Pour ce quatrième jour, le Festival dépasse la place de la mairie. En s'attaquant tout d'abord à une certaine presse qui n'a de cesse de stigmantiser nos "invités", mais aussi grâce aux initiatives menées par les gens du voyage de Douarnenez et autres militants voyageurs. Le Kezako vous propose aussi, comme tout les jours, d'en savoir un peu plus sur les langues, et de voyager avec cette fois-ci comme destination le Kosovo.
Stigmatisation des “Roms“, l’overdose
« Hitler n’en a pas tué assez ». Au mois de juillet, cette déclaration abjecte du député-maire centriste de Cholet Gilles Bourdouleix sur les Roms est dénoncée d’une même voix par les politiques et les médias français. Pourtant, quelques semaines plus tard, l’hebdomadaire Marianne s’interroge : « Roms : tout dire ? », suivi le 22 août par Valeurs Actuelles, qui ne se pose même plus de question et titre : « Roms, l’overdose ».
Au-dessous de ce titre-choc, les mots-clés « assistanat » et « délinquance » surplombent le logo d’une caravane barrée de rouge. Une telle prise de position éditoriale antirom est inédite en France. Pourtant, selon Valeurs Actuelles, il s’agit d’un courant de pensée qui domine aujourd’hui chez les Français : près de 9 sur 10 seraient favorables au démantèlement des camps illicites selon un sondage Harris. Ce que l’hebdo oublie de mentionner, c’est que dans ce même sondage, 55% se disent indifférents à l’installation des Roms sur un emplacement prévu.
Depuis 2002 et la suppression du régime des visas européens pour la Roumanie et la Bulgarie, et plus encore depuis 2007, et l’entrée de ces deux États dans l’UE, les dérapages se multiplient quand il s’agit d’évoquer les Roms. À l’été 2010, le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy a fini de jeter le trouble dans les esprits, amalgamant ouvertement Roms et délinquance.
S’il y a overdose, ce serait plutôt vis-à-vis des politiques et des médias qui se shootent depuis des années au même produit : « les Roms », multipliant les effets d’annonce et les titres sensationnalistes. D’ailleurs, qui sont donc ces «Roms» ? En réalité, le terme désigne l’ensemble de ce qu’on appelle aussi les «Tsiganes», c’est à dire Gitans, Manouches et Roms d’Europe de l’Est. Pourtant, journalistes et élus font de plus en plus souvent l’amalgame entre une population de plusieurs centaines de milliers d’individus installée en France depuis des générations, et une population de migrants précaires, environ 15 à 20.000 personnes, qui arrive en toute légalité sur le territoire français.
Pour ouvrir son dossier consacré aux Roms, Valeurs Actuelles entretient aussi sciemment la confusion. « La France subit une invasion de “gens du voyage” majoritairement issus de Roumanie et de Bulgarie », explique l’hebdo en ouverture de son dossier, relayant le discours de l’extrême-droite, à moins que ce ne soit celui de la droite décomplexée, dont il se revendique. L’objectif est clair : dénoncer les conséquences forcément néfastes de l’immigration.
À l’été 2012, à peine rentré en fonction au ministère de l’Intérieur Manuel Valls annonçait déjà qu’il allait poursuivre la politique de démantèlement des campements illicites initiée par l’UMP. Face au tollé provoqué au sein de la nouvelle majorité, le gouvernement avait infléchi son approche. Le 26 août 2012, le gouvernement Ayrault publiait une circulaire censée mieux encadrer les expulsions et favoriser l’insertion des populations roms. Un an plus tard, on peut remarquer que ce dispositif n’a pas eu l’effet escompté et que le discours sécuritaire a repris de plus belle. Force est donc de constater que le PS a beau jeu de s’indigner du discours antirrom de l’opposition, mais que dans les mots et les actes, il en applique les principes.
Il est plus que temps que médias et politiques entament une cure de désintoxication pour purger leurs discours de contre-vérités éhontées. La mise en place d’une véritable politique d’insertion, seule solution pour avancer sur le dossier Rom, a déjà attendu trop longtemps. En effet, la politique répressive, entamée par la Droite et poursuivie par la Gauche, a montré son échec. D’autant que les idées d’extrême-droite se nourrissent « souvent de l’impuissance publique », comme l’expliquait au Monde Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP.
Une barrière en moins
Dans notre rubrique « Voyageurs d’ici » du premier Kezako, samedi, nous présentions à travers des extraits d’entretiens le problème que pose la barrière de l’aire d’accueil de Douarnenez. Ouverte de 8h à 17h, et fermée le reste de la journée et le week-end, elle rappelait les heures les plus sombres des « camps » pour Tsiganes de la seconde guerre mondiale. Mardi, sur cette même aire, les gens du voyage de Douarnenez ont organisé un pot avec les voyageurs invités au Festival, Raymon Gurême, Milo Delage et bien d’autres. Raymond Gurême y a découvert des membres de sa famille ; Éric Prémel, directeur du Festival se souviendra quant à lui d’une enfant sortant de sa caravane, se figeant, éberluée, en voyant que la chanteuse Marcela Gyulas portait la même robe qu’elle. Une rencontre qui a fait de l’aire d’accueil de Douarnenez le centre de la mosaïque rrom/voyageurs/tsiganes.
Vincent Nara Ritz, de « France Liberté Voyage » et expert pour le programme ROMED du Conseil de l’Europe en a profité pour revenir sur la législation des aires d’accueil, notamment au sujet de cette barrière. Des élus de Douarnenez, Quimper, Brest, Lamballe étaient aussi présents. D’autres rencontres sont prévues avec des responsables politiques. Aujourd’hui la presse locale a été invitée à revenir sur l’aire d’accueil, faire le point, rencontrer les « gens du voyage ». Au Kezako aussi il a fallu cette édition pour que nous nous allions voir nos « voisins », qui semblaient pourtant si loin. « En 30 ans t’es jamais venu nous voir ! T’aurai pu passer boire un café », s’exclamait l’un d’eux. Cette foutue barrière était tout aussi symbolique que matérielle. Mais le Festival est passé par là. Nara Ritz a rencontré le maire de Douarnenez qui a annoncé qu’il allait enlever cette barrière. Comme ça on pourra passer boire un café à n’importe quelle heure. Comme le dit Solenn de l’équipe organisatrice, « c’est là que le Festival prend tout son sens ».
Jeu de langue :
Beaucoup de gens sont venus de loin pour rejoindre Douarnenez, mais gant ar c’hammed kentañ e krog ar veaj hirañ, et la récompense était au bout de la route : 3ukel so phirel, kòkala arakhel, chien qui voyage trouve des os - enfin, même si certains Sintés, Rroms et autres Termaji trouvent que les gadjé oublient parfois de mettre des os, et un peu de viande autour, sur les plateaux repas vegan… Qu’y faire ? Celui qui ne monte pas à cheval, ne tombe pas de cheval : Kon na ukliol opr-o grast, grastestar na perel, an neb ne bign ket war gein ar marc’h, ne gouez ket war an douar !
Les Rroms sont des gens sages, qui avertissent avant que quiconque ne se lance dans une recherche vaine : ne cherche pas un cheveu dans un char de foin ! Ma ròde o bal and-o vordon le sulumenqo, arabat klask ur vlevenn e-barzh ur c’harrad foenn ! Les Français, au contraire, semblent avoir déjà essayé. Toutefois, désabusés, ils en ont tiré la la leçon : autant chercher une aiguille dans une botte de foin. À Douarnenez, avoir de la place dans la salle où passe le film que l’on veut absolument voir, ne pas manquer l’indispensable débat, relève parfois un peu de la quadrature du cercle, enfin, vous savez, cette idée bizarre de chercher cinq pattes au mouton, klask pemp troad d’ar maout. Mais n’oubliez pas qu’i buti kerdini vaxte si daj e baxtaqi, la chance est fille de l’ouvrage fait à temps !
Le marché de Prizren (Kosovo)
Jour de marché à Qulhan, les femmes catholiques des montagnes du Shar, vêtues de longues robes rouges, descendent en ville vendre du fromage et des légumes. Les grands-mères musulmanes de la Gora proposent du lait de brebis et des myrtilles des alpages. Un peu plus loin, les Bochniaques de Rečane ont préparé des galettes de céréales.
Depuis toujours, la grande cité de Prizren, au sud du Kosovo est un carrefour commercial, à la rencontre des routes de bergers qui se croisent dans la plaine de la Metohija. De l’Empire ottoman, Prizren a conservé une des plus belles čaršija des Balkans, un quartier peuplé de ferrailleurs, de barbiers et d’échoppes qui ne vendent presque plus aujourd’hui que des produits chinois. Sur la rive gauche de la Bistrica, les maisons incendiées du quartier serbe dressent leurs façades calcinées au pied de la forteresse ottomane de Kalaja, témoignage des exactions de juin 1999. Après le retrait des forces de Slobodan Milošević, plusieurs milliers de Serbes ont été chassé par la guérilla albanaise, rendue aveugle après des années de répression.
Malgré ce passé récent, qui tourne en boucle comme un mauvais rêve, Prizren est encore une des villes les plus multiculturelles du Kosovo. « J’utilise quatre langues avec mes voisins : le rromani, l’albanais, le turc et le bochniaque », explique Naser, un commerçant rrom qui importe des radiateurs électriques d’Autriche, « quand j’étais enfant, mes voisins albanais parlaient mieux rromani que moi ».
Plus de cent mille Rroms ont été chassés du Kosovo en 1999, accusés collectivement de collaboration avec les autorités serbes par les extrémistes albanais. Dix ans plus tard, quelques ghettos tiennent encore à Malishëve, Rahovec ou Plemetina, certaines familles sont revenues s’installer dans des bidonvilles de la banlieue de Pristina. Mais dans un pays, où le taux de chômage dépasse les 50% de la population active, les perspectives d’avenir sont bien sombres…
« A Prizren, les Rroms n’ont pas de problèmes avec les autres communautés, contrairement à d’autres régions du Kosovo. Seulement, il n’y a pas de travail », continue Naser. Dans le vieux bazar du centre-ville, les chaudronniers rroms ont fermé leurs portes les uns après les autres. « Nos métiers traditionnels sont en voie de disparition. Personne ne sait où nous allons, nous nous contentons de survivre au jour le jour ».