En Tunisie, à l’heure où les médias peignent le tableau d’une terre de tolérance et de sérénité, les manifestations pacifistes menées par les partisans de la laïcité sont peu à peu éclipsées par des marches islamistes de plus en plus corrosives. La démocratie est-elle sur un terrain glissant ou a-t-elle définitivement emprunté une piste noire?
Vendredi 1er Avril a eu lieu à Paris une conférence intitulée « 24 Juillet 2011 : quel modèle pour une Tunisie démocratique », autour de Ghazi Mabrouk, fondateur de la première convention euro méditerranéenne, Moncef Cheikh-Rouhou, professeur d'économie à HEC Paris et Youssef Seddik, philosophe et anthropologue. Ce dernier témoignait: "J'étais durant ces 15 derniers jours en Tunisie, à sillonner Rdaief, Bou Regba, Sidi Bouzid, etc, et ce qui se passe à l'intérieur du pays, ce qui se prépare dans les marmites, est très loin de la réalité de Tunis et de ses environs". Je dois avouer que cette intervention m’a glacé le sang. À travers ces quelques mots, Youssef Seddik tirait une sonnette d’alarme quant à la montée exponentielle de l’islamisme depuis le fameux 14 Janvier.
Rached Ghanouchi, Abdelfattah Mourou, Ridha BelHadj, via les partis d’Ennahdha et Ettahrir, prônent un Islam dans la République. Certains, tel que Mourou, manient avec brio les mots de telle sorte à faire de chaque discours ou intervention télévisée, un véritable show. Une manière bien originale de séduire l'électorat. On pourrait presque lui accorder le bénéfice du doute, avec ses belles phrases quasi utopiques promettant une rupture définitive avec le passé (qui servent surtout à redorer le blason d'Ennahdha et de ses attaques terroristes notamment à l'acide (en arabe: mé fark) à l'encontre des femmes non voilées).
L’Islam a 14 siècles d’histoire dans ses bagages, et aujourd’hui, nous assistons dans certaines parties du monde à un retour aux "fondements": leDjihad, l’application de certains principes de la Charia (châtiments corporels, lapidations, …), jugements par la Fatwa. Certes le back to basics a toujours été bénéfique, mais s’il y a une entité idéologique qui doit suivre les progrès des mentalités, des politiques et des sociétés, c’est bien la Charia. En effet, les conjonctures sociologiques et politiques ne cessent d’évoluer dans le sens de la modernité, en combattant perpétuellement la stagnation. La Charia devait donc être soit complètement désinstitutionnalisée, soit repensée. C’est ainsi qu’en février 1961, les tunisiens avaient pu entendre Habib Bourguiba déclarer: «De part mes fonctions et responsabilités de Chef d’État, je suis qualifié pour interpréter la loi religieuse. À ce titre, je vous engage, dans l’intérêt de l’Islam, à travailler davantage pour augmenter la production nationale, dussiez-vous pour cela renoncer à la pratique du jeûne. Vous ne cesserez pas d’être musulmans. En participant à l’effort d’édification, vous vous acquittez d’un devoir religieux qui assurera la survie de l’Islam. Le Prophète lui-même nous a indiqué la voie que nous devons suivre dans une circonstance analogue ». Pas besoin d’en dire plus.
L’Islam n’est pas une création ex-nihilo. Le dernier-né des religions abrahamiques est un message de paix. Citons le magnifique verset 256 de Sourat el Baqara :« Lâ Ikraha Fi Din ! Qad Tabayna Rouchdou Minal Ghayy ! », dont la traduction la plus fidèle serait : « Pas de contrainte en religion! Car la voie de la raison s'est différenciée de celle de l'égarement! ». N’est-ce pas une définition divine de la tolérance et n’est-ce pas une magnifique manière de se rendre compte que la spiritualité est une morale et non une obligation. Que donc la spiritualité doit automatiquement se différencier de la politique et de la gestion des sociétés. Car dans le cas contraire, devant rendre à César ce qui appartient à César, Mohamed serait plus politicien que prophète.
Le monde est fait d’un tissu qui transcende la mosaïque des peuples. L’Islam est un bout de ce tissu, et la Tunisie est un bout de la mosaïque. La laïcité est au cœur de tous les débats actuellement. Séparer le civil du religieux est à mon humble avis une fracture brutale dans la mentalité du peuple. Car ne perdons pas de vue la remarque de Youssef Seddik citée plus haut qui nous rappelle que la tradition musulmane guide le quotidien d’une grande partie de notre population. Il serait donc plus judicieux d’introduire la notion de sécuralisation afin de séparer la société civile de la religion. La sécuralisation consiste à soustraire du pouvoir religieux certaines fonctions sans pour autant tomber dans la profanation. Sans doute une bonne manière de vivre en bon musulman pour celui qu’il l’est, sans pour autant obliger à l’être celui qui ne l’est pas. Comme disait si bien Bourguiba : « Nous ne saurions oublier que nous sommes des Arabes, que nous sommes enracinés dans la civilisation islamique, pas plus que nous ne pouvons négliger le fait de vivre la seconde moitié du vingtième siècle. Nous tenons à participer à la marche de la civilisation et à prendre place au cœur de notre époque ».
Le cœur de notre époque est aujourd’hui la démocratie. Nous nous sommes libérés du fardeau de la dictature. Nous devons aujourd’hui nous immuniser contre l’intégrisme. À l’échelle individuelle, cela peut sembler être un combat titanesque, mais à l’échelle d’une société, réunissons nos forces pour que chaque citoyen lambda soit une pierre indispensable de l'édifice qui protègera notre bébé démocratie. Impliquons-nous tous dans la vie politique car chaque voix compte. Adhérons dès à présent aux partis les plus démocratiques, pour leur permettre de subvenir à leurs charges de déplacement qui servent à propager leurs programmes dans les contrées les plus lointaines du pays, et à éduquer les mentalités de ceux qui en ont besoin. Créons des think tank à l’échelle de nos villages pour débattre des moyens que nous avons en main pour solidifier une bonne fois pour toute les bases du chantier démocratique que nous sommes entrain d’entreprendre. Allons tous voter. Ne laissons pas ceux qui, soit disant, parlent au nom d’Allah téléguider le jugement de nos compatriotes les plus influençables, dans le but de faire régresser notre société. Éduquons-nous les uns les autres, pour éviter de voir se reproduire le poiSon d’Avril (01/04/2011): Kasbah 3 et la marche incisive des intégristes sur l’avenue Habib Bourguiba, ce même homme qui un jour a dit : « À quoi serviraient les prières et le jeûne si l’État était condamné à l’impuissance et à l’effritement ? l’État d’abord ! car sans l’État, la religion serait en péril ».