Si le Festival part, depuis 1978, à la rencontre de peuples et de cultures minorisés, il s'intéresse évidemment à ce qui se passe en Bretagne. Peu de sens d'inviter les cinémas d'ailleurs sans promouvoir celui d'ici. C'est fort de cet échange que le festival continue sa route.
La Bretagne, pays à forte identité, par son histoire, sa culture, ses langues, est une terre de création. Et la production audiovisuelle n'est pas en reste.
Daoulagad Breizh, association qui travaille à l'année à la promotion et à la diffusion des films de Bretagne, propose chaque année, en tant que partenaire privilégié du Festival, le Grand cru Bretagne, une sélection de films, tous genres confondus, réalisés ou produits dans l’année en Bretagne. Le Festival est ainsi un lieu d'échanges privilégié entre le public et les professionnels autour de la création audiovisuelle bretonne.
Le propre du Grand cru Bretagne est de donner à voir cette production dans sa diversité. Films produits par des sociétés installées en Bretagne ; films produits ailleurs, mais tournés en Bretagne ; films auto-produits. Suivre le travail des gens d'ici, année après année. Découvrir de nouveaux producteurs et de nouveaux réalisateurs. Et donner sa place à la création en langue bretonne.
La sélection est faite par un comité de salariés et d'administrateurs des associations programmatrices Festival de cinéma et Daoulagad Breizh. A chacun sa sensibilité. Pas de quota, pas de règle a priori. La sélection, fruit d'échanges riches, est à la fois subjective et représentative.
Cette année, 12 documentaires, 10 fictions et 1 portrait ciné-chorégraphique, sélectionnés parmi 78 films reçus. 23 « coups de coeur » qui ont marqué, embarqué, bousculé, fait réagir le comité de sélection. Des découvertes et des plaisirs à partager en compagnie de leurs auteurs et de leurs producteurs.
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Grand Cru Bretagne : la cuvée 2013 s’équilibre cette année, une fois n’est pas coutume, entre documentaires et fictions. La surprise est d’autant meilleure que la qualité est au rendez-vous, dans les deux genres. Et qu’on se laisse facilement emporter, histoires réelles ou imaginées, par des écritures originales, parfois aussi plus classiques, mais avec un vrai propos, chaque fois.
Côté documentaires, ce sont de très beaux portraits qu’il faudra découvrir ou redécouvrir, et derrière l’œil du réalisateur, de la réalisatrice, des rencontres palpables. Qui n’ont rien à envier aux personnages de fiction.
On n’y classera pas la belle Paludière de Cécile Borne et Thierry Salvert, où l’œil se régale de l’esthétique des images, dans une « ciné-chorégraphie » très élégante. Mais on y découvre avec grand intérêt le peintre Ricardo Cavallo, vers lequel nous guide Isabelle Rèbre, qui soigne lumière et cadre, en un chant à répondre harmonieux entre réalisatrice et peintre. Ou bien Pierre Bergougnioux, dans Vies métalliques, dont Henry Colomer nous laisse entrevoir et entendre avec talent l’impressionante érudition, la belle voix et la simplicité. Dans un autre style, tendresse du conteur attachés aux gens, aux vrais gens de ce pays, il y a le Mon lapin bleu de Gérad Alle, qui capte des moments d’histoire de chacun, qui va et qui vient. C’est l’histoire d’ici, par fragments, autour d’un bar et de celle qui le tient. Et ici il y a des problèmes terre-à-terre, comme celui de la transmission évoqué par Jean-Jacques Rault, quand les agriculteurs de ce pays ne savent plus à qui vouer leurs vaches, au bout de Mille et une traites : mais à qui cette terre sera-t-elle donc confiée ?
Les personnages au centre de ces mises en images très diverses peuvent être groupes solidaires, sans barrières d’origine, d’ethnies, sans frontières : Cause commune est le récit d’une rencontre avec l’autre, celui qui fait parfois peur, mais à qui il suffit sans doute de tendre la main. Le seul risque est qu’il tende la sienne à son tour. Jouer ensemble, parler, se parler, extérioriser ses angoisses, ses émotions : l’aventure peut être collective, et provoquer échange et compréhension. C’est ce que nous rappellent Sylvain Huet et les comédiens amateurs de C’est là, c’est pas ailleurs. Et tout ça fait du bien, ici, et maintenant.
Mais la nouveauté cette année, ce sont les trois fictions longues retenues dans la sélection. Il y a d’abord le premier long métrage de la réalisatrice Bénédicte Pagnot. Elle nous montre deux destins de jeunes femmes, amies mais engagées, à l’issue du passage du baccalauréat, sur des routes très différentes. Le film se décline en deux parties : à l’image de ses protagonistes, la première partie est plutôt sage, à l’instar de son personnage principal. On est bien attaché à Audrey – Pauline Parigot, jeune comédienne dont il s’agira de suivre la trajectoire –, on partage ses étonnements, ses attentes, par-dessus son épaule. La deuxième partie sonne juste, qui pose les questions de la découverte du politique, de la réalité de l’engagement, des vraies convictions politiques et des désirs parfois opportunistes. Reste que l’histoire d’Audrey, située dans un temps actuel, ne paraît pas vraiment une histoire d’aujourd’hui, et nous laisse dans l’ombre de nos questionnements sur la dépolitisation de sa génération.
De l’usage du sextoy en temps de crise n’est pas raconté par un nouveau venu. Eric Pittard a roulé sa bosse. C’est d’ailleurs ce qu’il nous dit dans cette fiction inspirée de sa propre expérience. Un style qui coule, des cadres léchés, une dominante noir et blanc qui souligne l’élégance du propos : la pudeur dans l’impudeur d’exposer sa douleur, ses questions, ses peurs. Sa maladie. Cet homme-là, lui-même qu’il met en scène, sait de quoi il parle : les mots choisis sont très justes, comme le regard porté sur les événements qu’on ne maîtrise plus. Il est question de perte de soi, de la mémoire perdue de tout ce qui n’est pas le crabe qui vous ronge. Des langages étranges qu’on parle sur la planète médecine où on débarque bien malgré soi. Des priorités qui changent, des désirs en veilleuse, d’un rapport à l’autre biaisé. Eric Pittard nous raconte une histoire très personnelle qui peut pourtant trouver un véritable écho ailleurs.
Lann Vraz, réalisé par Soazig Daniellou, est une nouveauté à double titre. Il s’agit du premier long-métrage de fiction de la réalisatrice, et c’est aussi le premier long-métrage de fiction en langue bretonne, filmé et joué par une équipe de bretonnants. Mais le format n’a pas été choisi, puisque le travail d’écriture à plusieurs mains devait aboutir à une série, en plusieurs épisodes. La contrainte imposée a posteriori par le producteur n’a certainement pas aidé la réalisation, et c’est bien dommage pour une première de cet ordre. Quoi qu’il en soit, on saluera la réalisatrice qui a emmené son projet à terme, dans un contexte fort peu favorable à la production en langue bretonne, en espérant qu’il sera, lui, le premier d’une série de long-métrages en breton !
Enfin, hors sélection mais présenté par l’Accueil de tournages en Bretagne, on ne peut pas ne pas s’intéresser à Crawl, long-métrage de fiction tourné par Hervé Lasgouttes en Cornouaille. S’il présente les quelques maladresses d’un premier film, reste qu’il est plutôt bien joué, que la réalisation a su tirer parti de paysages magnifiques et s’y appuyer, que la musique est particulièrement bien choisie. Les dialogues sonnent juste. Tout comme les situations : là peut-être, plus que dans le film de Bénédicte Pagnot, on retrouve les difficultés d’une jeune génération pour laquelle les propositions et les modèles des générations précédentes ne correspondent plus à rien. Sans qu’il y ait vraiment contre-propositions.
Le Grand Cru Bretagne 2013 vaut vraiment le détour. Bien sûr, qui dit sélection dit choix, et films qui n’ont pas été retenus. C’est la loi du genre. Saluons le travail de tous les réalisateurs bretons ou en terre bretonne, sans exception.