Août 96. Depuis plusieurs mois, l’équipe du Festival est partie à la rencontre des Communautés immigrées en Europe. La thématique a fait débat au sein du conseil d’administration, c’est un peu la première fois que l’on choisit un thème transversal, une filmographie que l’on ne peut circonscrire à un territoire. Le catalogue regorge de promesses : on y trouve côte à côte le bijou de Robert Bozzi, Les Gens des baraques sur l’immigration portugaise, ou le magnifique Déjà s’envole la fleur maigre du belge Paul Meyer. Un film longtemps censuré en Belgique, qui fait admirablement rimer Borinage, chômage et charbonnage.
L’affiche même du festival a donné lieu à bien des palabres. Elle a été confiée à Siobhàn Gately, une Irlandaise. Celle-ci nous a proposé une version avec un homme en djellabah et babouches, portant valise en carton et carte de séjour géante. Mais les attentats à la bombe, qui ont frappé la France entre juillet et octobre 95, et officiellement attribués au G.I.A, sont encore trop proches. Alors Siobhàn se résout à habiller son présumé immigré musulman d’un costard cintré et casquette de toile, qui nous renvoie plutôt aux premiers ouvriers italiens ou polonais. On ne parle pas alors d’islamophobie, mais la figure de l’étranger n’est-elle pas déjà bien instrumentalisée par nos politiciens ?
En tout cas, nous dédions cet été-là notre édition aux Sans-papiers de Saint-Bernard, qui ont entrepris d’occuper la petite église parisienne depuis la fin Juin. Ils sont près de 300, grévistes de la faim, femmes, nouveaux-nés. Un prêtre atypique, Henri Coindé, les soutient au jour le jour. Sur nos ondes radio, on peut parfois entendre ‘un certain Stéphane Hessel, qui prend fait et cause pour eux. Mais nous oublions l’actualité pour plonger dans les salles obscures. Coeur battant.
Jamais le festival n’a autant ressemblé à une tour de Babel en technicolor. Fernand Melgar, espagnol immigré en Suisse, baragouine avec Gurindher Chadha, Indienne parée d’un humour décapant, à l’image de son Bhaji on the beach sur ses concitoyens émigrés en Grande-Bretagne. Le cinéaste Jacques Kébadian, auteur de Mémoire arménienne, a interrompu son tournage à Saint-Bernard pour venir. Samia Messaoudi, agitatrice culturelle kabylo-parisienne et sa bande de copines berbères décident de danser sur les tables. Un youyou fuse, salvateur !
Mardi 23 août. La France entière sent encore pour quelques jours l’ambre solaire et pourtant c’est l’horreur qui éclate au petit jour. Des centaines de C.R.S attaquent les portes de la petite église à coups de hache. Henri Coindé déclame I had a dream de Martin Luther King au milieu des lacrymogènes et des pleurs d’enfants.
Après une courte nuit de festivaliers, nous apprenons, incrédules, la nouvelle. Les présentations de films prennent un goût amer. Sur la place, les choses vont très vite. On n’est pas encore à l’heure des réseaux sociaux, mais on a la solidarité supersonique! Dès le lendemain, 15 H, une manifestation de soutien est improvisée, qui mêle festivaliers et Douarnenistes, réalisateurs et retraités, et aussi cette petite dame du quartier, toute remuée, qui a vu ça à la télé et qui trouve ça honteux… Le cortège est joyeux et indigné. On y croise une réalisatrice en sari et des bénévoles fatigués. Les deux co-directeurs du Festival ont eux aussi tout lâché pour fouler le pavé douarneniste avec leurs invités. Quoi de plus normal ?
Et aujourd’hui ? Quoi de plus normal que de donner la parole aux immigrés ? C’est ce que propose l’association Etrange miroir, avec son taxiphone installé sur la Place du festival. Courez-y vite, et écoutez les témoignages de migrants tunisiens en Loire-Atlantique. Un bien joli travail... http://etrangemiroir.org/
Caroline Troin