Quand Jean-Luc Mélenchon parle la langue des empires
Il arrive un moment où l’ambiguïté n’est plus une nuance, mais une faute politique.
Le discours prononcé à Charleville-Mézières le 5 décembre par Jean-Luc Mélenchon marque précisément ce seuil.
À la 28ᵉ minute, Jean-Luc Mélenchon affirme que « c’est au peuple du Donbass et de la Crimée de s’exprimer s’ils veulent devenir russes ou pas ».
À la 16ᵉ minute, il explique que les États-Unis préparent la guerre contre la Chine “matin, midi et soir”, reprenant à la fois le récit chinois de l’« agression japonaise permanente » et la lecture la plus paranoïaque des relations en Indo-Pacifique.
Il ne s’agit plus ici de critique de l’OTAN, ni même de non-alignement.
Il s’agit d’une reprise quasi littérale des narratifs géopolitiques du Kremlin et de Pékin.
Le faux argument du « droit des peuples » : un travestissement
Dire que « le peuple du Donbass et de la Crimée doit décider » est l’argument central du Kremlin depuis 2014.
Ce n’est pas un hasard. C’est la clef de voûte juridique fictive de l’annexion.
Or ce raisonnement est intellectuellement malhonnête pour trois raisons simples :
- Il n’y a pas de “libre expression” sous occupation militaire.
Aucune consultation organisée :
- sous présence de troupes étrangères,
- sans observateurs internationaux crédibles,
- sans liberté de la presse,
- sans pluralisme politique,
ne peut être considérée comme une expression du droit des peuples.
Sinon, toute invasion pourrait être suivie d’un référendum de légitimation.
C’est la fin du droit international.Ce raisonnement nie la souveraineté ukrainienne, exactement comme le fait Vladimir Poutine.
Quand Mélenchon utilise cet argument, il ne le “partage” pas partiellement :
👉 il l’emploie intégralement.
Ce que Mélenchon efface délibérément : les avertissements de l’Est
Ce discours est d’autant plus choquant qu’il ignore sciemment l’histoire intellectuelle et politique de l’Europe centrale.
En 1995, dans une interview restée célèbre à Libération, Václav Havel lançait un avertissement limpide aux Européens de l’Ouest :
Si un régime autoritaire revient au Kremlin, alors la Russie redeviendra un danger pour l’Europe de l’Est.
Havel n’était ni un atlantiste fanatique, ni un belliciste.
Il était un dissident, un homme de gauche, un humaniste, qui connaissait de l’intérieur la logique impériale russe — et ses habits changeants.
Ce que Mélenchon fait aujourd’hui, c’est balayer cette expérience historique au profit d’un récit abstrait, désincarné, où les peuples de l’Est n’existent plus que comme pions d’un affrontement entre empires.
La Chine, le Japon et la répétition mécanique des récits autoritaires
Lorsqu’il affirme que les Américains préparent la guerre contre la Chine “matin, midi et soir”, Mélenchon :
- reprend le discours officiel chinois sur l’encerclement,
- amalgame mémoire de l’agression japonaise des années 1930-40 avec la situation stratégique actuelle,
- délégitime par avance toute inquiétude régionale vis-à-vis de Pékin.
Or les propos récents de la Première ministre japonaise sur la Chine ne sont pas une “provocation”, mais une réaction à une militarisation réelle (mer de Chine, Taïwan, pressions régionales).
Ici encore, Mélenchon :
👉 inverse l’agression et la réaction,
👉 transforme la puissance autoritaire en victime,
👉 désigne l’Occident comme moteur exclusif du conflit.
La question n’est plus la naïveté, mais la responsabilité
Il faut désormais être clair :
Jean-Luc Mélenchon n’est pas naïf.
Il connaît parfaitement ces argumentaires.
Il les a lus, entendus, digérés.
Soutenir qu’il les reprend « à son insu » n’est plus tenable.
Cela ne signifie pas qu’il soit « en service commandé » au sens policier du terme.
Mais cela signifie qu’il fait un choix politique conscient :
celui de converger discursivement avec les régimes autoritaires dès lors qu’ils s’opposent à l’ordre occidental.
Et cette convergence a un effet très concret :
- elle brouille les repères moraux,
- elle affaiblit la solidarité avec les peuples agressés,
- elle légitime indirectement les faits accomplis impériaux.
Conclusion : on ne combat pas l’impérialisme en le recyclant
On peut critiquer l’OTAN sans reprendre la langue de Moscou.
On peut refuser l’alignement américain sans parler comme Pékin.
On peut être pacifiste sans justifier l’annexion.
Quand Jean-Luc Mélenchon affirme que la Crimée et le Donbass doivent “choisir”,
il cesse de parler en républicain universaliste
et commence à parler comme un géopoliticien d’empire.
Les dissidents d’Europe centrale avaient prévenu.
Les Ukrainiens paient aujourd’hui le prix de l’aveuglement occidental.
Et ceux qui, en France, reprennent ces récits ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.