Festival de Douarnenez. Dans la grande salle des palabres de la MJC sur les quais, 200 à 300 personnes attendent le premier débat dans la ferveur du début d'une grande semaine de palabre, d'art cinématographique, de documentaires, de festivités et d'actions militantes - la barrière sur l'aire d'accueil des gens du voyage de Douarnenez fait l'objet d'une contestation par les voyageurs eux-mêmes avec l'aide des associations présentes et elle explosera au milieu de la semaine. Liberté, Égalité, Fraternité sont inscrits sur le fronton de la mairie.
Tout le monde sait que nous abordons ce matin un sujet grave : les camps de concentration pour les nomades pendant la guerre.
La matinée s'annonce longue, le public est d'une qualité assez exceptionnelle, et il faut lui rendre hommage : curieux, studieux, autant que bavard et fervent entre les séances, le public sait que ce matin là nous allons aborder un sujet dramatique : le camp de concentration de Coray.
Kezako ? Ce camp ouvert en octobre 1940 et fermé fin 1941 sur l'ordre du Préfet Maurice Georges a servi de lieu de rétention pour des familles nomades. 2000 m2 seulement de terrain pour enfermer 62 nomades à son ouverture et jusqu'à 213 personnes à sa fermeture.
Coray est une petite commune du centre Finistère, située à une vingtaine de km de Quimper, rien ne permet aujourd'hui de supposer lorsqu’on la traverse ces événements dramatiques, aucune trace, aucun panneau de commémoration, aucune galerie mémorielle, rien.
Pourtant, les habitants de Coray durant cette période trouble de l'occupation ne pouvaient pas ignorer la présence de ce camp situé quasiment dans le centre du bourg à quelques mètres de l'église. Un camp de concentration oublié parmi d'autres. Comme partout en France, les habitants de la région sont restés silencieux sur ces dramatiques événements. Honte ou indifférence ? Nous ne sommes pas là pour juger mais pour comprendre, pour essayer d'éclairer une période sombre de notre histoire commune avec ces « français itinérants », pour reprendre la formule défendue aujourd'hui par certaines associations à la recherche d'une désignation citoyenne plus universelle.
Alain Daniel, retraité de la Direction Départementale de l’Équipement et passionné d'histoire et Marie-Christine Hubert, historienne coauteur de Les Tsiganes en France, un sort à part 1939-1946 avec Emmanuel Filhol, vont pendant 2 heures et demi permettre de commencer à éclaircir cette période trouble. Après une heure d'explication intense, une personne se lève dans le public, Raymond Gurême, 88 ans, ancien artiste de cirque, puis s'assoit auprès des intervenants, silence dans la salle. Il apparaît comme un personnage d'un roman biographique, son petit chapeau, sa veste et son pantalon trop large lui donne l'aspect d'un artiste directement sorti du plus grand chapiteau du monde. Tout à coup, l'histoire devient réalité, il prend le micro et alors sa voix emplit la salle, une voix chargée d'émotion, une voix de comédien, une voix de saltimbanque, une voix malicieuse, une voix tremblante, une voix qui résonne dans toutes les oreilles attentives d'un public envoûté par cet homme hors du commun. Raymond raconte l'arrestation de sa famille, l'enfermement dans les camps, ses évasions, ses actes de résistance, les décès, les personnes disparues, les persécutions, quelques faits héroïques. La transition est difficile. La salle est marquée pour toujours par son passage, par son témoignage et par sa personnalité exceptionnelle.
Le public lui rend hommage par un tonnerre d'applaudissements. Puis Raymond, l'ancien acrobate, continue sa route, il part dans une autre salle pour partager encore, encore, et toujours, dans l'ambiance fraternelle et effervescente de ce Festival, son histoire, pour que personne n'oublie ce qui s'est passé. « Raymond vit une seconde vie depuis qu'il témoigne sur ces événements dramatiques, me dit une proche. » Raymond a écrit un livre, Interdit aux nomades, dans lequel il raconte tout ce qu'il a traversé durant la guerre. «Il est le dernier survivant tsigane des camps de concentration français », précise Milo Delage, de l’UFAT.
A la suite de Raymond, Monique Mouvaux vient nous parler du camp de Plénée Jugon, dispositif d'internement dans le département des Côtes d'Armor équivalent au terrain de Coray. Sa voix vibrante, douce et timide, survole une assemblée muette et touchée par la grâce et la modestie de cette femme. Sa mère a été enfermée dans les camps de concentration et après la guerre, a été placée dans un centre de l'assistance publique où elle a connu les brimades et les persécutions des représentantes des institutions catholiques.
Après 2 heures de « palabres », le public a quitté la salle avec de nombreux repères pour mieux comprendre l'histoire de ces « français itinérants » dans ce pays où racisme et persécution contre les tsiganes se conjuguent depuis des décennies, voire des siècles, et se poursuivent encore aujourd'hui. Le Festival continue et le public devient lui-même le relais d'une mémoire oubliée. Merci à tous ceux qui y ont participé.