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Billet de blog 20 novembre 2025

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L’Ukraine selon Mélenchon : quand la réalité gêne, inventons-la

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Zelensky, les syndicats et les partis interdits : chronique d’un emballement en roue libre

C’est un mal que nous connaissons bien : nous adorons dénoncer les manipulations, les “éléments de langage”, les emballements médiatiques… sauf quand ils viennent de chez nous. Alors, quand Mélenchon affirme que « Zelenski a interdit les syndicats et les partis d’opposition », on applaudit, certains hochent gravement la tête, et d’autres se précipitent sur Twitter pour ajouter un couplet.

Problème : c’est faux. Pas “un peu approximatif”, pas “discutable” : faux.
Les syndicats ? Pas interdits.
Les partis d’opposition ? Seules des formations explicitement pro-russes ont été suspendues sous loi martiale.
On peut trouver ça contestable, discutable, dangereux même — et on aurait raison d’ouvrir le débat. Mais aller raconter qu’on a interdit toute opposition relève de la mauvaise lecture, ou de la bonne volonté idéologique.

Et rien n’est plus dangereux à gauche que la bonne volonté idéologique : elle transforme des militants en experts instantanés, et l’analyse en catéchisme.


Zelensky, nouveau super-tyran en tee-shirt kaki ?

Dans la fable mélenchonienne, Zelensky n’est plus un président démocratiquement élu affrontant une invasion : il devient une sorte de Pinochet en sweat-shirt, un banquier-dictateur fascisant soutenu par l’OTAN. Tout y passe :

  • il interdit les syndicats,

  • il dissout l’opposition,

  • il prolonge son mandat par sorcellerie constitutionnelle,

  • il gouverne sur ordre de l’Oncle Sam,

  • il frappe les enfants et dérange les chiens.

Cette mythologie informe a l’avantage d’être très simple, très confortable, et très éloignée du réel. Autrement dit, parfaite pour une timeline militante.

Pendant ce temps, en Ukraine, les syndicats existent toujours, se réunissent encore, parfois dans les caves pour éviter les bombes, mais rien n’y fait : si des militants français n’en ont pas entendu parler sur TikTok, c’est bien la preuve que Zelensky a appuyé sur le bouton “interdiction générale”.


Le campisme, ce mal qui ne veut pas mourir

Soyons honnêtes : cette crise de lucidité n’est pas que celle de Mélenchon, c’est la crise d’une partie de la gauche française, encore prisonnière d’une vision du monde binaire où :

  • si Washington soutient quelqu’un,

  • alors cet “quelqu’un” est forcément un suppôt de l’impérialisme,

  • et donc forcément coupable de tous les maux imaginables.

Le problème, c’est qu’à force de vouloir absolument trouver un “méchant occidental” dans chaque conflit, on finit par fabriquer des réalités de substitution.

La gauche est censée défendre le réel contre la propagande, pas l’inverse.


Critiquer l’Ukraine, oui. Inventer l’Ukraine, non.

On peut — et on doit — critiquer certaines décisions ukrainiennes depuis le début de la guerre :

  • le rôle des oligarques,

  • la communication militarisée,

  • l’absence d’élections sous loi martiale,

  • les risques d’autoritarisme en situation d’urgence.

C’est même un devoir pour la gauche : défendre les principes démocratiques partout, y compris chez les alliés, surtout en temps de guerre.

Mais on ne peut pas critiquer un pays en inventant ce qu’il fait.
C’est dangereux.
C’est indigne.
Et c’est surtout contre-productif : on perd en crédibilité ce qu’on croit gagner en radicalité.


La gauche mérite mieux que des mythes

Peut-être est-il temps d’admettre une évidence simple : on peut être anti-guerre, anti-OTAN, anti-capitaliste, ce que l’on veut — sans reprendre mot pour mot les éléments de langage du Kremlin.
On peut être en désaccord politique profond — sans caricaturer.
On peut défendre les opprimés — en commençant par respecter les faits.

La gauche ne gagnera rien à s’inventer un Zelensky dictateur parce que cela arrange la narration. Elle gagnera, en revanche, à redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être :
un camp du réel, de la nuance, du courage intellectuel.


Chute : la vérité comme vaccin

Il existe un vaccin contre les emballements, les biais et les mythologies complaisantes. Ce vaccin ne se trouve ni à Moscou ni à Washington : il s’appelle vérifier.

Certains diront que c’est moins excitant qu’un billet incendiaire.
Peut-être.
Mais c’est le seul moyen de continuer à regarder la réalité en face sans devenir, même involontairement, la caricature de ce que l’on combat.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.