En 2006, après des années d’un lobbying acharné, Pierre Fabre, fondateur du groupe pharmaceutique du même nom et deuxième groupe dermo-cosmétique mondial, réussit le tour de force de convaincre le gouvernement d’officialiser le projet d’autoroute Castres-Toulouse. Une autoroute accolée à la nationale 126, dont deux double-voies existantes seraient privatisées au profit de l’entreprise NGE/ATOSCA, le concessionnaire désigné en avril 2022.
Avec son interpellation non dénuée d'humour, le collectif La Voie Est Libre invite le groupe Pierre Fabre à exprimer publiquement l’arrêt officiel de son soutien au projet d’autoroute A69 et à participer à « la marche contre l’autoroute » qui aura lieu du 21 au 24 octobre sur le tracé envisagé.
Le texte intégral de la lettre ouverte adressée à Pierre Fabre Group et la réponse de celui-ci sont disponibles sur le site du collectif La Voie Est Libre.
DÉPOLLUER LE DÉBAT PUBLIC
Si l’on veut rendre nos modes de vie, de production et d’organisation sociale compatibles avec le maintien d’une planète habitable, il faut commencer par dépolluer le débat public des fausses promesses qui, en masquant ou en travestissant la réalité, nous empêchent d’être lucides sur le désastre en cours et sur les mesures nécessaires pour le limiter.
Bien plus qu’un simple verdissement de façade, le greenwashing apparaît comme une manière de nous enfermer dans une trajectoire socio-économique insoutenable.
Comme McDonald qui repeint son logo en vert, Pierre Fabre Group s’offre une virginité environnementale en mettant en avant une action écologique réelle mais mineure (inciter ses collaborateurs à covoiturer), tout en défendant un projet écocide, l’autoroute A69 Castres-Toulouse.
Le greenwashing, comme la langue de bois, procède entre autres par des déclarations invérifiables ou de simples promesses, permettant de remettre à plus tard les impacts négatifs des décisions prises.
UNE AUTOROUTE QUI PRÉSERVE LA BIODIVERSITÉ ?
Pierre Fabre Group occulte ainsi la réalité désastreuse pour l’environnement de l’autoroute : Atosca, concessionnaire d’une
« infrastructure nouvelle génération » devient ainsi un modèle de « respect des pratiques et des normes les plus élevées en matière de préservation de la biodiversité, de protection de la ressource en eau et de minimisation de l’empreinte carbone du chantier. »
Pierre Fabre désamorce ainsi toute critique face à son obstination à considérer comme anecdotique la destruction de plus de 400 hectares de terre, ainsi que la menace sur la biodiversité et les zones inondables.
LE TERRITOIRE ENTRE CASTRES ET TOULOUSE ABSENT DU DÉBAT
L’entreprise se préoccupe des « 700 collaborateurs, partenaires et prestataires du groupe qui font quotidiennement le trajet Toulouse-Castres » mais occulte totalement les conséquences pour l’ensemble du territoire, que ce soit la privatisation des contournements de Soual et Puylaurens (avec retour d’un trafic important dans les centres bourgs) et le report d’une partie du trafic vers Saint-Affrique-les-Montagnes, Verdalle, Dourgne, Cahuzac, Saint-Amancet, Sorèze et Blan.
Ainsi, le groupe omet de considérer la réalité, à savoir que le trafic sur le territoire ne se fait pas exclusivement de Castres et Toulouse et inversement, mais également sur une partie moindre du parcours ou encore du Nord au Sud, en direction de Revel, Carcassonne et l’Espagne.
L’HEURE EST AU TÉLÉTRAVAIL ET À LA VISIO-CONFÉRENCE
Pierre Fabre Group n’est pas à une contradiction près : d’un côté il affirme que l’autoroute est une nécessité pour « l’essor économique du bassin Castres-Mazamet », de l’autre il précise que le groupe tend vers « une généralisation équilibrée du télétravail et l’organisation en priorité des réunions à distance. ». L’autoroute de demain ne serait-elle pas plutôt numérique ?
Le discours est pétri de généralités et de mots creux (« considérer le projet dans « sa globalité, sa complexité et en toute rationalité »). C’est un modèle de langue de bois qui accentue le soi-disant côté positif (« réduction du nombre d’accidents et une amélioration de la qualité de vie du plus grand nombre ») en laissant l’ensemble des aspects négatifs dans l’ombre.
Tout l’art de Pierre Fabre Group est de dissimuler une vérité désagréable tout en feignant de la décrire : « L’A69 évitera à quelque 8000 voitures et 800 poids lourds d’emprunter et de polluer les zones habitées qui se trouvent sur le trajet de l’actuelle RN 126. ». Affirmation absurde : le tracé de l’autoroute suit en très grande partie celui de la RN126 et de fait, les zones habitées qui se trouvent sur le trajet.
ET SI C'ÉTAIT LES ESPRITS QUI ÉTAIENT ENCLAVÉS ?
Pierre Fabre Group se garde bien d’être précis, que ce soit du point de vue du développement économique qu’il serait légitime d’attendre au vu de l’impact écologique et social du projet, que ce soit sur le temps concrètement gagné sur le trajet (sujet d’autant plus délicat qu’il est de plus en plus question d’abaisser à 110 km/h la vitesse sur les autoroutes) ou encore sur l’aspect particulièrement inégalitaire et antisocial du montant du péage, d’autant plus que les sociétés exploitantes évoquent aujourd'hui une augmentation de 8 % avec le Ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire, sous prétexte que leurs investissements sont soumis « au poids de l’inflation ».
Le désenclavement du territoire semble être le seul argument pour justifier le projet de l’autoroute. Une « vérité » assénée à longueur de prises de paroles des pouvoirs politiques et économiques, sans jamais prendre la peine d’en définir les contours et qui repose avant tout sur une vision du monde d’un autre temps.
Le bassin économique de Castres-Mazamet serait « injustement pénalisé de ne pas être relié à sa capitale régionale ». Pierre Fabre Group s’est pourtant déployé à l’international sans attendre l’autoroute et le territoire n’est pas moins développé que beaucoup d’autres de même taille.
Nous nous trouvons face à un sentiment de relégation classique d’une France périphérique qui peine à développer une image positive de son territoire faute d’imagination, alors même que ces territoires pourraient devenir de véritables atouts d’attractivité et de dynamisme, avec des villes à taille humaine, offrant une proximité avec la nature très en vogue aujourd’hui, loin des "métropoles étouffantes" et gangrénées par les bouchons.
UNE RÉPONSE QUI N’EST PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX
Pour finir, Pierre Fabre Group évite soigneusement de répondre à la seule question qui appelait une réponse responsable de sa part : « Comment imaginer que le Groupe Pierre Fabre soit toujours en faveur d’un projet qui va à l’encontre de tous les efforts contre le changement climatique, contre la sixième extinction des espèces et contre les engagements de sa propre politique de RSE ? »
La réponse de Pierre Fabre Group exclut tout débat sérieux concernant la nécessaire remise en cause de nos modes de vies et du modèle économique actuel. Nous sommes au XXIe siècle et parmi les enjeux majeurs aujourd’hui, figurent ceux de réduire drastiquement l’étalement urbain et de favoriser le rapprochement domicile-travail. Et non pas de soutenir des projets tels que l’A69, emblème d’une politique particulièrement passéiste.
Cette attitude apparaît comme particulièrement irresponsable de la part d’une entreprise qui souhaite « continuer à oeuvrer le plus longtemps possible en faveur de la promotion économique, sociale et environnementale de ce territoire qui lui est si cher. ».
Adrian Azalaïs
A lire : Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (dir.)
Greenwashing. Manuel pour dépolluer le débat public.
Editions du Seuil, 2022

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