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Billet de blog 22 octobre 2025

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Trois mois sous la grêle : chronique d’un gardien abandonné

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Le conservatisme du milieu patrimonial

Le milieu des musées est d’un conservatisme sidérant — sans mauvais jeu de mots. J’en ai fait l’amère expérience lors d’une véritable catastrophe naturelle : en juin 2014, un orage de grêle a totalement détruit la toiture de l’aile ouest du musée, où se trouvaient mes appartements de fonction. Pendant trois mois, de juin à août, j’ai dû me lever nuit après nuit pour vider des seaux d’eau : les pluies s’engouffraient dans le bâtiment, transformant deux salles en piscines, alors même qu’elles abritaient des collections japonaises d’une valeur inestimable.

Je n’ai pratiquement pas dormi durant tout l’été. J’ai vidé des seaux, déplacé des œuvres, protégé le patrimoine comme j’ai pu, seul, sans aucune aide. Tout cela parce que la direction du patrimoine refusait d’entreprendre des réparations « non conformes » aux normes des Monuments historiques.

Les pompiers avaient proposé de poser une bâche d’urgence sur la toiture. Mon supérieur — qui avait fui dès le lendemain du sinistre pour se réfugier dans le sud de la France — refusa catégoriquement leur aide. Pire encore, il m’interdit formellement de les prévenir au moment même de la catastrophe.

Je dus donc, par la force des choses, prendre la direction du site. J’ai géré seul les conséquences du désastre, affrontant les torrents d’eau qui pénétraient dans le musée, tandis que l’employeur institutionnel restait inerte.

Le résultat de ce système absurde est simple : sous prétexte que tout doit être fait « aux normes MH », on ne fait rien face à l’urgence. Les cadres ferment les yeux, s’en sortent, et c’est le petit prolétariat du patrimoine qui assume la misère et la pénurie.

Le héros que j’ai été dans cette épreuve n’a jamais été reconnu. Pendant sept ans, j’ai protégé seul un patrimoine inestimable, malgré les entraves permanentes de mes collègues et de ma hiérarchie. J’ai aussi sauvé des vies. Et pourtant, ma propre vie a été brisée : j’ai dû démissionner, couvert d’accusations mensongères et d’insultes, alors que je n’avais fait que servir et protéger.

Au Louvre, c’est le même aveuglement. Il aurait suffi d’installer de simples plots sous les balcons du quai Mitterrand pour prévenir les risques. J’ai vu de mes yeux cette logique : des responsables paralysés par la peur, la complaisance ou la connivence. Une caméra wifi couvrirait en une heure la galerie d’Apollon, mais on préfère invoquer la complexité du câblage pour ne rien faire. Il suffirait d’un peu de système D, mais cette oligarchie du patrimoine refuse d’admettre la pénurie, car cela remettrait en cause ses dogmes.

Le monde du patrimoine, en particulier celui du Louvre, reste enfermé dans une culture de rigidité et d’orgueil. Les normes y sont sacralisées, les réalités niées. Et ceux qui, comme moi, s’efforcent de protéger concrètement, sont sacrifiés sur l’autel de la conformité.


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