Indigestitut

Ancien Prof de lycée, médiateur culturel, futur aveugle

Abonné·e de Mediapart

53 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 novembre 2025

Indigestitut

Ancien Prof de lycée, médiateur culturel, futur aveugle

Abonné·e de Mediapart

La France hallucinée de Macron

Indigestitut

Ancien Prof de lycée, médiateur culturel, futur aveugle

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La France hallucinée de Macron

Chronique d’un pays hallucinée entre excès et abandon

Je traverse la France et j’ai l’impression de marcher dans un rêve pourri, un cauchemar sans fin. Dans les gares, les rues, les halls saturés d’écrans, je vois des visages d’après la fin du monde : des regards fixes, des yeux mangés par la fatigue, des bouches entrouvertes qui mâchent encore l’air faute de pain.
Une femme m’aborde un jour. Belle, jeune, mais brisée. Ses paroles jaillissent dans un torrent de folie et de sexe, d’une obscénité nue, comme un cri jeté contre l’univers. Puis elle crache à mes pieds — geste dérisoire et sacrilège — et s’éloigne, le regard vidé, comme aspirée par le néant.

L’air lui-même semble saturé de désespoir. Il a ce goût rance de mauvaise nourriture, de plats sans saveur, avalés à la hâte, au goût de cendres. Ceux qui se privent n’y trouvent qu’une misère fade qui ne nourrit ni le ventre ni l’âme ; ceux qui mangent trop s’empiffrent d’aliments survitaminés, sans chair ni parfum, jusqu’à ne plus sentir qu’un trop-plein de santé mécanique.
C’est un festin monstrueux : le trop et le rien se côtoient dans une obscénité muette.

On dirait un tableau de Bosch, mais repeint à la lumière des néons : les ventres gonflés des uns face aux ventres creux des autres, le luxe froid qui frôle la crasse sans la voir. La juxtaposition est d’une violence insoutenable. Les riches défilent, pressés, les yeux collés à leurs écrans — aveuglés par leur propre lumière — tandis que les pauvres, au bord du gouffre, titubent, aveuglés eux aussi, mais par la faim, par l’absence d’amour, d’avenir, d’attention humaine.
Les uns jouissent trop, les autres s’effondrent de trop peu.

Le spectacle est poignant : on ne voit plus des clochards à la barbe longue et au regard perdu — on voit des jeunes filles qui perdent la raison, des gamines devenues folles de solitude et de manque. C’est cela, la nouvelle misère : non plus l’alcool ni la crasse, mais la désintégration lente de l’esprit, l’âme qui se vide dans un monde saturé.

Elles errent, somnambules et funambules, sur le fil d’un monde qui ne croit plus en rien. Et autour d’elles, la foule continue sa marche hypnotique, sans voir qu’elle aussi tangue au bord du vide.

Un autre jour, une femme pousse des râles rauques, fous, comme des cris d’animal blessé. Ce ne sont pas des mots mais des sons arrachés à la gorge, comme si elle cherchait à appeler quelqu’un qui n’existe plus. Entre deux bouchées, entre deux paroles sans suite, elle éructe ce désespoir brut sur le seuil d’un restaurant qui lui refuse l’entrée. Les serveurs détournent les yeux, les clients s’agitent à peine, gênés par la présence du malheur qui insiste, qui colle à la vitre. Elle est là, vacillante, hirsute, les yeux creusés par le manque, lançant dans le vide cet appel sans objet et sans espoir de retour.

La scène est courte, mais elle se répète sans cesse, triviale, et pourtant elle brûle la mémoire.
Il y a dans ce cri quelque chose d’ancien, de biblique, comme si une plaie invisible s’était rouverte dans le corps du pays.
Et la récurrence de ces scènes, dans les gares, sur les trottoirs, dans les interstices du confort, m’a fait prendre conscience que quelque chose avait basculé. Ce n’était plus seulement la misère : c’était une forme de décomposition morale, une fatigue de civilisation.
On sent partout cette fin de monde rampante — sans apocalypse, sans feu, sans gloire — juste une lente extinction des âmes, comme une marée grise qui monte.

Les gens passent, pressés, sans un regard. Ils sortent leurs téléphones, ils mastiquent à la hâte, ils vivent à côté d’eux-mêmes. Et cette femme, rejetée du seuil du monde, continue d’envoyer ses râles rauques dans le vide, comme une prière inversée.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.