Sarkozy ou la mécanique de l’hypocrisie : Molière avait tout prévu
Dans la tirade de l’hypocrisie, Dom Juan confesse :
« Je ferai le vengeur des intérêts du ciel et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis et je saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. »
Cette phrase n’a pas pris une ride. Elle décrit à la perfection le spectacle auquel nous avons assisté après la condamnation, le 25 septembre 2025, de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison dans l’affaire du financement libyen.
Le masque de vertu
Molière dévoile l’ultime stratagème de Dom Juan : se draper dans le costume de l’homme de bien, feindre la morale pour dissimuler ses vices et neutraliser les critiques. L’hypocrite sait qu’« un soupir mortifié et deux roulements d’yeux » suffisent à effacer les désordres les plus graves.
Nicolas Sarkozy a repris ce masque à sa façon. Plutôt que de répondre aux faits, il s’est présenté comme la victime d’un « procès politique », dénonçant une décision d’une « gravité extrême pour l’État de droit ». L’artifice consiste à déplacer le terrain : ce n’est plus la justice qui juge un homme, mais un homme qui juge la justice.
Les « zélés indiscrets » version Bolloré et consorts
Molière avait identifié la suite : les hypocrites savent mobiliser des « zélés indiscrets » pour amplifier leur défense. Ce sont eux qui crient plus fort que l’accusé et rejouent la pièce du scandale inversé.
En 2025, ces zélés ne sont plus des dévots, mais des éditorialistes et chroniqueurs, happés par l’orbite de groupes médiatiques concentrés. Dès le soir du verdict, les plateaux de CNews, d’Europe 1 ou de LCI ont repris le lexique victimaire : « acharnement », « humiliation », « jugement politique ». Ces "zélés indiscrets" aux ordres de Bolloré, Lagardère et autres, qui, comme l'écrit Molière, sans connaissance de cause, "crieront en public" contre eux, à savoir les tenants d'une justice impartiale.
Le Canard enchaîné a révélé que Pascal Praud avait dîné avec Sarkozy la veille du jugement : symbole d’une proximité qui se traduit en plaidoyer télévisé. Jean-Michel Apathie, sur LCI, a martelé qu’« il est inacceptable que Sarkozy aille en prison », se moquant au passage de la formule du jugement — « Sarkozy ne pouvait pas ne pas savoir » — comme si l’intime conviction des juges n’était qu’un effet de manche. Mais en droit pénal, l’intime conviction repose sur un faisceau d’indices concordants, pas sur une preuve unique.
Jérôme Jaffré a renchéri : « puisque l’argent n’a pas été retrouvé dans la campagne ni dans le train de vie de Sarkozy, la justice se paye la politique ». Argument fallacieux : le dossier contient des retraits massifs d’espèces, les carnets de Choukri Ghanem, des virements bancaires et les archives des intermédiaires.
Patrice Arfi, lui, a tourné en dérision ceux qui exigent une « preuve matérielle impossible » dans une affaire de corruption : « On n’a pas d’empreinte de Senoussi sur les billets ». La formule souligne l’absurdité d’une telle exigence.
À l’inverse, sur BFMTV, une présentatrice a résumé d’un « tout ça tombe », comme si la chute d’un chef d’accusation entraînait mécaniquement les autres. Or si certains chefs tombent, c’est parce que les juges appliquent rigoureusement le droit et distinguent chaque situation, pas parce que l’ensemble s’effondre.
D’autres approximations circulent : Éric Barbier répète que Sarkozy « relève de la Cour de justice de la République », reprenant un argument de l’ancien président dont il fut proche. C’est faux : Sarkozy est jugé comme ancien candidat, non comme ministre. Saporta, de son côté, s’indigne d’un « mandat de dépôt injuste » car « il n’est pas du genre à fuir », oubliant que c’est la règle pour des centaines de prévenus ordinaires. Quant à Sarkozy lui-même, il plaide l’absence de « risque de récidive », feignant d’ignorer que la gravité exceptionnelle des faits suffit à motiver la décision. Tout cela trahit, en creux, une haine de l’égalité devant la loi.
Profiter des faiblesses des hommes
La dernière phrase de la tirade de Dom Juan résonne : « C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle. » Sarkozy connaît les faiblesses humaines : la soif de drame, le besoin de croire au martyr, la rancune contre les juges. En se posant en victime, il rallume les colères et flatte une opinion saturée de défiance.
Briser le masque
La condamnation rappelle que, malgré la puissance du masque, la justice peut lever le voile. Mais l’autre combat reste entier : celui de l’espace public, où les « zélés indiscrets » déforment le réel et vident les verdicts de leur substance.
Relire Molière, c’est comprendre que son Dom Juan n’est pas une relique scolaire mais une mise en garde : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tant que nous applaudirons les grimaces des faux vertueux, le théâtre politique continuera de se jouer à nos dépens.