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Billet de blog 3 mai 2020

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Le microbiote : facteur discriminant dans l’expression de l'ACE2 et du Covid-19

Le microbiote, via son déterminisme sur l'action de l'ACE2, porte d'entrée du Covid dans l'organisme, joue probablement un rôle clé dans l'épidémie. Le profilé épidémiologique et les tableaux des symptômes trouvent un écho dans la bactérie Prevotella.

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Par Igaal HANOUNA

Introduction :

Dans notre précédent article, nous avons montré que la bactérie Prevotella et ses sous-espèces (Prevotella spp.) pouvait entraîner des profils épidémiologiques et des tableaux de symptômes compatibles à ceux du Covid-19.

J’invite le lecteur à se reporter à mon article précédent.

https://medium.com/@igaalhanouna/une-s%C3%A9quence-g%C3%A9n%C3%A9tique-de-prevotella-pourrait-%C3%AAtre-un-facteur-d%C3%A9terminant-de-la-s%C3%A9v%C3%A9rit%C3%A9-des-807a7c36a05e

Toutefois, je n’ai pas émis d’hypothèse sur la façon dont le virus Covid-19 pouvait interagir avec cette bactérie.

Je vais donc tenter d’expliquer cela en me basant sur les travaux de Tastuo Hashimoto, Thomas Perlot et leur équipe qui ont publié en 2012 une étude très intéressante concernant l’enzyme ACE2 : « ACE2 links amino acid malnutrition to microbial ecology and intestinal inflammation ». Cette étude est parue dans la revue Nature, la plus prestigieuse de toutes.

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7095315/

L’hypothèse que je retiendrais est la suivante : l’expression du Covid-19 est indirectement influencée par le microbiote, ce dernier détermine quant à lui directement l’expression de l’enzyme ACE2.

I. L’enzyme ACE-2 est la porte d’entrée principale du Covid-19

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1521661620303181?via%3Dihub

Sans entrer dans les détails de la biologie moléculaire des cellules, on a identifié deux protéines qui permettent au virus de se lier avec des molécules.

La première qui semble anecdotique pour le moment (peut-être que l’avenir le démentira) est la protéine hémagglutinine esterase (HE). Celle-ci peut notamment se lier à l’acide sialique qui l’on classe dans la catégorie des sucres.

Autrement dit, la protéine HE se lie préférentiellement à des sucres. Les sucres n’étant pas des organismes vivant dans lesquels le virus peut pénétrer pour se reproduire, cette liaison ne semble pas capitale pour comprendre la manière dont le virus agit sur les cellules humaines.

La deuxième protéine qui permet au virus de se lier avec d’autres molécules est la protéine Spike (ou protéine S). Le terme Spike signifie « pointe » en français. Il renvoie à l’idée que le virus vient littéralement harponner ou se ficher dans la protéine (molécule) de la cellule qu’il va attaquer.

Dans le cas du Covid-19, la protéine Spike vient se lier à une protéine de certaines cellules humaines qu’on appelle « enzyme de conversion de l’angiotensine 2 » (ACE2 pour l’abréviation anglaise).

Un enzyme est un type particulier de protéine qui a des propriétés catalytiques, c’est-à-dire des propriétés permettant de transformer une molécule de départ en une autre molécule finale.

Dans notre cas précis, les enzymes ACE2 sont présentes sur les épithéliums, tissus cellulaires que l’on retrouve dans certaines parties du corps.

Ces épithéliums peuvent être de plusieurs natures :

· Épiderme (épithélium de le peau)

· Épithélium intestinal

· Épithélium des voies respiratoires

· Épithélium de la vessie et du système urinaire

La répartition des enzymes ACE2 explique donc bien la symptomatologie du Covid-19.

En résumé, le Covid-19 vient donc se lier fortement à l’enzyme ACE2 des cellules humaines qui en présentent et se servent de ces cellules pour s’y multiplier, laissant ensuite la cellule morte.

Tout cela semble limpide. On serait donc tenté d’en conclure que plus on a de cellules ACE2, plus il y a de portes d’entrées pour le Covid-19 et plus on sera touché sévèrement.

Toutefois, dans les faits cela ne fonctionne pas comme cela. Les enfants par exemple, qui ont un renouvellement cellulaire plus important, devraient théoriquement être plus touchés. Mais ce n’est pas le cas.

Autrement dit, les scientifiques n’arrivent pas à mettre en évidence des liens de corrélations quantitatifs logiques entre la quantité de cellules épithéliales (et donc d’enzymes ACE2) et la gravité des symptômes.

Il semble donc que ce soit l’expression de l’enzyme ACE-2 qui explique les différences observées.

II. Le microbiote module directement l’expression de l’enzyme ACE2

Dans l’étude précitée, « ACE2 links amino acid malnutrition to microbial ecology and intestinal inflammation », une expérience très intéressante est décrite pour mettre en évidence le lien de causalité directe entre microbiote et expression de cette enzyme ACE2.

Dans cette expérience, les chercheurs étudient deux souris, l’une malade, l’autre saine.

L’une d’elles présente des enzymes ACE2 dysfonctionnelles, ce qui provoque une dérégulation du système rénine-angiotensine (système de régulation des fonctions cardiovasculaires et pulmonaires).

L’autre souris ne présente aucune dérégulation du système rénine-angiotensine et ses enzymes ACE2 semble fonctionner correctement.

Les chercheurs ont ensuite transplanté le microbiote de la souris malade vers la souris saine : ils ont alors observé que l’enzyme ACE2 devenait dysfonctionnelle et entraînait une dérégulation du système rénine-angiotensine.

L’étude démontre également au travers d’une expérience sur une murine (chauve-souris d’Europe et d’Asie tempérée) que l’ACE2, lorsqu’elle est dysfonctionnelle, joue un rôle dans certains phénomènes inflammatoires .

La preuve est donc apportée que le microbiote module très directement l’expression de l’enzyme ACE2 ce qui peut provoquer des phénomènes inflammatoires.

Il est donc très possible qu’il en soit de même dans l’expression de la maladie du Covid-19 et on ne voit pas pourquoi l’infection d’une cellule humaine par le Covid-19 viendrait neutraliser l’influence du microbiote sur l’expression des enzymes ACE2.

III. Certaines bactéries ont une influence plus prononcée que d’autres dans l’expression de l’enzyme ACE2

Dans l’étude précitée, « ACE2 links amino acid malnutrition to microbial ecology and intestinal inflammation », les chercheurs testent plusieurs hypothèses.

Ils en déduisent notamment que lorsque l’activité enzymatique de l’ACE2 est perturbée, cela induit des phénomènes inflammatoires.

Ils montrent ainsi que l’absence d’un acide aminé (une des briques fondamentales qui compose une protéine), en l’occurrence le tryptophane, perturbe la catalyse de l’ACE2.

Dans le même temps, les auteurs ont constaté une dérégulation à la baisse de peptides anti-microbiens, éléments qui jouent un rôle dans la réponse immunitaire pour tuer les bactéries à Gram négatif et à Gram positif (le Gram positif ou négatif définissant le type de structure et de membrane pour une bactérie).

Autrement dit, la perturbation de l’activité enzymatique de l’ACE2 provoque à la fois des phénomènes inflammatoires mais également une baisse de la réponse immunitaire face aux bactéries.

En revanche, la transplantation du microbiote de la souris malade vers une souris saine n’a pas entraîné de baisse de la réponse immunitaire face aux bactéries.

Autrement dit, c’est bien la perturbation de l’activité enzymatique seule qui abaisse la réponse immunitaire face aux bactéries et non le microbiote.

En résumé, si nous transposons dans le cas du Covid-19, le virus est responsable de la mort des cellules et de la baisse des défenses immunitaires face à la bactérie. Mais c’est bien le microbiote qui est le principal responsable des phénomènes inflammatoires.

Dans leur étude, les scientifiques essaient également de voir quelles sont les bactéries qui sont le plus susceptibles de profiter de façon opportune de cette baisse des défenses immunitaires.

Pour ce faire, ils utilisent au cours de leur expérience de la rapamycine (un immunodépresseur) pour les besoins de l’expérience. Ils concèdent que cela introduit un biais d’analyse dans le microbiote et que pour ces raisons l’analyse n’est pas complètement fiable.

Comme on peut le voir ci-dessous, les chercheurs en concluent que certaines bactéries peuvent devenir plus virulentes que d’autres.

Nous avons principalement ici :

· Des bactéries Limibacter : bactéries aérobies (elles ont besoin d’oxygène pour survivre) Gram négative

· Des bactéries Plaudibacter : bactéries anaérobies (elles se développent à l’abris de l’oxygène) Gram négative

· Des bacteroidales non classées

Toutefois les biais de l’analyse et le cas d’espèce étudié ne permettent pas d’affirmer que ce sont nécessairement ces bactéries qui sont en cause dans le cadre du Covid-19.

Hypothèse :

Comme vu, le Covid-19 perturbe l’activité de l’enzyme ACE2 en s’y liant.

Mais chaque situation est différente et l’expérience décrite, même si elle permet de tirer certaines conclusions, ne peut valoir de cas général.

En l’occurrence, compte tenu du fait que le Covid-19 a un matériel génétique particulier, il nous semble impossible de pouvoir faire des analogies sur cette étude pour en tirer des enseignements sur les bactéries à l’œuvre dans le cadre de cette maladie.

En outre, puisque l’expression des ACE2 dépend directement du microbiote, il nous apparaît que le microbiote peut vraisemblablement être le facteur discriminant des tableaux de symptomatologies du Covid.

Pour des raisons évoquées par ailleurs, j’ai émis l’hypothèse que Prevotella, bactérie discriminante des entérotypes en première approximation (profil bactérien du microbiote), peut être candidate et jouer un rôle majeur dans le Covid-19 en ce qu’elle permet d’expliquer assez bien le profil de l’épidémie et certains symptômes rencontrés.

https://medium.com/@igaalhanouna/une-s%C3%A9quence-g%C3%A9n%C3%A9tique-de-prevotella-pourrait-%C3%AAtre-un-facteur-d%C3%A9terminant-de-la-s%C3%A9v%C3%A9rit%C3%A9-des-807a7c36a05e

Par ailleurs, compte tenu des enseignements de l’étude citée, il apparaît que le Covid-19 pourrait également préparer un terrain propice à des infections bactériennes de type Gram négatif (sans pour autant que ce soit nécessairement des bactéries Prevotella).

Il nous semble donc utile de chercher dans cette voie et d’adapter les antibiothérapies en ce sens.

En l’état, l’utilisation des antibiotiques visant les bactéries à Gram négatif semble une piste intéressante.

Par ailleurs, si la piste de Prevotella spp. venait à être confirmée, les traitements de fond utiles contre ce type de bactéries pourraient être utiles: traitements anti-inflammatoire contre l’arthrite rhumatoïde (Tocilizumab, Hydroxychloroquine…), traitements contre la mucoviscidose (antiobiothérapies), traitements des maladies de Crohn ciblant cette bactéries, traitement à base de probiotiques visant à stimuler la compétition bactérienne mais également un régime alimentaire approprié.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.