d’une instrumentalisation politique qui discrédite un individu aux yeux des autres.

La croissance du non-recours peut résulter d’un refus d’être stigmatisé et donc d’être identifié comme inférieur aux autres. Bruce Link parle d’auto-stigmatisation, l’individu qui s’auto-stigmatise applique les croyances discriminantes à sa propre personne, l’amenant ainsi à se déprécier. L’individu qui ne parvient pas à se défaire d’une étiquette aura de la peine à évoluer. Il est donc important que le regard de la société change vis-à-vis des bénéficiaires du RSA car il a des répercussions sérieuses sur ces derniers. La baisse ou le manque d’estime de soi en est une des conséquences.

Selon Céline Brodar, l'estime de soi « est un concept psychologique qui renvoie au jugement global positif ou négatif qu'une personne a d'elle-même ». Elle dépend de la perception que la personne a d'elle-même, de son sentiment d'avoir de l'importance et constitue un concept majeur pour comprendre son vécu psychique. William James est le premier à définir le concept d’estime de soi qu’il décrit comme essence de l’individu, c’est le rapport entre les réussites et les aspirations ainsi que les résultats et les échecs. 

L’estime de soi est le jugement ou l’évaluation intime de soi, il s’agit de l’opinion émotionnelle de l’épanouissement personnel et professionnel. Elle varie en fonction du regard et des jugements des autres. D’après Jean-Claude Croizet, « si les autres ne m’estiment pas, l’image qu’ils me renverront sera dévalorisée et je ne m’estimerai pas ».

Le RSA est une période de fragilité. L’individu peut se sentir inutile, dévalorisé (« je suis nul, je ne vais jamais y arriver ») dans une société capitaliste qui vante le travail et prône la réussite sociale. Une solide estime de soi peut être source de bien-être et d’épanouissement. À l’inverse si celle-ci est fragilisée, l’estime de soi peut générer de la souffrance, du mal-être, créer une entrave à une vie sociale épanouie. Ce qui, graduellement, entraîne la solitude et l’exclusion.

La pauvreté est un phénomène ayant à voir avec l’exclusion, en les empêchant d’accéder aux normes de consommation, elle peut couper ceux qui en souffrent du reste de la société. Les « pauvres » sont, par conséquent, plus ou moins contraints de vivre leur situation dans l’isolement. Serge Paugam a développé le concept de « disqualification sociale ». La disqualification sociale est le « processus d’affaiblissement ou de rupture des liens de l’individu avec la société au sens de la perte de la protection et de la reconnaissance sociale ». C’est un processus de mise à l’écart et de stigmatisation porté sur ceux qui ne participent pas pleinement à la vie économique et sociale. L’individu s’exclut de la scène sociétal dans le but de protéger sa propre image et dissimuler l’infériorité de son statut. L’humiliation l’empêchant de développer tout sentiment d’appartenance à une classe sociale.
Selon Daniel Verger le non-recours au RSA, à lui seul, est une source d’économie budgétaire évaluée entre 3 et 5 milliards d’euros. « Ces économies sont réalisées sur le dos des pauvres. Ce sont des économies honteuses et de courte vue car elles plongent les personnes dans une plus grande précarité et mettent à mal la cohésion sociale. ».

Alors comment vivre sereinement quand il faut périodiquement faire reconnaître une « éligibilité » dans un labyrinthe administratif volontairement dissuasif et sans aucune certitude ? L’individu de France n’est pas spécialement « un assisté ». Se dire bénéficiaire du RSA reste compliqué, demander une aide engage son identité, sa manière de se percevoir et son rapport aux autres.

Les divers a priori dont sont victimes les bénéficiaires du RSA ont plusieurs répercussions, notamment sur la confiance et l’estime de soi, et petit à petit, sur leur réinsertion. Il est donc essentiel de ne pas sous estimer les conséquences de ces a priori.

Je pense qu’un revenu de base est un droit et que notre société créée ses propres exclus. Les prestations sociales « conditionnées » comme le RSA sont humiliantes, elles ajoutent du remords et de la honte à la précarité. À n’importe quel moment de sa vie, chaque individu peut se trouver dans une situation précaire alors même que celle-ci est entravée directement par des réticences et croyances sociales.

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