Tribune — Conclave, ou l’Église en huis clos : un mystère trop sage
Dans Conclave, Edward Berger filme le Vatican comme une scène d’intrigues où les hommes de foi deviennent des acteurs de pouvoir. Le film se déploie dans un espace clos, la chapelle Sixtine, devenue théâtre d’ombres, où Ralph Fiennes et Stanley Tucci incarnent deux conceptions du catholicisme : l’une hésitante, l’autre pragmatique.
Le cardinal joué par Stanley Tucci semble d’abord porteur d’une promesse de réforme. Il refuse l’intégrisme, dénonce les excès du conservatisme, affiche une certaine lucidité sur les dérives de l’institution. Mais au moment où éclate l’« affaire Tremblay », qui évoque à demi-mot les scandales d’abus, il se dérobe. Il ne veut pas que « l’Église laisse filer les informations ». Cette volte-face le rend bancal, presque incohérent : il incarne à la fois la conscience morale et la peur du scandale. Fiennes, dans un moment de tension rare, lui lance cette phrase essentielle : « Vous manquez de courage. » Et tout est dit.
Ce personnage, à mes yeux, concentre les contradictions d’un catholicisme contemporain qui se veut humaniste sans renoncer à l’omerta. C’est sans doute ce que le film voulait dénoncer, mais la mise en scène reste trop polie, trop diplomatique.
Et c’est là, selon moi, sa limite : à quoi bon filmer les coulisses du Vatican si l’on n’ose pas y entrer vraiment ?
Si un film devait vraiment parler de l’Église et du pouvoir, il devrait affronter les grandes zones d’ombre : l’affaire Marcinkus et les liens avec la mafia italienne, la question du célibat des prêtres, le refus obstiné d’évoluer sur le mariage homosexuel, sur les transidentités, sur l’avortement. Tant que ces sujets restent tabous, les intrigues de cour ressemblent à un rituel vidé de sa substance : un jeu d’influences entre hommes d’Église, coupés du monde qu’ils prétendent guider.
Certes, Conclave aborde timidement quelques thèmes forts — le rôle des femmes, l’argent, l’influence, la culpabilité. Mais il le fait à la manière d’un drame feutré, sans la passion ni la déchirure qui devraient habiter un tel sujet.
La chapelle Sixtine, décor central du film, pourrait incarner ce dilemme : plafond vers le ciel, fresques tournées vers le doute, mais sol de marbre, froid et humain. Les fresques de Michel-Ange rappellent le jugement dernier, le face-à-face entre foi et raison. Or dans ce film, il manque cette tension-là : l’Église n’y doute jamais vraiment d’elle-même.
En définitive, Conclave est un film maîtrisé mais trop raisonnable. Il frôle des questions brûlantes sans jamais s’y brûler. Il aurait pu être une méditation sur la déconnexion de la papauté face au monde réel, une plongée dans la crise spirituelle d’une institution en quête de sens. Mais il reste un drame de pouvoir, élégant et un peu vain, là où l’on attendait une œuvre habitée, traversée de feu et de foi.