Jules LE DU (avatar)

Jules LE DU

Etudiant en sciences politiques

Abonné·e de Mediapart

18 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 décembre 2022

Jules LE DU (avatar)

Jules LE DU

Etudiant en sciences politiques

Abonné·e de Mediapart

L’extrême droite ratonne, l’Etat laisse faire

Plusieurs centaines de militants d’extrême droite, organisés pour des ratonnades, ont pu mener des « expéditions punitives » dans la plupart des grandes villes. A Lyon comme ailleurs, la soirée a été violente, les supporters et les antifascistes déplorent une trop grande passivité des forces de l’ordre.

Jules LE DU (avatar)

Jules LE DU

Etudiant en sciences politiques

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

            Le risque de ces « patrouilles » était connu bien avant le début du match France-Maroc, qui a servi de prétexte aux différents groupes d’extrême droite pour violenter les passants d’origine maghrébine aux quatre coins du pays. Selon les identitaires, la rencontre sportive relève d’un « affrontement civilisationnel entre les deux nations ». Une note des renseignements intérieurs consultée par Europe 1 le jour du match révèle que les « Strasbourg Offenders » ont l’intention de patrouiller dans la soirée. Une image publiée par Emmanuel Fernandes, député La France Insoumise (LFI) du Bas-Rhin montre en effet des militants encagoulés arpenter les rues de la ville, et arborant deux drapeaux flanqués de croix celtiques, renvoyant à Ordre Nouveau ou au Groupe Union Défense (GUD). Si l’action des identitaires était donc prévisible et même détaillée par les autorités, ils ne semblent pas avoir été inquiétés par les forces de police durant son déroulement.

            On a pu observer des scènes similaires, à Paris, Nice, Lyon ou encore Montpellier. Dans cette dernière ville, la soirée a même pris une dimension tragique avec le décès d’Aymen, 14 ans, fauché par une voiture. De ce que l’on sait, un supporter de l’équipe de France motorisé aurait adopté une attitude provocante avant de percuter des supporters marocains, puis de prendre la fuite. A Paris, des militants pro-Zemmour se sont mis en scène piétinant un drapeau marocain en affichant un salut à trois doigts. Pour rappel, le salut à trois doigts est un dog whistle couramment utilisé par les militants d’extrême-droite comme une sorte d’ersatz du salut nazi, signe donc, de nationalisme, de suprémacisme. Dans la capitale toujours, 40 personnes sont interpellées, soupçonnées de « groupement en vue de commettre des violences » et de « port d’armes prohibées ». A portée nationale à présent, durant les quelques jours précédant le match, la chaîne de télévision CNEWS a été le théâtre de la panique morale de nombreux.ses intervenant.e.s, bien documentée par le journaliste Samuel Gontier (dont il faut saluer la persévérance) ici. Il est donc clair que le match en lui-même et surtout la soirée qui le suivait revêtait une haute importance symbolique pour l’extrême droite, qui y voyait le symptôme d’une guerre civile, civilisationnelle.

            Rapidement, plusieurs personnalités à gauche dénoncent des « ratonnades contres des supporters de l’équipe marocaine », parmi lesquelles les députés LFI Mathilde Panot ou David Guiraud, ou encore Thomas Portes, président de l’Observatoire National de l’Extrême Droite (ONED). A droite, les réactions se font encore attendre. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est contenté de remercier les forces de l’ordre mobilisées pour la soirée sans piper mot à propos des attaques de l’extrême droite. Une prise de position critiquée par la députée communiste des Hauts-de-Seine Elsa Faucillon, reprochant au ministre de n’être ni « choqué » ni « en état d’alerte » à la suite de la violente soirée.

            Si le déploiement des forces de l’ordre tout au long de la soirée était effectivement impressionnant (10.000 policiers et gendarmes selon Gérald Darmanin, dont 2.200 pour Paris seul selon Libération), leur capacité (voire leur volonté) à protéger les supporters marocains des militants d’ultra-droite est remise en question. A Lyon, les supporters ont été témoin d’une explosion de violence identitaire dans le quartier de la Presqu’île et aux abords de la place Bellecour. Contacté, le groupe antifasciste de Lyon témoigne : « les fafs [acronyme de la France Aux Français] étaient une centaine, organisés clairement pour une ratonnade. ». D’après ce témoignage, les identitaires sont parvenus à mettre rapidement en œuvre une stratégie manifestement bien rodée pour cibler les supporters tenant un drapeau algérien. Selon un récit recueilli par Rue 89, ils étaient même répartis de façon à cerner le gros de la foule, entassée sur la place Bellecour. L’emploi d’une telle tactique implique évidemment une préparation conséquente. La ville de Lyon constitue un terrain particulièrement bien connu des identitaires. Elle est par exemple le fief du collectif Remparts, qui s’est depuis exporté dans beaucoup de grandes villes. Aussi n’ont-ils eu aucune difficulté à se mouvoir rapidement, d’autant plus que, selon les antifascistes, la police ne les réprimaient pas, contrairement aux informations de la préfecture. « La police a couvert leur fuite en nous tirant dessus au LBD [Lanceur de Balles de Défense] et à la grenade lacrymogène » expliquent-ils. Les moyens employés par les force de l’ordre ont donc directement impacté la foule de supporters pendant que les agitateurs… se réfugiaient derrière les policiers. Une vidéo publiée sur Twitter montre ainsi les militants tout de noir vêtus à l’abri, derrière le cordon de sécurité. « Les flics ont laissé faire tant que les fafs avaient le dessus », grincent les antifascistes, pour qui l’expédition d’extrême droite était hétérogène. Il semblerait qu’ils aient eu à affronter au sein d’un même bloc des ultras de l’Olympique Lyonnais (OL), des effectifs des Remparts de Lyon, de Lyon Populaire et des militants proches de la Cocarde étudiante. Une autre source avancent même avoir constaté la présence d’anciens de Générations Identitaires (GI). Une alliance de la haine, donc.

            Même après s’être éloignés du gros des supporters, les identitaires ont poursuivi leurs actions violentes une heure durant, « chassant » en meutes. La préfecture du Rhône annonce sept blessés dans les rangs des policiers et huit interpellations, dont deux seulement sont des militants d’extrême droite. A défaut de pouvoir compter sur le soutien de l’ordre républicain, il semblerait que les supporters et les antifascistes aient dû entreprendre une action coordonnée pour se protéger eux-mêmes du danger d’extrême droite, à leurs propres risques et périls.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.