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Billet de blog 9 mai 2022

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"Je ne fais que mon travail" (juillet 21)

« Il faut appliquer le protocole », « j’ai des consignes », « j’ai des ordres », « si on a ces directives, c’est qu’il doit y avoir une raison », , « ce n’est pas moi qui décide », « on a des quotas à respecter », « obéissez, rentrez dans le rang », « vous êtes le premier à discuter les règles ».

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« Je ne fais que mon travail monsieur ». Ces temps-ci, j’ai beaucoup entendu cette phrase. 

Est-ce parce qu’elle est plus prononcée qu’avant, ou bien parce que j’y fais plus attention? Je n’ai pas de certitude sur la réponse, mais j’ai la sensation que la première option est la plus proche de la réalité.

« Il faut appliquer le protocole », « j’ai des consignes », « j’ai des ordres », « si on a ces directives, c’est qu’il doit y avoir une raison », « si vous êtes dans cette situation, c’est qu’il y a un motif », « ce n’est pas moi qui décide », « on a des quotas à respecter », « obéissez, rentrez dans le rang », « vous n’allez pas faire un scandale tout de même », « vous êtes le premier à discuter les règles ».

Ces phrases et expressions sont prononcées dans des situations, des contextes très divers, et par des individus complètement différents. 

Que ce soit au guichet de la poste, dans les justifications officielles répliquant à l’expression des craintes sur la restriction de certaines libertés, en réponse à des questions posées sur le bien fondé de certaines règles, par des policiers expulsant des familles étrangères, par des secrétaires de préfecture signant les arrêtés enclenchant ces mêmes expulsions, dans les magasins, dans la rue, par des députés votant les décrets parce que leur majorité le fait, etc. Qu’elles soient prononcées sur le ton du mépris, de l’indignation ou juste du détachement, ces phrases qui semblent peut-être anodines sont le symptômes d’une déresponsabilisation et d’une servitude qui me paraissent graves. 

N’être que le rouage d’un engrenage hiérarchique, ne pas avoir son mot à dire, et obéir aveuglément, cela n’est jamais bon signe. Et c’est même souvent le signe du pire, d’une déshumanisation. Déshumanisation des multiples vies broyées par ces mécanismes, évidemment, mais aussi des individus réduits à n’être que les rouages d’une implacable administration ou chaîne d’ordres.

Pourquoi ne pas quitter ces engrenages? Pourquoi ne pas être des grains de sable? Pourquoi ne pas ré-humaniser ces métiers dont on a dépouillé le sens? Pourquoi ne pas incarner à nouveau nos professions? Pourquoi ne pas sortir de la « fonction », purement technique, bureaucratique et vide, et passer à l’exercice de notre humanité? Pourquoi ne pas subvertir les ordres et les chiffres quand nous les jugeons inhumains? Pourquoi ne pas créer, ne pas imaginer un autre rapport au prochain, y compris dans l’activité que nous accomplissons, même quand c’est en échange d’une rémunération? 

Je sais que certains le font, que des fonctionnaires contournent ou affrontent les protocoles, que des employés boycottent les règlementations absurdes, que des entrepreneurs et des indépendants tentent de mettre du sens et de l’humanité dans leurs affaires, que des chômeurs et des bénévoles créent des relations vivantes. Mais ils devraient être la majorité, et non l’exception. 

Il faut bien avoir conscience que l’aspect inévitable de ce que nous vivons, l’allure implacable et absolue de la marche du monde, tout ceci n’est que mensonge. Nous sommes esclaves et colonisés, parce que nous l’acceptons, parce que nous sommes éduqués comme ça, parce que c’est notre mentalité, parce que la majorité le tolère. Et nous le tolérons parce que c’est pratique. Non parce que c’est un mouvement inéluctable et fatal. 

Il est facile de nous déresponsabiliser, de ne pas assumer la conséquence de nos actes puisqu’on a obéi. Si c’est le cas, ayons au moins la décence de le reconnaitre, et de ne pas prétendre donner des leçons, et surtout, n’ayons pas l’arrogance du mépris.

Les chefs et les dirigeants, ceux qui donnent les ordres, ne sont pas plus éclairés que nous, ils ne sont pas plus intelligents que nous, et les grandes écoles qu’ils font ne les rendent pas plus capables que nous, elles leur permettent juste de reproduire un système de domination.

Nous pouvons, et je dirais même que nous devons réfléchir notre vie, la mener selon des valeurs qui nous sont propres, avec conviction, certes en considérant nos erreurs, et en apprenant sur nous-même et à vivre avec les autres.

Introduisons du jeu et de la friction dans cette soumission généralisée aux ordres ineptes, réfléchissons nos métiers, quels qu’ils soient, mettons-y de l’intelligence, de la bienveillance, de l’amour, de la confiance. 

N’attendons pas les vacances ou la retraite pour faire ce qui nous tient à coeur, ou pour vivre selon nos croyances.

Vivons.

1er juillet 2021

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