Noël, l’humiliation des pauvres et l’arrogance des puissants
Je regarde parfois LCI non par goût, mais par devoir. Non pour m’y instruire, mais pour mesurer jusqu’où un média peut aller dans la complaisance, la langue de confort, le ronron idéologique. J’observe, comme on ausculte un corps malade, les signes d’un glissement — celui d’un discours qui ne doute plus, d’un plateau où l’opinion s’est figée, d’un entre-soi qui se conforte dans ses certitudes.
Je n’ai aucune tendresse pour Jean-Luc Mélenchon, ni pour son culte. Mais j’ai du respect pour ceux, à LFI, qui pensent encore — Paul Vannier, Clémence Guetté — parce qu’ils rappellent que l’intelligence, même à gauche, peut être rigoureuse, lucide, concrète.
Mais le 4 novembre 2025, dans 24h Pujadas, j’ai vu la honte s’installer sur le plateau comme un vernis d’hiver.
L’indécence a changé de camp
Ce soir-là, des hommes bien mis — Dominique Seux, Hervé Gattegno, d’autres visages interchangeables — débattaient de la prime de Noël. Avec cette componction technocratique qui remplace la pensée par le calcul, ils expliquaient que cette aide représentait le « guichet » d’un État devenu trop généreux. Comme si donner un peu à ceux qui n’ont rien relevait de la déraison.
Mais la prime de Noël n’est pas un luxe : c’est un pansement sur une plaie ouverte. Elle ne répare rien, elle empêche juste l’humiliation. Elle évite que des enfants, dans une cour d’école, n’aient à baisser les yeux devant les autres. Que des mères ne pleurent pas, un 24 décembre, devant un rayon de jouets inaccessibles.
Ceux qui parlent de cette prime comme d’une « aberration économique » n’ont jamais vu un enfant triste à Noël. Ils ne connaissent pas le poids du regard d’un petit garçon qui découvre que la magie n’existe que pour les autres.
L’économie du désespoir
Les chroniqueurs de LCI adorent les chiffres. Qu’ils fassent donc celui-ci : la prime de Noël est immédiatement consommée. Elle relance la machine, fait tourner les commerces, renfloue les caisses par la TVA. Elle ne creuse pas la dette, elle fait respirer la société.
Mais au fond, peu importe. Parce que l’enjeu n’est pas économique. Il est moral. Et c’est ce mot que plus personne n’ose employer sur les plateaux de télévision : la morale.
Ce n’est pas bien, ce n’est pas juste, d’humilier les pauvres au nom de la rigueur budgétaire. Ce n’est pas digne de ridiculiser la solidarité pendant que des milliards dorment sur des comptes épargnés, et que des retraités aux trois résidences secondaires marchandent un centime au commerçant du coin.
Ce que j’ai vu du vrai gâchis
Je sais ce qu’est le gaspillage. J’ai vu l’argent public couler à flots dans les mauvaises poches. J’ai vu des chefs se couvrir, des menteurs récompensés, des carriéristes promus.
J’ai servi pendant des années dans une grande institution patrimoniale française. J’ai sauvé des collections, des vies, des bâtiments, et j’ai fini par être chassé pour avoir dit la vérité.
J’ai alerté sur des vols de métaux sur des chantiers publics ; j’ai prévenu des risques d’incendie ignorés ; j’ai vu la même entreprise, quelques mois plus tard, mêlée au drame de Notre-Dame de Paris.
J’ai envoyé des rapports, des photos, des preuves — tout s’est perdu dans le silence des bureaux. Et quand le feu a pris, quand la cathédrale a brûlé, personne ne s’est demandé pourquoi.
Alors quand j’entends qu’on taille dans la prime de Noël, je ne peux pas me taire. Ce n’est pas la pauvreté qui ruine la France : ce sont les lâchetés, les orgueils et la déconnexion des puissants.
La France du miroir et la France du regard
Un jour, un conseiller d’État m’a réclamé une faveur. « Donnez-moi une place gratuite », m’a-t-il dit, avec cet air suffisant des gens qui n’ont jamais entendu le mot “non”.
— En quel honneur ? ai-je demandé.
— En l’honneur de ma fonction de conseiller d'Etat, monsieur !
Il semblait courroucé.
Ce jour-là, j’ai compris : tout est là. L’arrogance d’un titre face à la détresse d’un enfant sans jouet.
Entre ces deux Frances — celle qui exige et celle qui s’excuse d’exister — il n’y a plus de dialogue. Il n’y a plus de morale commune.
Les uns se réfugient derrière leurs statistiques ; les autres survivent dans le silence. Et les plateaux de télévision continuent de bavarder, sans jamais traverser le périphérique.
Un pays qui ne se parle plus
La France est devenue ce qu’elle craignait le plus : une société où l’on confond mérite et privilège, où l’on sacralise le cynisme, où l’on punit la compassion.
Les journalistes de salon, engoncés dans leur confort moral, répètent en boucle leurs gimmicks : « dette publique », « assistanat », « rationalité budgétaire ». Mais ce sont eux les aveugles. Aveugles et sourds — plus sourds encore, comme disait Rimbaud, « qu’un cerveau d’enfant ».
Et pendant ce temps, l’enfant sans cadeau, lui, comprend déjà que le monde ne veut pas de lui.
L’indignation, dernier refuge du cœur
Je n’écris pas pour pleurer. J’écris pour dire qu’il faut choisir son camp.
Entre la suffisance d’un conseiller d’État et la détresse d’un enfant sans jouet, il n’y a pas d’équilibre possible.
Ce n’est pas la prime de Noël qui a mis la France à genoux : ce sont ceux qui l’ont regardée brûler en récitant le catéchisme de la dette.
Qu’ils traversent enfin le périphérique. Qu’ils regardent le vrai pays. Qu’ils comprennent que la décence, la vraie, ne se mesure pas au portefeuille, mais au regard qu’on porte sur l’autre.
Parce qu’un pays qui humilie ses pauvres, surtout à Noël, ne se redressera jamais.
Il s’éteindra doucement, dans le froid doré de son indifférence.