Mélenchon en soutane, ou le retour du prédicateur de foire
On l’a connu tribun républicain, tonitruant mais laïque, fils adoptif de Jaurès et demi-frère contrarié de Robespierre. On le découvre désormais… en soutane. Oui, en soutane. Car lorsqu’hier Jean-Luc Mélenchon s’est écrié « Maudissons, maudissons ! », on aurait juré voir surgir à la tribune de son meeting la silhouette d’un prédicateur du XVIᵉ siècle, planté dans une chaire de chêne, brandissant son bréviaire en cuir tanné par les guerres de Religion.
Imaginez la scène. Jean-Luc, encensoir en main, un peu rouge, un peu exalté, appelant ses fidèles à “maudire” comme Simon Vigor maudissait les hérétiques depuis la chaire de Sainte-Eustache. On attendait presque qu’il déclame un « Repentez-vous, enfants de la République, car l’heure du jugement macronien est arrivée ! ». À ce stade, il ne manquait plus qu’un vitrail représentant la BCE en dragon apocalyptique.
J’ai beau respecter le personnage — son bagout légendaire, son érudition, sa capacité à citer Victor Hugo le lundi, Trotski le mardi et tout le Bottin des poètes occitans le mercredi — je ne peux m’empêcher de sourire, puis de grimacer, devant cette liturgie improvisée. Maudissons. Nom d’un calice ! Quel mot. On croirait entendre René Benoist préparant la Saint-Barthélemy version meeting politique.
La gauche méritait mieux qu’un sermon théologico-guerrier. Elle méritait un projet, un argument, une vision. Et nous voilà à écouter “Père Mélenchon”, en surplis imaginaire, pointer du doigt la nef et distribuer les indulgences révolutionnaires : “Vous, vous êtes dans le camp du Bien. Et vous là-bas, les macronistes… maudits, qu’on vous dise !”
Avouez que c’est un peu beaucoup. On ne gouverne pas un pays comme on excommunie un païen.
Pourtant, je le concède : l’homme a une manière unique de rouler les “r”, de faire vibrer les foules, de tresser un discours comme d’autres tressent des cordes pour grimper aux barricades. Parfois, il est grand. Mais quand il laisse sortir son prédicateur intérieur, tout s’emballe — et soudain, la politique devient une messe noire où l’on distingue un Bien immaculé d’un Mal absolu. On croirait un remake de Luther contre les indulgences, mais produit par BFM TV.
Les jeunes, déjà écrasés par la brutalité du monde social, tombent amoureux de ces mots flamboyants comme on s’éprend d’un prophète. Et c’est précisément là que réside le danger : maudire, même pour rire, même pour galvaniser, c’est entrer dans une dramaturgie religieuse. C’est substituer l’excommunication à l’analyse. C’est troquer le Parlement pour la sacristie.
Quant à moi, pardonnez-moi mes frères, mais devant ce spectacle de soutane rhétorique, je m’incline… et je sors. Qu’on me parle de justice, oui ; qu’on me parle de malédictions, non.
Mélenchon est brillant quand il éclaire. Il devient inquiétant quand il bénit ou qu’il maudit.
Et surtout, qu’il me pardonne… mais je refuse de faire partie de sa paroisse. Je partage pourtant beaucoup de ses idées mais je refuse un certain type de discours et de vocabulaire.