Deux morales sous un même dôme
Il est de notoriété publique que l’Institut de France, institution qui se présente volontiers comme un modèle de rigueur et d’exemplarité, a durablement fait coexister en son sein deux régimes de tolérance profondément dissemblables.
D’un côté, une sévérité inflexible imposée aux agents. Rien ne passe : pas un seul trempage de lèvres dans un verre de vin pour un agent servant dans une succession ininterrompue de cocktails, pas le moindre écart, pas la plus petite approximation. Le moindre geste est scruté, la plus infime parole peut devenir reproche, et la discipline s’exerce avec une constance implacable, parfois jusqu’à l’absurde. L’exigence d’exemplarité est totale.
De l’autre, une indulgence assumée envers les élites que l’institution distingue, honore ou protège symboliquement. Là, les transgressions changent de statut : elles deviennent artistiques, culturelles, provocatrices — pourvu qu’elles soient portées par des figures consacrées, reconnues, installées au sommet du prestige.
Il est de notoriété publique que Gabriel Matzneff a reçu deux prix distincts, attribués par deux fondations différentes hébergées par l’Institut de France, alors même que ses écrits revendiquaient explicitement des relations sexuelles avec des mineurs. Ces textes étaient publiés, connus, assumés par leur auteur. Cela n’a pourtant pas empêché qu’il soit honoré à deux reprises.
Cette indulgence n’est ni isolée ni accidentelle ; elle s’inscrit dans une culture ancienne de protection symbolique des puissants.
Ainsi, Jean d'Ormesson, figure emblématique de l’Académie française, a publiquement fait l’éloge de Trois Filles de leur mère de Pierre Louÿs, récit immonde dans le style Matzneff, en le qualifiant — selon Le Point — de « pornographie de premier niveau », y compris sur le plateau de On n’est pas couché en 2009. Cette apologie assumée n’a jamais semblé poser problème à l’institution.
Il est tout aussi connu que Gérard Depardieu a bénéficié du soutien public de membres éminents de l’Académie française lorsque des accusations graves faisaient débat dans l’espace public. De même, Roman Polanski a longtemps été défendu par des figures de l’Académie des beaux-arts, au nom de l’œuvre, de l’artiste et de l’exception culturelle.
Dans ce paysage, il est difficile de ne pas évoquer — sans imputation de faits, mais comme symptôme d’un climat — certaines affaires sordides évoquées de longue date dans le Paris intellectuel, notamment autour de la rue du Bac, mêlant entre-soi, silences durables, rumeurs persistantes et protections croisées, et impliquant, selon diverses sources journalistiques et témoignages indirects, des proches ou des cercles relationnels gravitant autour de figures centrales de la vie académique et médiatique.
Les noms de Maître Gibault proche d’Hélène Carrère d’Encausse, de l’académicien Jean-François Revel ou encore de Claude Imbert circulent non comme des accusations, mais comme repères d’un milieu, d’une cartographie du pouvoir symbolique, où certaines affaires sont étouffées, quand d’autres, infiniment plus mineures, sont montées en épingle.
Le contraste est alors saisissant.
Car dans le même temps, aucune indulgence comparable n’existe pour les agents. Un geste anodin devient soupçon. Une parole mal interprétée devient faute. Une interprétation suffit à enclencher une procédure. La morale se fait sévère, parfois inquisitoriale — mais toujours à sens unique.
Cette dissymétrie fait écho à la formule de Louis-Ferdinand Céline :
« Presque tous les désirs du pauvre sont punis de prison. »
Aux élites, toutes les permissions.
Aux agents, toutes les restrictions.
Une institution qui ne laisse rien passer à ses agents — pas même un regard accidentel de trois secondes dû à la fatigue — tout en manifestant une indulgence répétée envers ceux qu’elle consacre, ne défend plus une morale commune. Elle administre un système de privilèges symboliques, où la rigueur décroît à mesure que le prestige augmente.
Tant que cette morale à deux vitesses ne sera ni nommée ni interrogée, l’Institut de France pourra multiplier les discours sur l’excellence ; elle ne dissipera pas le malaise fondamental : celui d’une institution qui protège plus volontiers ses figures que ses principes.
À ce tableau s’ajoute enfin une réalité plus diffuse, plus troublante encore, que beaucoup connaissent sans jamais la nommer. Celle d’affaires contemporaines, directement liées aux mondes culturel, patrimonial ou artistique, où des indices graves et concordants auraient été perçus par certains, sans jamais donner lieu à un traitement transparent.
Dans ces situations-là, le mécanisme semble immuable.
L’attention ne se porte pas sur les faits.
Elle se détourne vers ceux qui les signalent.
Il arrive alors que des témoins gênants soient sommés de se taire, non par une interdiction explicite, mais par une pression plus insidieuse : l’isolement, la mise en doute de leur parole, la fabrication d’accusations sans preuves, la multiplication de soupçons disciplinaires. Non pour établir la vérité, mais pour déplacer le problème.
Le procédé est efficace.
Celui qui alerte devient le problème.
Celui qui sait devient suspect.
Celui qui dérange est accablé, jusqu’à ce qu’il n’ait plus qu’une issue : partir.
Ce schéma — bien connu dans certaines institutions — éclaire rétrospectivement l’ensemble de cette morale à deux vitesses. D’un côté, la protection silencieuse des figures installées. De l’autre, la sévérité implacable exercée sur des agents rendus vulnérables, parfois jusqu’à la démission forcée.
Rien de spectaculaire.
Rien d’avoué.
Mais une efficacité redoutable.
Et c’est peut-être là que réside la forme la plus moderne de l’injustice institutionnelle : non dans ce qui est dit, mais dans ce qui est étouffé, déplacé, retourné — toujours au détriment des mêmes.
À ce stade, une question s’impose : qui est responsable de ce silence ?
L’Institut de France ne relève pas d’un monde hors-sol. Il est placé sous la tutelle directe du chef de l’État. À ce titre, Emmanuel Macron ne peut se retrancher derrière une prétendue autonomie des académies. Lorsque des distinctions problématiques, des soutiens publics contestables et des silences répétés s’accumulent, la responsabilité politique existe, qu’on le veuille ou non.
Il aurait appartenu au Président de la République de s’assurer de l’exemplarité de la direction de l’Institut, y compris lorsque son chancelier, Xavier Darcos, se trouvait fragilisé par une condamnation pénale assortie d’un sursis. Dans toute autre institution publique, une telle situation aurait appelé des conséquences claires. Ici, elle fut absorbée par le silence. Darcos est encore en place alors qu'il aurait dû démissionner en raison de sa condamnation.
Ce même silence s’est retrouvé lorsque le chef de l’État a choisi de prendre publiquement la défense de Gérard Depardieu, à rebours de la parole des femmes qui disaient avoir été agressées. Ce choix n’était pas anodin. Il s’inscrivait dans une culture de protection des figures consacrées, exactement dans la droite ligne de ce que l’on observe depuis des années autour de l’Institut de France et de ses académies.
Il est difficile, dès lors, de ne pas voir une continuité politique, culturelle et symbolique — un même réflexe de préservation du prestige, une même crainte de fissurer l’édifice, quitte à laisser les victimes sans soutien clair.
Le malaise s’aggrave encore lorsque la responsabilité de la politique culturelle nationale est confiée à une ministre, Rachida Dati, elle-même mise en cause dans plusieurs affaires judiciaires, brouillant un peu plus la frontière entre exemplarité publique et calculs de pouvoir. La boucle semble alors se refermer : ceux qui devraient incarner la clarté morale sont eux-mêmes contestés, et le silence devient une stratégie.
Rien de tout cela ne laisse augurer quoi que ce soit de bon.
Ni pour la démocratie.
Ni pour la culture.
Ni pour la confiance dans les institutions.
Car lorsqu’un État protège ses symboles avant de protéger les principes, lorsqu’il détourne le regard face aux affaires embarrassantes, lorsqu’il sacrifie les voix fragiles pour préserver les figures dominantes, il prépare non pas la stabilité, mais la défiance.
Et l’histoire montre que les silences répétés finissent toujours par parler.
La vérité verra le jour, j’en ai fait le serment au nom de tous ceux que j’ai vu être réduits en cendres à la suite de ces successions d’injustices.
Une gestion calamiteuse des risques et des personnes, un aveuglement funeste. un autoritarisme d'un autre âge, une discrimination sociale assumée par une administration protégée par son statut de "libre administration" et par des avocats parisiens surrémunérés aussi vindicatifs et arrogants que des hyènes qui chassent en meute.
Signé :
Un ancien agent de l’Institution