Isaac Bonnaz (avatar)

Isaac Bonnaz

chanteur, musicien

Abonné·e de Mediapart

8 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 mai 2022

Isaac Bonnaz (avatar)

Isaac Bonnaz

chanteur, musicien

Abonné·e de Mediapart

Assignation à résidence (avril 2020)

Notre assignation à résidence se termine bientôt (ou pas…). Il y a ceux qui sont pour, ceux qui sont contre.  Il y a ceux qui voudraient travailler, et ceux qui veulent sauver des vies.  Il y a ceux qui voudraient que les autres recommencent à travailler (pour eux), et ceux qui aimeraient souffler un peu.

Isaac Bonnaz (avatar)

Isaac Bonnaz

chanteur, musicien

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Assignation à résidence

Notre assignation à résidence se termine bientôt (ou pas…).

Il y a ceux qui sont pour, ceux qui sont contre. 

Il y a ceux qui voudraient travailler, et ceux qui veulent sauver des vies. 

Il y a ceux qui voudraient que les autres recommencent à travailler (pour eux), et ceux qui aimeraient souffler un peu. 

Il y a ceux qui ne savent pas comment ils vont manger demain, et ceux qui souhaitent rester à l’abri dans leurs jardins, sachant leur salaire assuré. 

Il y a ceux qui voudraient boire des apéros avec leurs amis, et ceux que la solitude arrange. 

Il y a ceux qui tirent profit de la situation, et ceux qui perdent tout. 

Il y a ceux qui affermissent tendrement les liens familiaux, et ceux qui en profitent pour resserrer l’étau. 

Il y a ceux (ou celles) qui sont frappées, et ceux qui sont sidérés.

Il y a ceux qui respectent les ordres, il y a ceux qui sont désespérément seuls. 

Il y a ceux qui soignent, et ceux qui dénoncent. Ceux qui s’organisent, ceux qui paniquent. Ceux qui vivent, ceux qui survivent. Ceux qui meurent et ceux qui décident. 

Il y a ceux qui grognent, et ceux qui obéissent. 

Il y a les bons, il y a les méchants. 

Il y a eux, et il y a nous. 

Il y a ceux qui font des réserves, et ceux qui n’en font pas. 

Il y a ceux qui se sentent protégés, et ceux qui se sentent exclus.

Il y a ceux qui veulent relancer l’économie, et il y a ceux qui veulent d’abord qu’on se soigne. 

Il y a ceux qui font du business, et ceux qui sont paralysés par la situation. 

Il y a ceux qui espèrent, et ceux qui abandonnent. 

Il y a ceux que les écrans amusent, et ceux qui préfèrent les livres.

Il y a ceux qui veulent respecter les protocoles, et ceux qui meurent seuls. 

Il y a ceux qui veulent plus de surveillance, et ceux qui voient arriver le pire. 

Il y a les drones, il y a les policiers. Il y a les policiers qui font du zèle, et il y a ceux qui font leur job. 

Il y a les politiques, et il y a la réalité. 

Il y a ceux qui parlent de biologie, et ceux qui parlent de guerre. Ceux qui humanisent, et ceux qui aseptisent. Ceux qui croient, ceux qui désespèrent. Ceux qui ont des élans de solidarité, et ceux qui se replient sur eux-même. 

Il y a ceux qui veulent de la sécurité, et ceux qui veulent de la liberté. Il y a les chiens, et il y a les loups. Il y a ceux qui préfèrent avoir à manger et dormir au sec, quitte à être enchainés, et ceux qui préfèrent courir dans les bois, aller où ils veulent, quitte à dormir dehors et à avoir parfois faim et froid. 

Il y a ceux qui acceptent d’être tracés pour être sûrs de savoir s’ils ont été en contact avec des personnes infectées, et ceux qui préfèrent prendre le risque de mourir pour ne pas être tracés. 

Il y a ceux qui n’ont rien à cacher, et ceux qui veulent vivre sans être pistés. 

Il y a ceux qui préfèrent se soumettre, et ceux qui résistent. 

Il y a ceux qui en profitent pour faire des travaux chez eux, et ceux qui tournent en rond dans le 9m2 qu’ils louent à prix d’or. 

Il y a ceux qui en profitent pour écrire un livre, et ceux qui sont totalement atrophiés par l’atmosphère. 

Il y a ceux qui en profitent pour faire de l’introspection afin de retrouver leur moi profond, et ceux qui deviennent fous. 

Il y a ceux qui regardent les informations en boucle, qui absorbent une peur qui les dépasse, et ceux qui font du sport dans leur salon. 

Il y a ceux qui en profitent pour créer une chaine Youtube et gagner des followers, et ceux qui n’ont plus rien à dire. 

Il y a ceux qui créent, et ceux qui se taisent. 

Il y a ceux qui se disciplinent, et ceux qui se laissent aller. 

Il y a ceux qu’on entend, et ceux qui n’ont plus de voix.

Je suis de tous ceux-là… 

Je suis musicien indépendant. La frontière entre survie et vie, je la connais, je joue sans cesse avec. Cette crise détruit tous les plans de l’année pour nombre d’entre nous. Les indépendants, les artisans, les entrepreneurs, les petits commerçants, les artistes. Nous qui n’avons pas de réserve. Nous pour qui notre salaire dépend de la sueur de notre front. Nous qui tentons tant bien que mal de posséder nos outils de travail. 

Il y a d’autres vies que les nôtres, d’autres situations, d’autres contraintes, et il nous faut pourtant vivre ensemble.

Nous n’avons pas le choix, nous sommes humains, habitant un espace qui n’est pas infini. 

Ce que nous pouvons cependant choisir, c’est la vie que nous construisons. L’entraide et la solidarité ne sont pas des options. 

Notre machine de surconsommation se sera arrêtée pendant 2 mois. Voulons-nous qu’elle redémarre? Voulons-nous reprendre notre vie d’avant? Pour nous les musiciens, voulons-nous que ce soit le Grand Algorithme qui décide quelle musique doit être mise en avant ou pas dans les playlists? Voulons-nous que nos visages soient sans cesse scannés par les caméras de surveillances de nos villes? Voulons-nous faire partie d’un grand fichier national, (voire international) de traçage? Voulons-nous continuer à manger de la nourriture dont on ne connait ni la provenance, ni les conditions d’élevage ou de culture? Voulons-nous reprendre cette course folle? Voulons-nous des mouchards en permanence dans nos poches? Voulons-nous être surveillés par des drones? 

Pour ma part, je pense que la résistance s’impose. Nous n’avons plus le choix, nous avons à prendre parti. Les scénarios de surveillance de masse, qui semblaient encore improbables il y a deux mois, sont aujourd’hui imposés par nos gouvernements. 

Et nous les musiciens, les chanteurs, les journalistes, les écrivains, les cinéastes, etc. Nous qui manipulons les mots, les symboles, les images, les sons et les émotions. Nous qui cherchons le sens, et proposons nos oeuvres au public. Nous avons à prendre parti. Au risque de ne servir qu’à informer ou à divertir nos auditeurs, nos spectateurs, et donc à participer à l’aliénation systémique de nos sociétés. 

Nous pouvons choisir d’anesthésier, d’endormir, de relayer les ordres. Ou nous pouvons choisir de nous réveiller, d’arroser notre humanité, nos émotions, nos vibrations. Nous pouvons choisir de faire éclore en chacun, les germes de liberté, d’amour. N’ayons pas la prétention de créer ces sentiments ou ces émotions. Par contre, prenons notre rôle au sérieux, impliquons-nous, et racontons des histoires, détournons les symboles de domination, déplaçons les regards, y compris les nôtres, et créons du sens.

30 avril 2020

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.