Bien loin de la ligne électoraliste défendue par Éric Zemmour, le canal est constitué d’authentiques néo-nazis, se réclamant ouvertement du fascisme et du nationalisme. Hébergé sur Telegram, il permet d’échanger de manière anonyme et plus sécurisée que sur les réseaux sociaux, du moins en théorie. Au centre des enjeux militants, la haine (assumée) du « bougnoule ». Considérant qu’il faut « imposer le respect des blancs », tous les coups sont permis et même encouragés contre « la race à chien ». Le sous-groupe lillois projetait ainsi de mener une ratonnade le jour où s’achève le ramadan. Les ultra-droitiers expriment un rejet viscéral, fondamentalement raciste, du « non-blanc ».
Pour « sauver le christianisme », ces « soldats de Dieu » devraient donc « régler les comptes de certains rats parasites ». Pour cela, rien de tel que le meurtre de masse. Un utilisateur propose ainsi à ses pairs de « tabasser à mort » les sans-papiers, avant de dissimuler les corps de leurs victimes. Le même détaille plusieurs étapes pour incendier un bâtiment où seraient enfermées plusieurs familles de réfugiés. Difficile de ne pas établir le parallèle entre ce mode opératoire et le massacre d’Oradour-sur-Glane, où des centaines de personnes furent brûlées vives par les SS en 1944.
On aurait pu s’étonner de cette image. Les membres du canal ne font toutefois aucun mystère de leur allégeance au national-socialisme. Nombreux sont ceux à arborer fièrement le drapeau du régime hitlérien en photo de profil. Un utilisateur, sous le pseudonyme de "Harcèle Youpin", se présente ainsi comme « raciste, nazi, antijuif », après avoir fustigé le « petit youpin rabougri » (en parlant d’Éric Zemmour) supposé servir de modèle à la France.
Les partis politiques, même d’extrême-droite, n’ont pas la cote auprès de ces militants ultra-violents. Certains arrivants, contraints de montrer patte blanche, concèdent un goût pour le nationalisme, sans plus. Stigmatisés pour leur « [amour] des bougnoules », leur goût pour les « arabes patriotes », ils sont invités à rejoindre le Rassemblement National avant d’être éjectés du groupe.

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Outre la haine de cette « espèce sous-développée », les membres acceptés par la communauté partagent librement leur détestation des « faibles » : les « gauchistes, antifa, [pédés] ou arabes ». L’affrontement avec les antifascistes y est particulièrement glorifié. Et les défaites sont très mal vécues.
Après l’échauffourée entre les antifascistes de la Jeune Garde et l’ultra-droite à l’université de Lyon 3, le canal principal déborde d’appels à la revanche. Pour « reprendre le pays en main », il faut un « bain de sang ». Une prise de position pouvant paraître anecdotique au regard de la violence banalisée dans la boucle de discussion, mais en réalité inquiétante compte-tenu de l’occupation de ses participants.
Des fonctionnaires de police et des militaires dans la boucle
Nombre d’entre eux se prétendent effectivement policiers, gendarmes et militaires. Nageant manifestement dans un sentiment d’impunité, certains n’ont pas peur de poser en uniforme, arme à la main. Parmi les individus épinglés par Tajmaât, des légionnaires et un pilote côtoient brigadiers et CRS. Un matelot, connu sous le nom de Baptiste, ne cache pas non plus son impatience de répondre « au feu par le feu », comprendre en découdre avec le « genre de rat qui soutiennent [les antifascistes] ».
Ces éléments constituent une violation flagrante du devoir de réserve, s’appliquant aux policiers comme aux militaires. Rappelons que ces dérives ne constituent pas un phénomène isolé. Mediapart a documenté de nombreux cas de néo-nazis dans les forces armées (voir ici et là), s’affichant parfois dans les casernes et en uniforme, ainsi que l’apparente indulgence du ministère des Armées à leur égard.
Une population visée et impliquée : la jeunesse d’extrême-droite
En plus des dizaines de canaux Telegram (ancrés localement, à l’échelle de 95 départements, complétant le canal principal) et des comptes Instagram affiliés, FRDETER déploie aussi une efficace stratégie de communication sur TikTok. Le #frdeter cumule ainsi plus de 300 000 vues sur le réseau social. On peut par exemple y retrouver une vidéo sobrement intitulée 2000 ans d’histoire dans ta gueule le singe, « le singe » faisant référence à un passant à qui l’auteur prête des origines maghrébines.
Toujours référencé sous le même hashtag, un court film, datant du 1er avril, montre une personne noire et affiche « BANANE-TV » en bas de l’écran. Plus représentative, une vidéo publiée ce 3 avril enchaîne les plans donnant à voir des actions coup de poing et accessoirement une image subliminale de soldats endossant l’uniforme allemand, vraisemblablement tournée durant la Seconde Guerre Mondiale.
Le message est le suivant : « Français, bats-toi ! ». Les autres productions sont du même ton, alternant entre mise en scène de la grandeur éternelle de la Nation, du virilisme des nationalistes ou du rejet des personnes issues de l’immigration. Par ces publications, les membres du canal cherchent manifestement à asseoir leur influence auprès des jeunes.

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Si la plupart des conversations, ouvertement racistes, se tiennent entre majeurs, des mineurs sont aussi affiliés au canal. A leur entrée, ils sont rapidement orientés vers des groupes dédiés à leur tranche d’âge, dans l’objectif de « continuer leur formation ». Face à un nouveau venu, "Harcèle Youpin" (encore lui !) affirme vouloir « faire de [lui] un homme » et enchaîne : « Apprends à être un blanc, apprends à être nazi. Fasciste. ». C’est donc tout un programme qui est destiné aux plus jeunes.
Plus cyniquement encore, le canal sert également de terrain de recrutement à la Cocarde, syndicat étudiant d’extrême-droite. Les lycéens, parfois collégiens, manifestant une grande ardeur (l’un deux souhaite « ratonner les chances pour la France ») et intégrés au groupe du Gard, fort d’une centaine d’inscrits, sont renvoyés par des membres du syndicat au compte Instagram de celui-ci, qu’ils sont invités à contacter dans la perspective d’y militer avant de grossir les rangs de l’ultra-droite (frange de l’extrême-droite employant l’action violente). Le responsable la Cocarde lycéenne lyonnaise dispose même du statut d’administrateur, illustrant pleinement l’implication de la jeunesse réactionnaire dans le groupe.
Après les révélations de Tajmaât, le canal Telegram et ses sous-canaux, sentant venir l’orage, se sont désactivés. Il en va de même pour la vitrine Instagram du groupe. Toutefois, comme souvent dans ce cas de figure, les informations dont nous disposons laissent penser que les militants opèrent une restructuration vers un nouveau canal.
Contacté lundi 3 avril, le bureau national de la Cocarde étudiante n’a pas souhaité s’exprimer sur les liens entretenus entre certains de ses syndiqués et le canal Telegram.