Indigestitut

Ancien Prof de lycée, médiateur culturel, futur aveugle

Abonné·e de Mediapart

72 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 octobre 2025

Indigestitut

Ancien Prof de lycée, médiateur culturel, futur aveugle

Abonné·e de Mediapart

Le retour d’Ulysse ou la naissance de la pensée

Indigestitut

Ancien Prof de lycée, médiateur culturel, futur aveugle

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le retour d’Ulysse : un film habité mais inégalement incarné

Le film Le Retour d’Ulysse repose avant tout sur la présence magnétique de Ralph Fiennes et de Juliette Binoche. Tous deux imposent des figures de style impressionnantes, sculptées dans le silence, dans la retenue. Leurs visages, leurs gestes, leurs respirations même deviennent des fragments de langage — parfois plus éloquents que les dialogues.

Cependant, là où certains spectateurs trouvent le film trop sobre, j’aurais souhaité qu’il le soit davantage encore : moins de musique, davantage de silence, y compris dans les échanges. C’est souvent dans le vide sonore que naît la vraie tension tragique. Le trop-plein d’illustration musicale vient ici atténuer la puissance des regards, l’espace du doute, le temps suspendu du retour.

Ce qui me gêne, comme souvent dans les films à prétention historique, c’est cette impression persistante que certains acteurs pourraient, à tout moment, sortir un smartphone de leur toge. Les corps sont trop lisses, les visages trop bronzés, les gestes trop contemporains. Dans Barry Lyndon ou Mr. Turner, chaque être porte une faille visible : la fatigue, la maladie, le poids du réel. Ici, trop de beauté anesthésie la vérité. Quand des personnages censés appartenir à un monde ancien semblent sortir du McDonald’s, quelque chose de l’incarnation se perd.

Cependant, l’esthétisme reste de très bon niveau. La qualité visuelle des images, la lumière, la composition des plans, tout cela confère au film une réelle beauté plastique. Le charisme des acteurs, surtout celui des protagonistes principaux, maintient l’ensemble à un haut niveau d’intensité. Ce duo d’interprètes impose un équilibre fragile entre retenue et puissance, grâce et gravité.

Plus profondément, Le Retour d’Ulysse aurait pu être l’occasion de renouer avec la dimension philosophique du mythe. Le retour à Ithaque n’est pas seulement la fin d’un voyage, c’est le commencement de la pensée : l’instant où l’homme apprend à se passer des dieux, à chercher par lui-même la voie d’une vie bonne — non plus dictée, mais choisie. Le film évoque bien Troie, la guerre, la nostalgie, mais néglige Calypso, les Sirènes, les promesses d’immortalité : ces moments où Ulysse apprend à dire non à l’éternité pour accepter sa finitude.

En oubliant cela, le récit perd son épaisseur spirituelle. Il ne reste que le retour domestique, privé de sa portée métaphysique. Dès lors, la question essentielle, la seule qui demeure, est peut-être celle que pose Pénélope — ou que le spectateur pose à Ulysse :

« M’aurais-tu aimé, si je revenais maintenant ? »

C’est là, dans cette interrogation suspendue, que le film touche enfin à quelque chose d’universel : non pas le mythe, mais l’humain.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.