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Billet de blog 31 janvier 2024

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Vox populi

Israéliens, Palestiniens, deux peuples otages et prisonniers de gouvernances déterminées à défendre leurs enfants à tout prix. « Pogrom », « génocide », chacun sa vérité et en guise de réponse aux accusations la guerre. Si le prix du sang semble être le choix privilégié par leurs chefs, est-ce là la volonté du peuple ? Israël doit rendre des comptes à La Haye. Alors, que pense le peuple d’Israël ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Lieu du festival de musique Supernova Sukkot Gathering, près du kibboutz de Réïm, où s’est déroulé le massacre du 7 octobre 2023 © IR

L’année en Israël et Palestine a commencé comme la précédente s’est terminée, sous de biens sombres auspices. Les lieux du festival et des kibboutz au sud, ravagés, semblent figés malgré le passage de ceux venus se recueillir, étrangers, soldats, pompiers, colons, familles des victimes ou des otages… Une communion rythmée par le choc puissant des départs de canons pilonnant Gaza, à quelques kilomètres de là. Gaza qui suffoque sous les bombes, résiste et dépérit. La brume rouge des incendies, l’odeur de la mort et de la poudre, celle de la guerre. L’envol et le cri des corbeaux, qui résonne. La mitraille qui répond. Tandis qu’à Tel Aviv les réservistes passent au café, fusil en bandoulière, et se mêlent aux badauds, entre deux alertes missile, qui vident les rues le temps de dévier l’attaque.

Après chaque shabbat, devant le Museum of art, les gens se rassemblent pour une cérémonie en faveur des otages, mêlant chants poignants, rapports de situation et cris de colère. Sous une pluie battante ce soir-là, ils sont venus nombreux. Des contestataires affichent, qui sur leurs vêtements, qui sur des pancartes, le visage de Netanyahou barré d’une main sanglante, celle laissée par le Hamas sur les lieux du massacre le 7 octobre, et un slogan que l’on pourrait traduire par : « virez-le maintenant ». Un appel à la Knesset pour déclencher une motion de censure. Naomi frappe sa poitrine et ce visage honni : « C’est sa faute ! » accuse-t-elle. À Ramallah, où le Hamas a lancé un appel à manifester, même mélange de passions.

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Manifestation en faveur des otages au Museum of art de Tel Aviv © IR

Des pancartes de Gaza bombardé et des cris : « Gaza ne peut plus respirer », le nom de Marwan Barghouti, député de Ramallah et responsable du Fatah, arrêté le 15 avril 2002 par l’armée israélienne, le drapeau vert du Hamas qui se mêle à celui de la Palestine, le visage triste d’un enfant pelotonné contre son père au visage grave. Et au détour d’une ruelle, une main sanglante sur un mur… Avant d’atteindre le check-point reconduisant en Israël, le visage d’Arafat, « FREE PALESTINE ».

Jérusalem vibre comme à son habitude. L’accès principal à Bethléem est fermé. On nous demande à mi-voix ce que l’on pense de la guerre et des évènements d’octobre côté arabe… En Israël, un bandeau jaune flotte un peu partout, rappelant celui que les familles américaines nouaient pour demander le retour de leurs soldats d’Iraq. Le visage des otages israéliens accompagné de la phrase « Bring them home » répond à celui des enfants de Gaza affichés en Palestine : « We are not numbers ».

Nous voilà revenus aux temps de la tour de Babel : personne ne s’entend ni ne s’écoute. La difficulté d’informer est certainement l’une des principales causes de la folie ambiante. L’entrée à Gaza pour les journalistes étrangers se fait au compte-goutte et sur autorisation d’Israël, les chiffres des morts côté palestinien sont donnés par le Hamas, quant aux rumeurs, elles sont légion : les réseaux sociaux en sont un puissant vecteur. Aide humanitaire détournée pour les uns, absente selon les autres… Sans témoins, tout s’emmêle, et le grand vainqueur, permis par le doute, restera toujours le mensonge.

Israël lutte sur plus d’un front : la nécessité de répondre à l’attaque, son gouvernement illégitime qui a laissé faire, et le monde qui les juge durement. De nombreux historiens nous rappellent aujourd’hui l’histoire de ce conflit aux racines ancestrales. Il ne nous a pas semblé inutile, par-devers le passé, d’écouter la voix du peuple, à travers celle d’un enfant d’Israël.

Yona Rozenkier, 42 ans, est né au kibboutz Yehiam, au nord. Il y a travaillé comme fermier avant de rejoindre l’université de Tel Aviv pour étudier le cinéma. Il est le deuxième des quatre fils d'Abraham Rozenkier, secrétaire général du kibboutz puis secrétaire général international du Mapam, et de Franzi, volontaire originaire de Suisse. Yona a réalisé plusieurs courts-métrages primés dans des festivals internationaux, participé au projet Water, des courts-métrages réalisés par des cinéastes israéliens et palestiniens. Un havre de paix est son premier long-métrage, réalisé en 2018 et primé au festival de Jérusalem, de même que son second film, fait en 2022 et intitulé Le voyage à Eilat, également récompensé au festival de Locarno. 

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Contestataires anti-Netanyahou au Museum of art de Tel Aviv © IR

Il en développe actuellement un troisième, Vilde Haye, l’animal sauvage en yiddish, au sujet évocateur. « C’est l’histoire d’une famille de partisans juifs pendant la Deuxième guerre mondiale qui continuent de se cacher des années après la fin de la guerre. Ils ne se rendent pas comptent qu’elle est terminée tellement ils craignent le monde… Après le 7 octobre, c’est intéressant. C’est un film qui pose la question : est-ce qu’ils peuvent encore faire confiance au monde après la Shoah ? » Il a également servi dans les Forces spéciales à la Brigade des parachutistes de Tsahal, de 1999 à 2002, et participé à la grande opération de reconquête de la West Bank.

Que pense-t-il du 7 octobre aujourd’hui ?

« C’est le plus grand pogrom des Juifs depuis la Deuxième guerre mondiale.

« Je suis né dans un kibboutz, mon père était membre du parti de gauche Mapam. Mon entourage, ma famille nous disait que les peuples ont droit à leur identité, à leur propre pays, c’était ça le vrai sionisme avant qu’il devienne une idéologie raciste. À la base c’était une idéologie de liberté. Aujourd’hui, je me sens vraiment très seul. Je suis attaqué par l’extrême droite israélienne puisque dans mes films je parle de l’occupation, de la militarisation de la société israélienne, je critique beaucoup mon pays. Et maintenant, je me sens aussi trahi par la gauche libérale des États-Unis qui qualifie la guerre de génocide. Pour la gauche progressiste Israël est un pays colonialiste et c’est tout. Tout doit être résumé en un slogan de trois mots, tu ne peux plus parler de choses complexes, de raisons historiques ou politiques, tu ne peux plus rien dire sans faire pencher la balance et te faire juger. Les Palestiniens sont les plus faibles donc on ne peut évoquer leurs crimes. Et selon l’extrême droite israélienne, ce sont tous des terroristes, il faut tous les tuer… C’est simpliste, les gentils et les méchants, noir ou blanc. Mais quand on se réveille après le 7 octobre et qu’on se rend compte de la quantité de gens qui ont été tués, assassinés, de femmes qui ont été violées, de bébés tués ou volés… Qui vole des bébés ?

« Personne n’y croyait. Une attaque comme ça c’est une déclaration de guerre. Cette guerre il fallait la faire. Ce n’est pas quelque chose que j’aime, loin de là. Mais on a le droit de se défendre. La peur règne ici. On savait qu’on était entouré par des gens qui nous détestent, mais tout d’un coup cette folie nous dépasse. Alors oui, les chiffres sont affreux mais les gens qui critiquent n’ont certainement jamais fait la guerre, particulièrement en milieu urbain. La bande de Gaza est l’un des endroits les plus denses au monde en termes de concentration de population. L’armée israélienne croyait y trouver quelque chose comme 500 tunnels, en fait ce sont des milliers. Ils se sont organisés pour cette guerre pendant des années. Dans un endroit comme ça, il y a forcément beaucoup de morts parmi la population. C’est une guerre, ce n’est pas quelque chose de beau, ce ne sont pas des chiffres par-ci par-là. L’armée de l’air israélienne est celle qui a causé le plus de dégâts, mais avant une attaque, il y a toujours deux ou trois avocats qui supervisent selon le droit de guerre pour savoir si cela tombe juste ou pas. Ils effondrent les immeubles pour boucher les tunnels. Il y a des buts à atteindre. Bien sûr qu’il y a des erreurs, malheureusement c’est dur d’empêcher ça. Mais quand on nous accuse de faire exprès de tirer sur des ambulances, ce n’est pas vrai ! Il y a des tunnels sous presque tous les hôpitaux, ils utilisent les ambulances…

« J’ai confiance en mon armée. La majorité des soldats de Tsahal sont des réservistes, ce sont des gens de 30 ans, de 40 ans, des gens du High-Tech, des professeurs de lycée… Deux de mes frères sont là-bas. Un copain vient d’être blessé. Ce sont des gens normaux qui ont été mobilisés et qui doivent aller se battre maintenant. C’est une armée du peuple.

« Je regarde beaucoup Al-Jazeera pour voir le résultat de nos actions et ça me brise le cœur. Je vois la souffrance des gens. Ce ne sont pas des choses qui rendent fier. Ça fait mal. Ça fait du mal à d’autres gens… Mais il faut le faire parce qu’ils ont dit qu’ils allaient recommencer encore et encore.

« Ce que l’on vit aujourd’hui a commencé avec les accords d’Oslo, au début Arafat ne voulait pas signer, Boumaza ne voulait pas signer. Puis quand ça a été fait, le Hamas a fait exploser nos bus. Le Fatah voulait faire la paix, mais les gens n’arrivaient pas à différencier les deux. “Ce sont des Palestiniens, ce sont des Arabes, c’est la même chose’’. Mais ce n’est pas la même chose.

« Il y a le Hamas à Gaza, mais il y a aussi le Hezbollah au nord. La situation au nord reste très préoccupante. Toute l’idée de cette attaque du Hamas, toute la stratégie qui a été appliquée, c’est celle du Hezbollah. Le Hezbollah a créé la force Radouane, qui devait ramener la guerre en Israël, en essayant de conquérir des kibboutz à la frontière nord, même pour une journée ou deux heures. Il fallait un choc, provoquer l’étincelle. C’était ça le grand plan. Et le Hamas a volé le plan et l’a exécuté. Ce ne serait pas une bonne idée pour le Hezbollah de commencer une guerre avec Israël aujourd’hui. Il y a des moments où c’est propice de partir en guerre, l’ennemi n’est pas prêt et tu peux le surprendre. Mais quand les deux sont prêts, ce n’est jamais bon de commencer. J’espère que ça n’éclatera pas là-bas. Je crains pour ma mère, mes frères et pour mon kibboutz, mais aussi pour les Libanais.

« Il y aura un cessez-le-feu, on ne peut pas continuer comme ça. Il y a l’hiver qui avance, il y a des millions de réfugiés à Gaza. À Gaza, il fait très froid la nuit pendant l’hiver. Un enfant palestinien qui a 3 ans et qui a froid et qui a peur, il ne sait pas qu’il a froid et qu’il a peur parce qu’il est palestinien, il sait juste qu’il a peur et qu’il a froid. Une crise humanitaire, ce n’est pas quelque chose qui va aider Israël. Je pense que très vite l’armée israélienne va se retirer, pas complètement mais ils vont se regrouper en arrière et continuer à chercher les militants du Hamas. Le nombre de morts augmente tous les jours, celui des Gazaouis et celui de nos soldats. À un moment les gens vont dire assez. Le Hamas c’est une idée, ce n’est pas quelque chose de mesurable. Donc ce n’est pas un but vraiment possible à atteindre. Enfin, il y a les otages. Toute cette guerre n’a aucun sens si les otages ne rentrent pas. Et un pays qui préfère garder des prisonniers palestiniens que libérer des otages israéliens, ce n’est pas un pays où je veux vivre.

« Après une guerre tellement atroce, peut-être que les deux côtés vont dire : on a assez de morts, il faut maintenant réfléchir et trouver des solutions. Pas des solutions comme l’a fait Netanyahou, laisser monter le Hamas en pensant qu’au moins, ainsi, il n’y aura pas de pays palestinien. Peut-être qu’un pays palestinien ce n’est pas une si mauvaise idée. Toute cette année j’ai marché plus que je n’ai jamais marché. Je suis parti chaque shabbat pour manifester contre ce gouvernement. Israël n’est pas ce gouvernement. Israël c’est beaucoup plus. J’ai de l’espoir. On a survécu à Pharaon, on survivra à ça aussi.

« Netanyahou veut rester au pouvoir et se libérer de son procès. C’est pour ça qu’il a fait entrer les gens les plus radicaux au pouvoir, juste pour se sauver. Après ce choc, ils étaient comme tétanisés, incapables de réagir. Ce sont des citoyens, des associations qui ont pris la place des ministres et se sont débrouillés pour faire envoyer des vêtements, des équipements et des chaussures aux jeunes soldats. Quand la guerre a éclaté, ils n’avaient pas assez de fusils ni de casques. Le sang du 7 octobre est sur ses mains.

« J’ai une idée presque trop folle pour moi… C’est que celui qui fera la paix sera peut-être Benjamin Netanyahou. J’ai un petit espoir… Son père, Bension Netanyahou, était un grand historien, et tout ce qu’il veut maintenant c’est que son nom reste, comme celui d’un grand homme. Or la seule façon pour lui de laver son nom, c’est de faire la paix. Et si ce n’est pas lui qui la fait, il y aura quelqu’un d’autre. Après ce terrible cauchemar qui nous arrive à nous et à ces pauvres Palestiniens de Gaza, je pense que la nouvelle génération de leaders va changer les choses. On a besoin de nouveauté et d’espoir. Chez nous et chez les Palestiniens aussi. Il nous faudrait de nouveaux Yitzhak Rabin… »

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Manifestation à Ramallah © IR

Yona en français signifie Jonas, prophète des trois religions abrahamiques que sont le judaïsme, l’islam et le christianisme, un nom bien porté en somme.

Une chose semble manifestement unir, par-devers leurs querelles, le peuple d’Israël et le peuple de Palestine. La recherche de nouveaux leaders, et d’une meilleure gouvernance, une gouvernance qui les engage vers le futur et les sortent enfin de l’ornière du passé. Leon, 45 ans, né à Saint-Pétersbourg de parents juifs biélorusses, a émigré à 13 ans à Tel Aviv, un ami de Yona, nous l’explique bien. « Aujourd’hui presque 75 ou 79 % des Israéliens sont contre Netanyahou. Il n’a pas d’idéologie, ni gauche ni droite, il veut juste survivre. D’où le putsch judiciaire. Avant octobre la majorité des Israéliens étaient contre lui. Aujourd’hui c’est fini. Il est intelligent et sait détourner la réalité, mais maintenant ça marchera plus. Il n’a pas pris ses responsabilités pour le 7 octobre. Tout le monde l’a fait, tous les chefs l’ont fait sauf lui. Il dit qu’on nous déteste dans le monde entier, il est devenu complètement parano et encourage les extrémistes. Il est déconnecté de la réalité. Il ne voit ni ne comprend ce qui se passe. Israéliens et Palestiniens restent tournés vers le passé. Ils ne veulent pas regarder le futur. La plus sûre leçon que le monde nous donne aujourd’hui, et si une paix doit être possible, est que chacun fasse son propre bilan et purge ses rangs des extrêmes, car la voix de la terreur qui nous a plongés à nouveau dans ces heures sombres n’est pas autre chose que celle de l’enfant monstrueux de colères légitimes », nous dit-il.

La mort du numéro 2 du Hamas à Beyrouth le 2 janvier, celle d’un chef du Hezbollah libanais pro-iranien le 8 janvier, l’attentat en Iran près du tombeau du général Soleimani, tout un symbole, revendiqué par l’État islamique, l'accusation de génocide à La Haye changeront-ils la donne ?

La vie des otages et celle des Gazaouis vaut-elle d’être sacrifiée sur l’autel de la guerre et de la vengeance ?

Alors, pour paraphraser Tolstoï : la guerre, ou la paix ?

La paix, et deux États…

Chema Israël : vox populi. Écoute Israël : la voix du peuple. La voix des peuples qui désirent la paix.

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