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Billet de blog 3 février 2016

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Espagne: majorités impossibles?

Les législatives du 20 décembre dernier ont activé en Espagne une très intense période de négociations politiques pour tenter de constituer une majorité parlementaire apte à soutenir un nouvel exécutif. Après le renoncement ambigu de Mariano Rajoy, le roi d'Espagne a appelé Pedro Sánchez, secrétaire général du parti socialiste, à engager des discussions avec les différents groupes parlementaires.

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La réponse socialiste aux propositions d'alliances de Pablo Iglesias a eu deux effets : enfermer Pedro Sanchez dans une impasse et réactiver les barons du parti. En effet, la réaction, publique le plus souvent, des anciens dirigeants du PSOE ne s’est pas faite attendre. Prenant pour argument, la proposition de shadow cabinet d’Iglesias, ils la présentent tous (Rubalcaba, Corcuera, González), comme une insulte, élément de langage prémédité pour couper court à tout dialogue. José Luis Zapatero s'est montré plus nuancé mais souligne que gouverner avec une aussi faible majorité  (161 élus sur 350) est impossible, il en a fait l’expérience en 2004 et 2008.
L’orientation des dirigeants socialistes est donnée par Felipe Gonzalez lui-même, qui s'est dit obligé de s’exprimer  parce qu’il est « fatigué qu’on interprète sans cesse ce que l’on suppose qu’il pense ou qu’il devrait penser »[1]. En réalité, les appels directs ou indirects se sont multipliés et l’intervention de Gonzalez était destinée à marginaliser toutes les décisions du secrétariat actuel du PSOE. Cette interview a été publiée un mois après le vote d’une résolution du PSOE qui affirme que le parti socialiste voterait contre l’investiture d’un candidat du PP en prenant ensuite ses responsabilités comme « premier parti du changement ». Cette résolution s’en prend aussi aux velléités d’autodétermination ou de séparatisme sous toutes les formes comme élément aggravant la fracture sociale et  réaffirme le choix fédéral. Ce dernier devrait conduire à une révision constitutionnelle proposée au vote référendaire des Espagnols. Le projet d’accord de législature est résumé en huit points: emploi, éducation, « régénération démocratique », lutte contre la pauvreté, contre la violence fait aux femmes, un plan renforcé pour les retraites, une réforme pour une constitution sociale et fédérale et un renouvellement des initiatives à l’intérieur de l’Europe et de la zone euro pour plus de social et une meilleure gouvernance.

Cinq jours avant la publicaztion de cet interview, un nouveau communiqué officiel du PSOE insiste sur « l’obligation constitutionnelle» pour le PP d’accepter de présenter sa candidature ou d’y renoncer définitivement. Le PSOE s’engageit, en contreparite,  à ne mener aucune action visant à mettre sur pied une alternative tant que le premier tour d’investiture n’aurait pas eu lieu.

Ces variations de position reflètent des tensions à l’intérieur du Parti Socialiste. Ces tensions ont  conduit Felipe Gonzalez à s'exprimer pour dénoncer le refus du PP et de Rajoy de s’engager  mais, dans le même temps, pour mettre en garde très clairement contre les « risques d’un éventuel accord avec Podemos». Il dénonce l’immobilisme et l’irresponsabilité du PP aussi bien que le « liquidationnisme »[2] de Podemos. Pour lui, le PSOE a subi un échec clair et net dont il faut tirer les leçons. Il laisse entendre que son parti ne devrait formuler une proposition qu’après l’échec annoncé du PP, avec ou sans Rajoy comme candidat au poste de chef du gouvernement. Obsédé par la tactique de « la pinza » (la tenaille), l'ex chef du gouvernement des années 80/90 ne répond pas vraiment à la question d'une grande coalition (PP+PSOE ou PP+PSOE+Ciudadanos) mais à celle d'une coalition PP-Ciudadanos comme si l'idée-même d'une coalition PP-PSOE ne pouvait être pensée. Une entente PSOE-Ciudadanos est envisagée sous la forme d’une coalition à trois (« tripartito ») avec  ce qu'il appelle « l’amalgame de Podemos » mais sans indiquer les limites programmatiques acceptables ni la place donnée aux uns et aux autres. Et l’élément essentiel du discours de González est contenu dans le titre donné à cette page : « Je crois que ni le parti socialiste ni le PP ne devraient empêcher l’autre de gouverner ».

En quelques mots, car le discours de Felipe Gonzalez est un chef-d’œuvre de non-dits, il pense que les choses ne sont pas mûres pour une grande coalition, il faut persuader les militants et les électeurs socialistes que celle-ci ne fonctionnerait pas comme une nouvelle « pinza » dont son parti ferait les frais. Une abstention « négociée » du PSOE pourrait laisser le champ libre à un gouvernement minoritaire du PP.

Le 2 février, une initiative du roi a modifié la donne. Il a demandé à Pedro Sanchez d’entamer un tour de consultations pour constituer une majorité de gouvernement. Ce tour commence aujourd’hui, mais, note Felipe González, ce sera difficile, tant les options sont loin d’être les mêmes entre les « liquidateurs » de Podemos et la proposition « réformiste et progressiste » du PSOE. Donc, on attend de voir l’attitude à la fois des socialistes, qui tentent une ouverture au centre-droit vers Ciudadanos, et de Podemos, qui ne semble pas prêt à une alliance avec cette dernière formation. Les critiques pointent déjà et elles viennent de Xavier Domènech, leader d’En Comú Podem, fort de son très bon résultat en Catalogne, qui, tout en réitérant sa volonté de négocier avec le PSOE, ne comprend pas pourquoi l’associé prioritaire des socialistes est Ciudadanos. Il critique aussi la méthode des rencontres bilatérales et non celle d’une négociation globale. Sánchez rencontrait aujourd'hui  Nueva Canarias, Coalición Canaria, Unidad Popular (IU) et Compromís. Jeudi, il devrait rencontrer Ciudadanos, demain Pablo Iglesias et samedi, le PNV. Aucune rencontre n’était prévue avec les nationalistes/indépendantistes basques et catalans (Bildu, ERC y DL) ni avec le PP.


[1]Felipe González: « Ni el PP ni el PSOE deberían impedir que el otro gobierne », Antonio Cano, El Pais, 28 janvier 2016.

[2]Formule réutilisée qui vient du léninisme et des controverses entre bolchéviks et mencheviks. https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1910/03/vil19100306f.htm

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