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Billet de blog 15 décembre 2022

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Blood and Honour Hexagone devant le tribunal

Trois responsables de ce groupuscule d’inspiration néo-nazie ont comparu lundi au tribunal judiciaire de Marseille pour « participation à un groupe de combat ». Liés à un trafic d’armes, à une tentative de braquage, ces anciens du rock anticommuniste, figures de Blood and Honour Hexagone, encourent jusqu’à trois ans de prison et 45.000 euros d’amende.

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L’histoire de Blood and Honour trouve son origine hors de nos frontières. Le réseau voit le jour dans l’Angleterre de 1987. Blood and Honour, littéralement, « Sang et Honneur », traduction de l'allemand « Blut und Ehre », devise des jeunesses hitlériennes, est fondé par Ian Stuart Donaldson, dit Ian Stuart, membre de Skrewdriver, groupe punk farouchement anticommuniste. Si son fondateur meurt dans un accident de voiture en 1993, le réseau parvient rapidement à s’étendre et compte à son apogée des branches dans sept pays du bloc occidental, en plus de nombreuses « divisions » toujours actives en Europe de l’Est. Cette joyeuse collaboration artistique transnationale se dote même d’une branche armée, le Combat 18 (ou C18 pour les intimes). Notez ici la subtile référence au régime nazi : si le mot « combat » est assez explicite en soit, le chiffre « 18 » est un dog whistle (ou « appel du pied » pour nous autres Français) correspondant aux positionnement des initiales d’Adolf Hitler dans l’alphabet.

La section française est baptisée Blood and Honour Hexagone (BBH). Tout au long de son existence, les militants de cette structure nationale, en lien avec les autres branches étrangères de BH -officiellement dissoutes ou non- ont pu organiser nombre de concerts où se retrouvaient tout le gratin de l’extrême-droite française, à Lyon notamment, où les évènements attiraient les identitaires du Groupe Union Défense (GUD). Outre ce passe-temps, les militants s’essaient également à l’organisation de combats clandestins de MMA, interdits à l’époque. Ces activités permettent alors au BBH d’occuper un rôle central à l’intersection des différents courants d’extrême-droite français, que l’un des prévenus, Loïc Delboy, tente manifestement de fédérer. S’il fréquente régulièrement le GUD, on a également pu l’apercevoir à un hommage rendu sur la sépulture de Charles Maurras par l’Action française en 2016. Un article du Monde en date du 21 août 2019 reprend certains éléments mis à jour par la perquisition effectuée à son domicile. Parmi eux, un t-shirt portant une motion revendicatrice du « NS », acronyme du national-socialisme, abrégé en nazisme, ou bien la vidéo d’un discours de 2013 soutenant qu’il faut « reconquérir la terre de nos ancêtres et non l’abandonner aux chiens d’Israël et aux fils d’Allah ». C’est éloquent.

A ce tableau déjà reluisant s’ajoute les liens entretenus par le BBH avec des braqueurs, des trafiquants d’armes et le fameux C18. En France, les forces de l’ordre avaient interpellé en 2014 les frères Bettoni, vraisemblablement leaders du C18 français, suite à une photo où ils posent fièrement en exhibant battes de baseball, fusil d’assaut et à pompe, « prêts à prendre les armes » selon un article paru en 2014 dans Libération. Il semble donc que la déclinaison française des C18 n’ait pas eu le temps de faire de victime, mais on ne peut pas en dire autant de la branche allemande, dissoute après avoir qu’un de ses membre ait exécuté d’une balle dans la tête Walter Lübcke en juin 2019. Le fonctionnaire allemand, occupant des responsabilités équivalentes à celles d’un préfet français, membre du parti conservateur chrétien allemand, le CDU, était jugé par le C18 local, mais plus largement par toute l’extrême-droite allemande, du Nationalsozialistischer Untergrund (NSU) à l’Alternativ für Deutschland (AfD), trop favorable aux migrants.

Jérémy Recagno ne se réclame ni du C18 ni du BBH, mais sa proximité avec le deuxième réseau pousse la justice à le faire comparaître pour les mêmes chefs d’accusation que Loïc Delboy. Le personnage est impliqué à la fois dans les évènements du BBH et dans une tentative de braquage sur un distributeur automatique de billets de banque. L’utilisation de C4 militaire avait conduit les enquêteurs sur la piste de Recagno, ce qui a mis ses connivences avec la mouvance néo-nazie sous le feu des projecteurs. Il officie en tant que tatoueur lors de rencontres identitaires, mais n’est pas en reste de violence. En 2009 déjà, il avait été condamné pour l’agression des trois militants de gauche, dont un militant de SOS Racisme roué de coups de poing américain et de casque à la terrasse d’un café. Recagno ne cherche pas à dissimuler son idéologie d’extrême-droite, au moins passée. Lors d’un précédent procès, il avait affirmé avoir bénéficié du soutien des milieux suprémacistes américains, dont le KKK, lors d’une cavale. S’il dit avoir trouvé la foi en prison, et par là même, être sorti, au moins intellectuellement, de ce milieu, la proximité qu’il entretient avec Delboy ont convaincu les enquêteurs de le traiter comme un responsable à part entière du BBH.

Si la justice statuera sur la culpabilité des prévenus accusés d’avoir voulu former un groupe de combat -ce dont ils se défendent- le sort du BBH est déjà scellé. Le réseau a été dissout en même temps que sa branche armée, le C18, en 2019 en conseil des ministres. Si l’on ne peut que se réjouir de la disparation officielle de ce groupuscule, il faut garder en mémoire que les réseaux d’extrême-droite se restructurent souvent après leur dissolution, cette fois-ci dans la clandestinité, ce qui les rend plus difficilement repérables et observables. L’exemple des autres branches des Blood and Honour, pourtant interdites dans leur pays d’origine, faisant le déplacement jusqu’en France pour assister à un concert, le montre bien, de la même manière que Génération Identitaire (GI), dissoute en mars 2021, semble renaître de ses cendres dans Argos France, selon Street Press. Si BBH a été rayé des registres officiels, il y a toutefois fort à parier que le réseau n’a pas totalement disparu, au mieux peut-on espérer que ses anciens militants se soient greffés à d’autres groupuscules.

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