C'est en août 1994 que nous avons accueilli les Peuples Berbères à Douarnenez. Cette édition avait, entre autres, été préparée lors d'un séjour au Maroc, qui me permit de rencontrer de nombreux militants à l'enthousiasme communicatif. En revanche, ma visite au centre culturel français de Casablanca se solda par une fin de non-recevoir. Son aimable directeur me fit diplomatiquement comprendre que si nous n'abandonnions pas cette idée de culture berbère, il ne pourrait nous soutenir. Cet angle était un peu dérangeant pour le royaume chérifien, pourquoi ne pas parler cinéma arabe, comme tout le monde ? Je lui tournai le dos.
Dix ans plus tard, alors qu'à Istanbul nous préparions une édition kurde, nous prîmes rendez-vous avec le Centre culturel et son nouveau directeur, qui s'avéra être ... le même qu'à Casa, muté en Turquie. Je lui annonçai avec un brin de malice que nous cherchions un soutien pour défendre le cinéma kurde, et non turc ! Il pâlit un peu, se tortilla sur sa chaise et reprit la même litanie : « vous ne pourriez pas renoncer ? ... je ne puis vous aider dans ce cas...»
Dans mes rêves, je croise ce pauvre homme en poste chez les Ouïghours ou chez les Papous, et je lui ris au nez ! Non, nous ne renoncerons pas à donner la parole aux minorités.
La question berbère s'avéra bien complexe, entre Kabyles, Chaouïas, Rifains, Chleuhs, Berbères lybiens ou tunisiens... sans oublier la diaspora. Côté Touaregs, des associations différentes, des rivalités, des oppositions. Querelles de clochers, de mosquées, d'oasis ? Nous ne savions plus où donner de la tête. La délégation officielle avait grossi au soleil de cette fin d'été, et beaucoup de militants avaient pris l'initiative de venir à leurs frais, de très loin souvent. Palabres, motions, discussions sans fin, la Place du festival prit l'allure d'un vaste forum à ciel ouvert. Sous les étoiles, loin du pays natal.
Et c'est là, entre crêpes et fest-noz, entre films et débats sans fin, que va germer chez une partie de ces militants pugnaces l'idée de créer un Congrès mondial amazigh. Une structure fédérative, qui puisse coordonner et avoir une représentation internationale. C'est en septembre 1995 que cette organisation sera officiellement créée. L'un de ses présidents, Belkacem Lounès, aime toujours à rappeler que c'est à Douarnenez que tout a commencé. Rachid Raha, venu des Canaries en pays penn-sardin, en sera un des premiers présidents, avant de céder la place à Belkacem Lounès. Mais ces deux hommes représentent des courants différents et les deux branches vont se séparer en 2008. En 2013, on parle de l'Assemblée mondiale amazigh, et elle poursuit les mêmes objectifs de reconnaissance internationale.
Et donc, si vous croisez, à flanc de montagne du sud marocain, un jeune berger qui arbore fièrement un tee-shirt du festival, rapiécé de toutes parts, ne soyez pas surpris! Ne vous étonnez pas non plus quand des inconnus, au seul nom de Douarnenez, vous étouffent dans une large accolade. La course de taxi vous est offerte, tiens ! Ou le thé à la menthe ! Le nom de cette ville reste un césame dans bien des régions berbères, chez les militants en tout cas. Essayez-donc...