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Retour à Callac
La commune des Côtes d’Armor fait face, depuis la fin des Trente Glorieuses, à un déclin démographique lent mais continu. L’accueil de plusieurs familles réfugiées sur le territoire communal avait été imaginé pour inverser cette tendance. Il s’inscrivait dans un ensemble de mesures visant à redynamiser le territoire. Non-seulement elles auraient dû permettre aux nouveaux arrivants de s’intégrer facilement, grâce à un nouveau logement, des cours de français, des ateliers de professionnalisation, mais elles auraient aussi contribué à rénover des bâtiments dont chacun aurait pu avoir l’usage.
Les travailleurs fraîchement arrivés auraient ainsi été susceptibles de prendre des fonctions clés dans la vie commune, en remplaçant les médecins partant à la retraite, par exemple. Un programme séduisant (doit-on souligner que tout le monde gagne à l’accueil des populations immigrées ?), d’autant plus que son financement ne sort pas de la poche du contribuable, mais d’une fondation philanthropique, qui tire ses ressources d’une riche famille ayant investi dans la mode et entretenant divers partenariats, par exemple avec le secteur vinicole.
On est donc à des lieues du cliché de l’Etat ultra-dépensier, surtout à l’égard des populations immigrées, qui seraient favorisées aux dépends du « français de souche ». Alors, comment expliquer le rejet dont le projet fait l’objet ? La réponse à cette question, nécessairement insatisfaisante, n’est sans doute pas à chercher plus loin qu’un nationalisme délétère, qu’une xénophobie repoussante ou qu’un racisme répugnant.
Un enjeu important pour les partis xénophobes
Ni une ni deux, le Front (Rassemblement) National et Reconquête sautent à pieds joints sur l’humanisme de la commune pour dénoncer une tentative de « grand remplacement ». Cette théorie, raciste, de Renaud Camus, veut démontrer qu’il s’opère une « colonisation à l’envers » venue des anciennes colonies, desquelles les populations qui en sont originaires finiront par annihiler le « peuple français », dépassé par des taux de natalité bien supérieurs au sien.
Cette idée est non-seulement fausse (faut-il le préciser ?) mais mortellement dangereuse : elle a notamment inspiré l’attentat terroriste de Christchurch, qui s’est soldé par 51 morts en Nouvelle-Zélande, bilan qui fait de cette attaque la plus meurtrière de l’histoire du pays dans l’époque moderne. En réalité, seuls « à peu près soixante-dix personnes » étaient attendues à Callac, et dont les arrivées auraient été réparties sur une dizaine d’années. Ce qui n’empêche pas l’extrême-droite d’en annoncer plus de cinq-cents, portant le nombre de réfugiés prévus à la proportion ridicule de 21% de la population locale.
Pour Reconquête, Callac est le lieu de la « mère des batailles », car là se jouera l’expérimentation du « grand remplacement », voulu par le pouvoir politique. Pour combattre ce projet, les bruns se mobilisent. Ils harcèlent la municipalité, l’instance d’attribution des logements sociaux, manifestent et rassemblent au-delà des seuls partis électoralistes.
Dans un cliché pris le 5 novembre 2022 pour Le Monde, on aperçoit des membres vendéens de Civitas, groupement complotiste, antisémite, venus protester contre Horizon. Epuisé par la situation conflictuelle, et se sentant lâché par l’Etat, le maire de Callac Jean-Yves Rolland annonce le 11 janvier l’abandon du projet. Une éclatante victoire symbolique pour la haine, et Reconquête ne manque pas de s’en féliciter tandis que la famille Cohen, à l’initiative financière de Horizon, ne peut que la regretter.
La Bretagne n’échappe pas à la résurgence brune
Un tel retournement de situation n’aurait pas été possible sans la démonstration de force qui l’a précédé, et celle-ci est directement liée aux réseaux d’extrême-droite, bien installés en pays breton et exposés à l’occasion de ces mobilisations. Aux élections présidentielles, les plus suivies de France, la Bretagne avait pourtant moins voté à l’extrême-droite que le reste du pays, et ce, au premier et au deuxième tour.
La mobilisation a donc été celle des franges les plus radicalisées de l’extrême-droite, même si elles demeuraient encadrées par les partis électoralistes. Aux racines de cette panique morale, on trouve un site d’internet (que nous nous refusons de qualifier de site d’information) bien connu des antifascistes : Breizh Info. Le site multiplie les intox, affirmant que le projet est financé par la commune, avançant des nombres absurdes, relayant des pétitions largement partagées. Il serait illusoire d’attendre de la rigueur d’un site qui continue de véhiculer un racisme biologique.
Dans le même registre, Fdesouche embraye sur l’information et recueille rapidement le point de vue de Gilles Pennelle (Rassemblement National), un conseiller régional et habitué des deux sites de désinformation (voir ici en 2015, en 2018, en 2021, en 2022). Ces deux médias auront donc activement participé à ériger Callac en terrain de lutte symbolique et morale pour l’extrême-droite. La Bretagne n’est ainsi pas immunisée contre la haine.
Depuis des années, des manifestations se déroulent localement pour refuser l’installation de réfugiés. Symptomatique de ce rejet, un opposant à Horizon témoignait auprès de Mediapart : « Je suis contre l’afflux des réfugiés. Pourquoi ils ne règlent pas leurs problèmes chez eux ? ». La région bretonne peut également se targuer de disposer de son propre groupuscule néo-nazi, autrement plus virulent que les personnes décrites plus haut.
La Division Nationaliste Révolutionnaire (DNR) sévit en Bretagne, repérée par les antifascistes de la Horde qui soupçonne alors le groupe de vouloir célébrer l’Allemagne nazie par un bon vieux concert de rock anticommuniste. Ce dont se défendent évidemment les néo-nazis : « On ne fête pas l’anniversaire du Führer ! » clament-ils. En les voyant afficher une croix celtique dans un rond blanc sur un fond rouge, on peut toutefois raisonnablement en douter. Selon le photojournaliste Ricardo Parreira, deux nouveaux groupuscules ont récemment vu le jour en terre bretonne, Oriflamme et An Tour-tan, qui ne sont pas encore bien documentés mais dont des photographies (voir ici pour Oriflamme) attestent de l’émergence.
L’extrême-droite bretonne, forte de son propre média et d’une bonne implantation électorale, se déploie. Cité par France 3, le sociologue Ronan Le Coadic rappelait en 2022 à propos du Centre-Bretagne : « c’est historiquement une terre ouverte aux gens d’ailleurs et ça a duré pendant des siècles ». Il semblerait que cette tradition, pourtant salutaire, soit en partie tombée dans l’oubli.