La guerre en Ukraine pose de nombreuses questions qui amènent les décideurs à réfléchir différemment et à innover. Il faut s’en réjouir.
Dans bien des domaines (accueil des réfugiés, production alimentaire et agricole, achats de matières premières et marché des hydrocarbures, artificialisation des sols, etc.), des évolutions sont en cours et des décisions inédites sont prises, auxquelles personne ne s’attendait voilà de cela deux mois.
Notre gouvernement est à la manœuvre, de même que l’UE. Mais ils ne sont pas les seuls. Les grandes entreprises aussi s’interrogeraient sur ce qu’il convient de faire pour répondre au mieux aux urgences de l’heure et aux inquiétudes grandissantes de la population.
Ces dernières sont liées aux problèmes de dépendance alimentaire, de forte inflation et de rupture énergétique, particulièrement angoissants. Et chacun sait que le contexte de bouleversement géopolitique global, qui impacte grandement les marchés, oblige les responsables à prendre des mesures conjoncturelles, mais aussi structurelles pour que les prix, les productions et les flux essentiels soient préservés.
Ces inquiétudes commencent à être perçues, au plus haut niveau, y compris dans la sphère économique et financière, par des acteurs pourtant plus soucieux, d’habitude, de leurs intérêts privés immédiats que de l’intérêt général. L’actualité est peut-être en train de bouleverser les façons de penser et donc d’agir d’un grand nombre de responsables publics et privés, dont les décisions sont si cruciales pour le plus grand nombre.
Nous en avons un exemple récent, local mais peut-être emblématique, dans le département du Tarn. En effet, le puissant groupe de travaux publics NGE (le 4e en France) aurait décidé d’abandonner le projet autoroutier destiné à relier Castres à Toulouse. Cette liaison était pourtant sur de bons rails : ce constructeur-concessionnaire (par le biais de sa filiale ATOSCA) a été choisi par les pouvoirs publics, il y a de cela moins d’un an, à quelques jours de la publication du « Dossier des engagements de l’Etat » par la préfecture du Tarn.
Cette future liaison autoroutière, dont l’idée a mûri dans les années 1980-90, est contestée depuis l’origine par diverses associations, élus locaux et collectifs. Ces deux dernières années, les critiques à son encontre se sont faites plus nettes et elles sont désormais mieux entendues. De plus en plus de Sud-tarnais dénoncent en effet son inutilité et son caractère écocide, antidémocratique et antisocial.
Selon mes informations, cette décision aurait été prise suite à la parution du dernier rapport du GIEC, à l’unanimité moins une voix, par le conseil d’administration du groupe NGE. Quelques-uns de ses membres auraient insisté pour que soit étudié un « scénario alternatif », en raison du fait qu’avec le projet dont ils avaient la charge, plus de 470 hectares de terres agricoles - et parmi les meilleures ! - seraient artificialisées.
S’appuyant sur le constat qu’entre le début de l’élaboration du projet (il y a plus de 15 ans) et aujourd’hui, les priorités liées au bien-être des populations ont changé du tout au tout, les porteurs de ces réflexions nouvelles n’auraient finalement pas eu beaucoup mal à convaincre l’ensemble des dirigeants du groupe. Seul l’un d’eux se serait donc au final abstenu.
Pour malgré tout répondre à la demande des élus locaux habités par leur sentiment d’« enclavement de leur territoire », NGE proposerait désormais d’aménager la nationale existante (RN126), en s’appuyant sur une étude effectuée en 2016. Cela permettrait au groupe de poursuivre ses précédents travaux sur cet axe, puisqu’il avait déjà réalisé ces deux dernières décennies les rocades contournant Puylaurens et Soual ; des tronçons dont la puissance publique se serait dessaisie et qui auraient dû être intégrés à l’autoroute.
En rectifiant ainsi le tir, l’entreprise et ses différentes filiales en plein développement, pourraient ainsi honorer leurs engagements concernant les différents chantiers ayant subi du retard suite au confinement. En outre, elles espèrent bénéficier à l’avenir de nouveaux chantiers dans toute la région et de développer une nouvelle image, plus en adéquation avec l’air du temps.
A Castres même, cette nouvelle option n’est pas connue, en dehors de quelques personnes peu loquaces. Habitant de la petite commune de Saïx qui jouxte la sous-préfecture et où, jusqu’à preuve du contraire, doit passer cette future autoroute A69, j’ai pu m’en rendre compte, même si les interrogations vont déjà bon train dans les « milieux informés ». Parmi le tout petit cercle des initiés, ceux que j’ai interrogés à ce propos sont partagés. Pourquoi un tel revirement ? Et pourquoi les milieux économiques et les élus locaux de l’agglomération Castres-Mazamet, mais aussi ceux du Département et de la Région Occitanie, n’ont-ils pas songé plus tôt à adapter le projet de cette manière, ce qui aujourd’hui apparaît comme une évidence ?
Trois des cinq personnes avec lesquelles j’ai échangé et qui ont eu vent de ce revirement inattendu s’en réjouissent. Pour elles, le cadre de vie serait ainsi préservé et « l’argent ainsi économisé sera bien mieux investi ailleurs, notamment dans des projets sociaux ou écologiques ».
Quand cette décision sera-t-elle rendue publique et officialisée ? On me dit que cela pourrait être confirmé à l’occasion d’une prochaine séance de la Communauté d’agglomération Castres-Mazamet.
Mais un ancien élu « généralement bien renseigné » pense plutôt que ce sera dévoilé après le second tour des présidentielles, pour ne pas perturber le scrutin.
Peut-être le gouvernement est-il intervenu en amont auprès de NGE pour inciter à l’abandon de ce projet, en raison des problèmes d’endettement que la crise du COVID a aggravés et pour être en règle, dans un laps de temps assez court, avec les engagements pris depuis le Grenelle de l’environnement et l’Accord de Paris ? Car tous les responsables savent bien aujourd’hui que la France est loin de la trajectoire vertueuse dont s’est souvent félicité (à tort) Emmanuel Macron. C’est ce que suggère un cadre administratif qui ne souhaite pas se faire connaitre…
Tout cela mérite donc d’être confirmé. Avec d’autres, je suis dans cette attente, et pour en savoir plus, il serait intéressant que les médias s’emparent de cette question. J’ai en effet tenté d’avoir un responsable de NGE au téléphone, mais cela m'a été refusé. De même, hier, il m’a été impossible de prendre rendez-vous avec une personne chargée du dossier, que ce soit à la Préfecture du Tarn, à la DREAL ou encore avec le directeur de projet; et les élus locaux et régionaux que j’ai réussi à joindre ne sont quant à eux, à ce qu’ils disent, au courant de rien. Pourquoi tant de mystères pour une question qui divise depuis des années la population sud-tarnaise ? Des éclaircissements sont nécessaires, de toute urgence !
Adrian Azaïs
Finalement, il semblerait que ce soit le consortium concurrent NACT Entreprise qui présentera son projet alternatif aux élus du territoire à l’occasion d’une rencontre qui ne saurait tarder. Nous avons hâte d’en savoir plus !

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